"Quand toute la société vous traite de feignasse…"  : le cri du cœur de "Monsieur Le Prof"


Lorsqu’il a appris sa réussite au Capes, en 2011, William Lafleur a pleuré de joie. Depuis, sur les réseaux sociaux, cet auteur d’ouvrages à succès a longtemps fait rire ses collègues, et bien d’autres, en racontant en bandes dessinées, sous le nom de « Monsieur Le Prof », son quotidien de professeur d’anglais. Petit à petit, le ton s’est fait plus grave.

Douze ans après ses débuts, William Lafleur jette l’éponge et annonce son départ de l’Education nationale. Dans son livre L’Ex-Plus Beau Métier du monde, à paraître chez Flammarion le 30 août, il revient sur ce qui entame un peu plus chaque année le moral des enseignants jusqu’à parfois les pousser, comme lui, à démissionner : le manque de moyens matériels, le gel des salaires, la hausse du nombre d’élèves par classe, les humiliations quotidiennes et le manque de considération de la hiérarchie, l’augmentation des actes de violence, le système des mutations, qui influe sur la vie privée, l’attitude clientéliste des parents d’élèves… « Il est temps de redresser la barre avant que tout le monde ne quitte le navire », déclare l’auteur dans son avant-propos. »Mais ce livre ne se contente pas de relater ma propre expérience », précise celui qui, après avoir lancé un appel à témoins sur les réseaux sociaux où il est suivi par une importante communauté enseignante, dit avoir reçu plusieurs milliers de témoignages.

Aussi bien des professeurs que des chefs d’établissement, des conseillers principaux d’éducation, des psychologues scolaires ou des accompagnants d’élèves en situation de handicap. « En recueillant la parole de bon nombre de mes collègues je me suis rendu compte que nous étions nombreux à partager le même ressenti et à vivre les mêmes expériences », poursuit William Lafleur, avant de livrer son bilan en exclusivité à L’Express.L’Express : Les désillusions sur votre métier d’enseignant sont arrivées très tôt, dès vos années d’apprentissage.

En quoi la formation n’est-elle pas à la hauteur ?William Lafleur : On imagine que les enseignants ont une formation formidable qui leur permet d’arriver armés face aux classes. C’est loin d’être le cas. Pas plus tard qu’hier, une collègue me confiait : « Voilà, j’ai passé le Capes, c’est la première fois que je vais enseigner en tant que stagiaire… Au secours ! Je ne sais pas du tout comment me comporter face à mes élèves !  » C’est quand même aberrant d’avoir étudié pendant deux ans, réussi un concours difficile, et de se sentir aussi démuni.

La formation, dans de très nombreux cas, n’aide pas du tout à s’en sortir, parce qu’elle est totalement déconnectée du terrain. Beaucoup trop théorique, elle ne répond pas aux besoins des professeurs. On nous présente des élèves motivés qui ont envie de participer, une classe idéale où il y a assez de tables pour tour le monde et un vidéoprojecteur qui fonctionne.

Or la réalité est tout autre. Moi, on m’avait appris à travailler avec des ordinateurs et des tablettes, or, dans mon premier établissement, je me suis retrouvé avec un tableau à craies. Autant dire que j’ai oublié rapidement tout ce que j’avais pu apprendre sur les nouvelles technologies.

Et ça, encore, c’est quand on nous donne de vrais conseils… Or, la plupart du temps, on nous fait juste faire des jeux ! Je me souviens de ce formateur qui nous avait demandé de coller un Post-it sur notre front avec quelque chose à deviner. Le but ? « Créer une cohésion de groupe. » C’était aussi inutile qu’infantilisant.

Bref, il nous a fait perdre deux heures.Dans votre livre, vous évoquez bien d’autres pratiques étranges en cours dans les Inspé, les instituts de formation des enseignants. C’est vraiment du vécu ?Au départ, on peut avoir l’impression d’être le seul à avoir connu des situations étranges – comme lorsqu’on nous a demandé de nous envoyer des balles imaginaires en criant notre prénom pour apprendre à nous connaître ! –, mais, en discutant avec des collègues, on se rend vite compte qu’on est loin d’être un cas isolé.

On est nombreux à avoir construit des tours en allumettes dans le but de voir qui maîtrisait le mieux les éléments. Autre anecdote aberrante : celle de cette enseignante à qui on a demandé de « faire danser la laïcité » à ses élèves ! Le pire est qu’on ne peut pas envoyer bouler le formateur, puisque c’est lui qui nous évalue, donc on subit jusqu’à la fin de l’année en serrant les dents.Et ça se poursuit durant notre année de stage, au cours de laquelle on commence à enseigner tout en poursuivant notre formation.

Quand on arrive avec des questions très pratiques, comme : « Lorsque je demande à mes élèves de s’asseoir à une place bien précise, comment faire si l’un d’eux refuse ? », on nous répond : « Vous savez, chaque élève est unique. Donc, la réponse que vous allez lui apporter ne sera pas la même que celle que vous donnerez à un autre. » Voilà, question suivante ! Ma formatrice m’a même donné un jour comme consigne de faire passer mes élèves deux par deux au tableau pour les tester à l’oral en anglais et de leur accorder la moyenne s’ils arrivaient au moins à se comprendre mutuellement par des gestes.

Il y a dix ans, le taux de stagiaires qui démissionnaient avant même d’être titularisés était de 0,7 %, aujourd’hui, il est de 3,44 %. Ce sont des gens qui se sont pourtant beaucoup investis dans leurs études, mais qui ont été dégoûtés dès le départ. »L’Ex-Plus Beau Métier du monde », le dernier livre de Monsieur Le Prof sortira le 30 août 2023.

© / FlammarionDepuis la réforme de 2010, les aspirants enseignants sont amenés à passer le concours au niveau master et non plus après une licence. Est-ce l’une des raisons pour lesquelles les concours ne font plus le plein ?Oui, cette réforme a entraîné un allongement de la durée des études de deux ans, ce qui demande un investissement supérieur que tout le monde ne peut pas forcément se permettre. Et puis, si un niveau master, soit un bac + 5, est exigé, le salaire, lui, est resté le même que lorsque la barre était fixée à un bac + 3.

Donc, je ne vois pas trop ce qu’on y gagne. Evidemment, cela engendre des difficultés de recrutement : quelqu’un qui a un master de mathématiques a le choix entre devenir ingénieur et rejoindre une entreprise où il sera super bien rémunéré ou bien se tourner vers l’enseignement, où il sera payé au lance-pierre et se retrouvera devant des élèves rarement motivés par cette matière. On imagine aisément ce qu’il va choisir.

Ce n’est pas un hasard si le nombre de candidats en maths a baissé de 43 % en dix ans.On a donc voulu augmenter le niveau d’exigence des enseignants titulaires et, en même temps, le recours aux contractuels, qui parfois n’ont aucune expérience, n’a jamais été aussi élevé. N’y a-t-il pas là un paradoxe ?Si, bien sûr, mais on peut se demander si tout cela n’est pas voulu.

Puisqu’on a du mal à recruter des titulaires, on les remplace par des contractuels moins chers que l’on traite souvent très mal. J’ai l’exemple de cette collègue à qui on a demandé de faire un remplacement en urgence en janvier dernier à 90 kilomètres de son domicile. Elle a tout accepté, s’est énormément investie, mais son contrat a été arrêté le 1ᵉʳ juillet.

L’idée étant de ne pas la rémunérer pendant la période d’été et de la réembaucher en septembre. Dans l’Education nationale, il n’y a pas de petites économies ! Le plus terrible est que les contractuels sont souvent projetés comme ça devant les élèves sans aucune préparation.On l’a vu avec la mise en place des fameux jobs dating dans certaines académies : trente minutes d’entretien, et c’est bouclé, la personne est embauchée et fera face dans quelques jours à des centaines d’élèves.

La lâcher ainsi dans la nature me semble être un pari plus que risqué. Je m’étonne d’ailleurs qu’il n’y ait pas plus de catastrophes. Si ce n’est le départ, en silence et parfois au bout de quelques semaines, de ces contractuels à qui on avait promis un métier facile et un accompagnement, mais qui se sont retrouvés seuls face à des difficultés qu’ils ne soupçonnaient pas.

Votre livre détaille les nombreuses conséquences du manque de moyens que vous dénoncez : la hausse du nombre d’élèves par classe, les bâtiments en mauvais état, le matériel informatique qui ne fonctionne pas… Est-ce l’écueil principal auquel vous vous heurtez ?Les écueils sont multiples et le manque de moyens en fait évidemment partie. On vous demande d’être exigeant dans votre travail, alors que vous n’avez pas les outils nécessaires pour l’être. Quand on arrive dans une classe, on ne sait jamais trop si le chauffage va fonctionner, si le vidéoprojecteur ou l’ordinateur vont démarrer.

Chaque matin, c’est l’inconnu. Je n’ai eu d’autre choix que d’investir moi-même dans mon matériel pour pouvoir assurer mes cours correctement. Sans oublier, effectivement, l’augmentation des effectifs par classe qui vire parfois au casse-tête.

Il arrive qu’un élève arrivé en cours d’année n’ait pas de bureau, alors on va en chercher un dans la classe voisine, qui, du coup, n’aura pas assez de tables à la séance suivante. C’est le jeu des chaises musicales.On vous demande aussi de pratiquer la « différenciation pédagogique » c’est-à-dire d’adapter votre enseignement à chaque élève.

En quoi est-ce de plus en plus compliqué ?Là encore, on fait peser sur les enseignants des exigences qu’ils ne peuvent pas remplir. Sur les 28 ou 30 élèves que vous avez face à vous, un va être dyslexique, un autre, handicapé moteur, tandis que son voisin aura des accès de violence, sans oublier ce jeune arrivé en France il y a quelques mois et qui ne parle pas français. Chacun a des besoins différents, mais on ne peut pas se démultiplier, ce qui fait qu’à la fin de la journée on est démoralisé, découragé, et on se dit qu’on n’a pas bien fait son travail.

Mais comment bien le faire quand on nous demande l’impossible ? C’est extrêmement frustrant. Le principe de l’école inclusive, qui consiste à accueillir tous les élèves à l’école malgré les difficultés ou problématiques personnelles qu’ils peuvent rencontrer, est évidemment louable. Malheureusement, les moyens ne suivent pas.

Certains dispositifs existent, comme les Segpa, les classes Ulis ou les sections UPE2A, mais il n’y a pas assez de places et beaucoup ferment au fur et à mesure, faute de budget.En 2019, le mouvement #Pasdevague, né sur les réseaux sociaux après la publication d’une vidéo montrant une enseignante braquée par un élève en plein cours, a dénoncé le silence de la hiérarchie lorsque les professeurs sont confrontés à des problèmes de violence. L’avez-vous expérimenté vous-même ?Oui, même si, pour ma part, je n’ai jamais connu de violence physique, « juste » des menaces qui, heureusement, ne sont jamais allées plus loin.

J’ai quand même été visé par quelques gommes et stylos au début de ma carrière. Quand vous débarquez la première année, à 23 ou 24 ans, tout frais et pimpant, et que vous vous retrouvez face à des élèves qui vous balancent des trucs, qui vous insultent ou qui vous disent qu’ils ne veulent pas bosser, c’est un petit peu perturbant. Mais le plus perturbant est d’entendre votre hiérarchie rétorquer : « Oh, il vous a juste insulté, on ne va pas faire un rapport d’incident pour ça alors qu’habituellement cet élève fait bien plus grave.

 » Voilà ce qu’est le « pas de vagues ». Tout ça parce que les chefs d’établissement ont une réputation à tenir, qu’ils passent régulièrement d’établissement en établissement et que, pour avoir une chance d’évoluer, ils doivent présenter de bonnes statistiques. Moins il y a d’exclusions mieux c’est, car un élève exclu est forcément envoyé ailleurs et l’on fait alors peser le poids sur un autre établissement.

Les chefs préfèrent éviter ça.Vous expliquez que, si les élèves sont si difficiles, c’est aussi parce qu’ils sont plus « fragiles » qu’avant. C’est-à-dire ?L’adolescence d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle que nous avons connue nous-mêmes.

Il faut bien comprendre que le monde a changé depuis et que les problématiques rencontrées par les jeunes n’ont plus rien à voir. Ils doivent faire face à la menace terroriste, au réchauffement climatique, sans oublier la pandémie que l’on vient de vivre. Comment leur reprocher d’être tout le temps stressés, alors qu’ils entrent dans ce monde-là ? Sans compter le temps fou passé sur les écrans, qui, à mon avis, n’arrange pas les choses.

La réforme du bac a également accentué leur anxiété, contrairement à ce qui avait été annoncé. Certes, le couperet de juin n’existe plus, mais, désormais, le bac s’étale sur deux ans et le stress aussi ! Chaque note compte, notamment et surtout pour Parcoursup. Voilà encore une autre évolution par rapport à notre époque : alors que nous avions facilement une place dans l’université de notre choix lorsque nous entrions dans le supérieur, les jeunes d’aujourd’hui sont confrontés à une compétition beaucoup plus grande.

Si on veut poursuivre les études de son choix, il faut être le meilleur. A cela s’ajoute un système de notation injuste puisque chaque établissement peut avoir une politique différente : certains personnels de direction vont nous pousser à surnoter pour permettre aux élèves d’accéder à la formation qu’ils souhaitent ou pour que les parents arrêtent de se plaindre. Et puis un lycée qui a une bonne moyenne au bac sera considéré comme un bon établissement et sera forcément mieux vu.

Vous consacrez un chapitre à « l’institution maltraitante ». Qu’entendez-vous par là ?On nous demande, à nous, enseignants, de faire preuve de « bienveillance » envers les élèves, d’écouter leurs soucis, de nous mettre à leur place, de ne pas les noter trop sévèrement. Et, à l’inverse, dès que nous, enseignants, on revendique quoi que ce soit, on a l’impression de demander la lune.

Je donne l’exemple, a priori anecdotique mais qui en dit long, de la fois où on m’a envoyé dans un nouvel établissement pour faire cours à des élèves de BTS, ce qui était nouveau pour moi. Selon les textes, j’avais normalement droit à un délai de préparation de quarante-huit heures, or la cheffe d’établissement m’a dit : « Non, vous venez dès demain. » J’ai refusé, rétorquant que je n’étais pas là pour faire de la garderie, c’est alors que la proviseure m’a menacé de m’enlever des jours de salaire.

Typiquement, un abus de pouvoir ! Lors de la mise en place de la réforme du lycée, tous les professeurs de mon établissement étaient très tendus à cause de la charge de travail et des nouveautés à mettre en place. Certains ont été mis en arrêt maladie pour burn-out. J’ai fini par envoyer un mail à un membre de la direction pour l’alerter, mais celui-ci m’a expliqué que ce n’était pas la procédure et qu’il fallait que j’en parle à un représentant syndical.

Il y a aussi le cas de cette collègue qui, à la suite d’un AVC, devait rester chez elle, mais à qui le principal continuait d’envoyer des messages pour qu’elle envoie des cours à ses élèves. Ce sont toutes ces petites choses, ce manque d’humanité au quotidien, qui font que l’on finit par craquer.Le système d’affectations et de mutations peut-être un autre facteur de démission.

Quelles sont les conséquences concrètes de cette organisation ?Quand vous entrez dans le métier, vous savez que, pendant de cinq à dix ans, vous ne vivrez pas là où vous le souhaitez. Le plus souvent, on vous envoie en région parisienne, ce qui est loin d’être le rêve de tout le monde, il faut bien l’avouer. Le cadre, mais aussi le coût de la vie y sont quand même très différents du reste de la France, or nous ne bénéficions d’aucun bonus en contrepartie.

Avant de pouvoir changer et éventuellement revenir dans son académie d’origine, il faut serrer les dents et attendre d’avoir engrangé suffisamment de points. Ce sont les règles du jeu, tout le monde le sait dès le départ, il n’empêche que c’est très difficile à vivre. Je connais plein d’histoire de couples qui ont été brisés à cause de ça, notamment lorsque l’un est envoyé en Ile-de-France, tandis que l’autre reste en province.

Les allers-retours incessants finissent inévitablement par peser sur la relation. A la différence des titulaires, les contractuels peuvent postuler dans leur propre ville ou aux alentours. On entend de plus en plus de personnes qui ont passé et réussi le concours envisager l’option de devenir contractuels.

Plutôt sur le ton de la blague, pour l’instant, mais l’idée fait son chemin, car, certes, on risque de perdre en salaire, mais, d’un autre côté, enseigner là où on habite est quand même un luxe.La demande de revalorisation salariale est une revendication récurrente des enseignants. Là encore, vous avez l’impression de ne jamais être entendu ?Oui, et c’est bien sûr un vrai problème.

Au début de ma carrière, je gagnais aux alentours de 1 600 euros net. Au bout de dix ans, je touchais dans les 1 900 euros, ce qui est loin d’être énorme, d’autant que le coût de la vie a lui énormément augmenté. Et puis je m’en sortais mieux à l’époque où je vivais à Laval, en Mayenne, et que mon loyer n’excédait pas les 400 euros.

Dès que je suis arrivé en région parisienne, je me suis mis à payer le double… alors que mon salaire lui n’avait pas doublé. Dans mon livre, je compare ma situation à celle de ma sœur, qui, lorsqu’elle a commencé comme réceptionniste en hôtellerie, gagnait moins bien sa vie que moi et qui, au fil des années, a été augmentée de façon faible mais régulière jusqu’à me dépasser. Nous, cela n’a pas bougé, notamment à cause du fameux gel du point d’indice.

Quant au « pacte » proposé l’année dernière, qui consiste en réalité à nous proposer de faire des heures supplémentaires, j’estime qu’il ne s’agit en rien d’une avancée. A partir du moment où les professeurs sont au bord du burn-out, qu’ils n’en peuvent plus, qu’ils démissionnent à tour de bras, leur demander de travailler plus pour gagner plus est un non-sens. D’autant que cette « revalorisation », versée sous forme de prime et dont le montant reste dérisoire, n’aura guère d’influence sur notre pouvoir d’achat.

Quant à la fameuse promesse des 2 000 euros pour tous dès le début de carrière, j’attends de voir si elle sera véritablement effective. Si c’est le cas, tant mieux pour les nouveaux collègues, mais je ne sais pas trop comment les plus anciens, qui risquent d’être les grands oubliés de la réforme, le vivront.Emmanuel Macron vient d’accorder un grand entretien au Point, où il rappelle que l’école était la grande priorité de ce quinquennat.

Qu’en avez-vous pensé ?Les annonces qu’il a faites m’ont beaucoup surpris, notamment parce qu’elles apparaissent dénuées de tout pragmatisme. Le président envisage par exemple une ouverture des établissements dès le 20 août pour les élèves en difficulté scolaire. Mais l’ouverture ne se fait pas comme ça en un claquement de doigts ! Il faut pouvoir faire revenir les chefs d’établissement, les professeurs, les agents et puis les élèves qui, je pense, n’accueilleront pas la nouvelle de façon très positive.

Bref, c’est toute une organisation qui demande une préparation et une concertation en amont. Et puis ce n’est pas en deux semaines de cours, qui plus est pendant les vacances d’été, quand la température peut atteindre 40 °C dans les classes, que ces élèves vont rattraper leur retard. Emmanuel Macron évoque également la lecture de textes portant sur les fondements de nos valeurs chaque semaine.

Mais à partir de quand ? De quels textes s’agit-il ? Qui va s’en occuper ? Et puis quelles sont ces fameuses valeurs évoquées ? Tout cela est très flou. Dernière annonce qui a beaucoup énervé mes collègues d’histoire-géo : Macron prend une posture de professeur en expliquant qu’il faut « enseigner l’histoire de façon chronologique ». Comme si c’était quelque chose d’extrêmement subversif, alors que c’est déjà le cas.

C’est très frustrant d’entendre qu’il faudrait mettre en place quelque chose qui existe déjà.Comment les enseignants perçoivent-ils le fait que le président prenne régulièrement la parole à la place de son ministre de l’Education nationale ?Je me souviens des premières apparitions médiatiques de Pap Ndiaye : il était accompagné d’Emmanuel Macron, qui parlait tandis que le ministre hochait la tête à côté sans rien dire. C’est quand même assez étonnant ! Il me semble que le chef de l’Etat n’est pas spécialiste de l’éducation, or il pourrait laisser ce champ-là à ceux qui le sont.

Je pense que, avec Gabriel Attal, on est dans la même logique et que ce dernier a été nommé pour suivre le programme énoncé en haut lieu. En tout cas, cette interview a montré qu’on était toujours dans les effets d’annonce, les coups de communication.Beaucoup d’enseignants disent souffrir d’un manque de reconnaissance de la part de la société, voire se disent victimes de « prof bashing ».

Comment l’expliquez-vous ?Etant donné que tout le monde est allé à l’école, tout le monde imagine être un peu expert de ce monde qu’est l’Education nationale. Sauf que ce rapport à l’école, nous l’avons eu en tant qu’élève et non pas en tant qu’enseignant, voilà pourquoi le regard ne peut être le même. Quand j’étais un jeune prof, je me disais que je ne donnerai jamais d’exercices à faire du jour au lendemain ou que je ne ferai jamais de contrôle surprise.

Bref, que j’éviterai de faire subir à mes élèves ce que je détestais enfant ou adolescent. Mais, très vite, on se rend compte qu’il est parfois nécessaire de procéder ainsi et qu’on ne peut pas toujours faire autrement. Et puis il y a tous ces clichés qu’on nous ressort constamment : « Les profs sont toujours en vacances ; ils n’ont que dix-huit heures de travail par semaine ; ça va, c’est tranquille… » Ces réflexions, même si elles sont souvent dites sur le ton de la blague, deviennent franchement usantes à la longue.

C’est d’autant plus pénible à vivre quand on sait le travail qu’on fournit, la fatigue qu’on subit. Quand toute la société vous traite de feignasse, vous finissez par vous demander pourquoi vous vous investissez autant…Dès votre première rentrée, un chef d’établissement vous a dit : « Ici, le problème, ce n’est pas les élèves mais c’est les parents. » Cela vous a-t-il étonné ?Oui, mais j’ai vite compris ce qu’il voulait dire.

Dans cet établissement, qui accueillait des familles plutôt aisées, beaucoup de parents étaient constamment derrière leurs enfants pour les protéger, prêts à remettre en question les punitions mais aussi les notes données par les professeurs. Comme ce parent qui, un jour, m’a reproché d’avoir mis un 12 à sa fille. « Je ne comprends pas, elle fait beaucoup de voyages à l’étranger, s’exprime parfaitement en anglais, moi-même j’ai longtemps enseigné cette langue », m’a-t-il écrit.

Le ton est un peu monté, mais ce n’était pas trop méchant.Certains peuvent se montrer beaucoup plus menaçants, voire faire remonter leurs doléances au chef d’établissement ou au rectorat. A ce moment-là, la tentation est grande d’augmenter artificiellement les notes pour être tranquille… Même si, à partir de là, l’égalité entre élèves n’est plus respectée.

On est aujourd’hui dans un rapport clientéliste : on attend de l’enseignant qu’il réponde aux attentes de chacun des parents. A cela s’ajoutent les travers engendrés par la numérisation du métier. La mise en place d’applications comme Pronote permet aux parents de nous contacter beaucoup plus facilement et de nous solliciter en permanence pour tout et n’importe quoi sans pour autant prendre la peine d’accompagner leur message d’une formule de politesse.

Cela crée un rapport différent de celui d’autrefois où il fallait prendre rendez-vous en mettant un mot dans le carnet et prendre un moment pour se rendre dans l’établissement.Pour toutes ces raisons, vous avez donc décidé de quitter l’Education nationale l’année dernière. Mais, même là, vous avez rencontré des embûches…La pénurie d’enseignants est telle que l’institution ne vous laisse pas partir comme ça.

Je ne m’attendais pas à devoir vivre un tel parcours du combattant. Celui-ci aura duré sept mois au total. A tel point que, lorsque ma démission a enfin été traitée et acceptée, je me suis senti aussi soulagé que si j’avais réussi un entretien d’embauche.

Quand je l’ai annoncé autour de moi, mes collègues m’ont félicité ! Désormais, je m’apprête à commencer une nouvelle vie. J’ai plusieurs projets d’écriture, notamment une nouvelle bande dessinée humoristique… sur la vie de prof. Mais j’écris aussi sur d’autres sujets, car, au bout d’un moment, ne parler que d’enseignement devient un peu étouffant.

Certains aspects de mon métier me manqueront évidemment, surtout le rapport aux élèves. Même s’ils m’ont parfois cassé les pieds ou poussé à bout, les côtoyer m’a beaucoup apporté. Travailler avec des adolescents nous empêche de vieillir trop vite.

On comprend mieux certains de leurs codes. Même si entendre « quoicoubeh !  » toute la journée peut vite être très agaçant. Mais ce qui est bien avec ces modes-là, c’est qu’elles ne résistent souvent pas à l’été.

Enfin, je l’espère… Je croise les doigts pour mes collègues !.