jusqu’au sommet de l’État, une histoire de confiance à la frontière du légal


Les 2 et 3 avril, le tribunal correctionnel de Paris jugera Béatrice Molle Haran et Jean-Noël « Txetx » Etcheverry pour « port, transport et détention d’armes et d’explosifs en relation avec l’organisation terroriste ETA ». Plus de sept ans après leur tentative de « neutraliser » des armes de l’organisation séparatiste basque, le 16 décembre 2016, à Louhossoa. Un acte qui se voulait « électrochoc » vers le désarmement complet d’ETA. Il interviendra le 8 avril 2017, à Bayonne. Ceux qui se feront appeler les Artisans de la paix remettaient aux autorités françaises l’arsenal d’ETA. Entre les deux dates, un complexe jeu de relations, contacts discrets, liens de confiance, parfois d’amitié entre les acteurs. Jusqu’au sommet de l’État.

Communiqués croisés

Le 16 décembre 2016, les forces de police antiterroriste interpellent cinq personnes dans une maison de Louhossoa. On parlera bientôt des Artisans de la paix.
archives Gaizka Iroz/AFP

jusqu’au sommet de l’État, une histoire de confiance à la frontière du légal

Vendredi 16 décembre 2016. Les équipes du Raid, de la Sdat (antiterrorisme) et de la DGSI (sécurité intérieure) entrent, vers 20 h 30, dans la maison de Louhossoa. Arrestation de cinq personnes : Béatrice Molle Haran, Txetx Etcheverry, Michel Berhocoirigoin, Michel Bergouignan et Stéphane Etchegaray. Vers 3 heures du matin, un communiqué du ministre de l’Intérieur Bruno Leroux salue « un nouveau coup dur porté à ETA ». D’autres communiqués fusent, rédigés par anticipation par ceux de Louhossoa. Ils informent de leur arrestation et de leurs visées pacifiques.

« C’est pas…

Les 2 et 3 avril, le tribunal correctionnel de Paris jugera Béatrice Molle Haran et Jean-Noël « Txetx » Etcheverry pour « port, transport et détention d’armes et d’explosifs en relation avec l’organisation terroriste ETA ». Plus de sept ans après leur tentative de « neutraliser » des armes de l’organisation séparatiste basque, le 16 décembre 2016, à Louhossoa. Un acte qui se voulait « électrochoc » vers le désarmement complet d’ETA. Il interviendra le 8 avril 2017, à Bayonne. Ceux qui se feront appeler les Artisans de la paix remettaient aux autorités françaises l’arsenal d’ETA. Entre les deux dates, un complexe jeu de relations, contacts discrets, liens de confiance, parfois d’amitié entre les acteurs. Jusqu’au sommet de l’État.

Communiqués croisés

Le 16 décembre 2016, les forces de police antiterroriste interpellent cinq personnes dans une maison de Louhossoa. On parlera bientôt des Artisans de la paix.
archives Gaizka Iroz/AFP

Vendredi 16 décembre 2016. Les équipes du Raid, de la Sdat (antiterrorisme) et de la DGSI (sécurité intérieure) entrent, vers 20 h 30, dans la maison de Louhossoa. Arrestation de cinq personnes : Béatrice Molle Haran, Txetx Etcheverry, Michel Berhocoirigoin, Michel Bergouignan et Stéphane Etchegaray. Vers 3 heures du matin, un communiqué du ministre de l’Intérieur Bruno Leroux salue « un nouveau coup dur porté à ETA ». D’autres communiqués fusent, rédigés par anticipation par ceux de Louhossoa. Ils informent de leur arrestation et de leurs visées pacifiques.

« C’est pas vrai  !  »

Frédérique Espagnac, sénatrice des Pyrénées-Atlantiques : « On sait tout de suite que ce n’est pas une arrestation banale. »
Nicolas Mollo

« Il y avait des tweets. On a vite su les noms. Des noms qu’on connaissait », se souvient la sénatrice Frédérique Espagnac. « On sait que ce n’est pas une arrestation banale. On commence à faire des alertes vers le gouvernement. » La parlementaire a travaillé sous la direction du socialiste Stéphane Le Foll, au cabinet de François Hollande, entre 1998 et 2009. Les messages partent. Le Breton est, en 2012, le premier ministre de l’Agriculture à venir inaugurer le salon Lurrama, à Biarritz. Il connaît et respecte le paysan syndicaliste Michel Berhocoirigoin. « Quand je lui dis le nom de Michel, il me répond ‘‘c’est pas vrai  ! ’’… »

« Cher François… » Le président de la FFR écrit à celui de la République

Pierre Camou, président de la FFR, et le président de la République François Hollande, ici lors de la Coupe du monde de rugby 2015, à Londres. Les rencontres du XV de France ont amené les deux hommes à se côtoyer.
archives Alain MOUNIC

Frédérique Espagnac reçoit bientôt un message du regretté Pierre Camou, patron de la Fédération française de rugby (FFR). Le bonhomme de Garazi est l’oncle de Txetx Etcheverry. « Mon gosse », écrit Camou qui s’insurge contre l’arrestation de ces « gens de paix ». Il veut le contact de François Hollande. Le président de la FFR écrit un SMS à celui de la République : « Cher François… » François Hollande répond quelques mots d’apaisement.

Léger contrôle judiciaire

Chacun active ses réseaux. « Dès le samedi soir, à Paris, il est clair qu’on n’est pas dans une affaire classique de terrorisme », sait Frédérique Espagnac. Malgré le transfert des cinq à la sous-division antiterroriste de Levallois-Perret et l’ouverture d’une enquête pour « association de malfaiteurs en lien avec une organisation terroriste ». Lors des interrogatoires, le ton des enquêteurs change très vite. « Certaines personnes savaient dès dimanche que nous serions libérés », apprendra Txetx Etcheverry. Les suspects recouvrent la liberté après 96 heures de garde à vue, soumis à un contrôle judiciaire minimaliste. L’histoire va s’accélérer.

Depuis sa garde à vue, Txetx Etcheverry a fait passer un premier message griffonné sur papier en direction de Bruno Leroux. ETA accepte de déléguer son désarmement aux Artisans de la paix, ils vont le faire et proposent à l’État de prendre la main.

Éric Morvan, l’homme clé

« La clé de cette affaire, c’est le lien de confiance entre Éric Morvan et Bernard Cazeneuve », souligne Frédérique Espagnac. Le premier, alors préfet des Pyrénées-Atlantiques, fut sous-préfet de Bayonne et directeur adjoint de Bernard Cazeneuve au ministère de l’Intérieur. Celui-ci, devenu Premier ministre, compte avec Morvan un relais sûr au Pays basque. Morvan vient seul rencontrer Txetx Etcheverry à Bayonne. « Les Artisans de la paix m’ont dit le sens de leur démarche », se souvient le haut fonctionnaire aujourd’hui à la retraite. « C’est d’abord le doute qui m’envahit. » Mais il « approuve en tant que citoyen ».

Éric Morvan (à droite), homme de confiance et proche de Bernard Cazeneuve (à gauche).
Archive Quentin Top

Il va défendre le projet du 8 avril. « J’ai été très seul pendant longtemps. Personne n’avait très envie de se mouiller dans cette affaire. Il apparaissait clairement au plus haut niveau de l’État que se dessinait un schéma qui pouvait être totalement limite du point de vue du droit pur. » Des civils qui transportent les armes d’une organisation terroriste pour les remettre à la justice… Frédérique Espagnac insiste sur « l’engagement de Morvan qui va prendre des risques personnels ».

Bernard Cazeneuve et la confiance des amis

Bernard Cazeneuve a un ami commun avec Txetx Etcheverry et Michel Berhocoirigoin : François Dufour, ancien dirigeant de la Confédération paysanne et d’Attac. « On fait passer des messages à Cazeneuve par François Dufour », retrace Txetx Etcheverry. Le 24 janvier 2017, l’ami fait remonter au Premier ministre une demande de réunion des Artisans de la paix. José Bové, autre trait d’union entre les Basques et Cazeneuve, plaide pour ses amis. Morvan, Dufour, Bové : trois voix qui ont compté pour le Premier ministre.

François Dufour et José Bové ont en commun bien des combats paysans et un lien de confiance fort avec Bernard Cazeneuve. Leurs voix ont compté auprès du Premier ministre.
archives ERIC CABANIS – AFP

Le ministre de l’Agriculture et le paysan basque

Le 16 février 2017, Bernard Cazeneuve revient vers François Dufour et suggère d’organiser une réunion à son retour de Chine, où il est en voyage officiel du 21 au 23 février. La rencontre n’aura jamais lieu. Mais le 17 février, Stéphane Le Foll reçoit Michel Berhocoirigoin au ministère de l’Agriculture. « Il savait que j’étais mis en examen dans l’affaire de Louhossoa », relevait Michel Berhocoirigoin, en juin 2017. Le geste est fort. Le paysan de Gamarthe, aujourd’hui décédé, expose la détermination des Artisans de la paix à aller au bout du désarmement. Le Foll promet de « faire remonter » au premier ministre.

En 2012, Stéphane Le Foll est le premier ministre de l’Agriculture à venir inaugurer le salon de l’agriculture paysanne, Lurrama. Laborantza Ganbara, la chambre d’agriculture alternative au Pays basque, a fait face à l’État durant cinq ans de procédure et l’a emporté.
Archive Jean-Daniel Chopin

Leroux veut les armes

Les tractations sont intenses tout le mois de février 2017. Mais dès les derniers jours de 2016, Frédérique Espagnac a eu « des échanges avec l’Élysée, mais pas directement avec le président ». Le désarmement fait débat en hauts lieux. Bruno Leroux appuie l’idée. Ne pas se fier à son communiqué premier, la nuit de Louhossoa, influencé par des décennies de communication impulsée par Madrid sur le sujet ETA. « Il était en Allemagne, ce n’est pas lui qui le rédige. Au contraire, il va plaider rapidement pour qu’on ne laisse pas les armes dans la nature. » En substance : « Je suis ministre de l’Intérieur, je serai comptable si on ne saisit pas l’occasion de récupérer ces armes et qu’elles se retrouvent un jour dans un attentat. » La France sort des tueries de « Charlie Hebdo » et du Bataclan, le contexte de menace terroriste pèse lourd.

Bruno Leroux, ministre de l’Intérieur, lors de l’inauguration du commissariat de Bergerac.
Archive Loïc Mazalrey

Le gouvernement « laissera faire »

Le 22 février, Bruno Leroux confirme à Frédérique Espagnac que le gouvernement français a décidé de « laisser faire le désarmement ». La France l’a annoncé à l’Espagne au sommet de Malaga, le 20 février. Pour la première fois, elle agit sur « la question basque » indépendamment de Madrid. Txetx Etcheverry : « Le 24 février, Frédérique Espagnac nous fait redescendre le message. Je lui dis que nous laisser faire n’est pas assez… »

Ni barbouzeries ni arrestations

Les Artisans de la paix espèrent la coopération de l’État sur deux points majeurs. Ils ne veulent que la police française pour la restitution des armes et s’inquiètent de sa rapidité d’intervention. « On craint que les Espagnols n’aient l’information sur les points de restitution, qu’ils aillent plus vite et qu’on retrouve un jour les armes dans une barbouzerie destinée à contrecarrer le processus de paix. C’est peut-être ridicule, mais nous sommes marqués par des décennies de guerre sale. »Et puis « les Artisans de la paix demandaient à l’État une certaine compréhension, pour que ceux qui allaient participer au désarmement n’aient pas de soucis », rembobine Éric Morvan. Ceux qui transporteraient les armes cachées dans des maisons vers des points de restitution pourraient être inquiétés. « On demande une réunion technique sur tout ça », confirme Txetx Etcheverry.

Le compte à rebours lancé dans les colonnes du « Monde »

Elle tarde, malgré les relances à Bernard Cazeneuve de discrets émissaires, dont l’ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira. Les Artisans de la paix décident de brusquer les choses. Le 17 mars 2017, ils publient une tribune dans « Le Monde ». La date du 8 avril est annoncée. Avec ou sans le concours de l’État, le désarmement se fera. Les Artisans de la paix sentent un contexte politique français plus que jamais favorable, ils veulent agir avant les élections présidentielles de mai 2017.

Cazeneuve à Pau

Le 20 mars, Bernard Cazeneuve vient à Pau. Éric Morvan, Frédérique Espagnac, le président de la Région Alain Rousset, le maire de Bayonne Jean-René Etchegaray, réunis autour de la labellisation « i-site » de l’Université de Pau et des pays de l’Adour (UPPA). En marge de l’ordre du jour officiel, le 8 avril. « Il s’agissait de présenter un scénario du désarmement à Bernard Cazeneuve », éclairait Jean-René Etchegaray en décembre 2017.Ce dernier évoque les demandes des Artisans de la paix. Le Premier ministre ne peut promettre l’immunité des protagonistes, il se réfère à l’État de droit, il ne peut pas parler au nom de l’autorité judiciaire. Mais il glisse cette pirouette : « Vous ne nous imaginez tout de même pas arrêtant Michel Tubiana… » Le président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, membre connu du groupe de Louhossoa. « Sans Cazeneuve, rien n’était possible, juge Jean-René Etchegaray. Il a joué un rôle essentiel. L’État est devenu facilitateur. »

Visite de Bernard Cazeneuve à Pau, le 20 mars 2017. En marge de rendez-vous, il rencontrera des représentants basques qui porteront la parole des Artisans de la paix. Parmi ceux-ci, la sénatrice Frédérique Espagnac et le maire de Bayonne Jean-René Etchegaray. Une rencontre à l’initiative du préfet Éric Morvan.
Archive David Le Deodic

Les interlocuteurs entrent dans le concret. L’État français veut une restitution des armes en une seule fois. Que les coordonnées GPS ne soient pas remises au préfet, comme initialement envisagé par les Artisans de la paix, mais au procureur de Bayonne, Samuel Vuelta Simon.Mais Bernard Cazeneuve n’a pas rassuré les Artisans de la paix, quant aux risques de poursuites. Le 22 mars, Michel Berhocoirigoin le dit à Éric Morvan, en marge d’une réunion agricole, à la préfecture de Pau. « Aucune ministre ne peut vous dire ou écrire qu’il n’y aura pas de poursuites », tempère le préfet. « Mais à cadre exceptionnel, lecture juridique exceptionnelle… » Le soir même, Éric Morvan appelle Txetx Etcheverry et lui propose un rendez-vous. Le 24 mars, le représentant de l’État le reçoit en sous-préfecture. « On a des discussions opérationnelles, qui fait quoi, comment. Par exemple, il ne fallait pas qu’un simple contrôle routier intervienne pendant le transport des armes le jour du désarmement. »

« Cette réunion n’existe pas… »

Le 3 avril 2017, le militant altermondialiste a rendez-vous à la préfecture de Région, à Bordeaux. « Pierre Dartout, le préfet, me dit ‘‘cette réunion n’existe pas dans mon agenda…’’ » Morvan est présent à cette réunion de travail.

Pierre Dartout, préfet de la Région Aquitaine à l’époque du désarmement d’ETA.
archives AFP/BORIS HORVAT

Le 5 avril au soir, Txetx Etcheverry et Éric Morvan se revoient discrètement dans une salle à l’étage du restaurant Le Victor Hugo, à Bayonne. « Morvan a vu Cazeneuve, ils ont parlé des détails du plan. Ils vont faciliter les choses. » Ce jour-là, le préfet confirme que seuls les policiers français interviendront dans le désarmement.

« On changeait de bar à chaque fois »

Les deux hommes se reverront le lendemain, puis la veille du désarmement, le 7 avril, 17 h 45, au bar Chez Étienne. « On changeait de bar à chaque fois. » Les autorités ont un problème : les 300 journalistes que les Artisans de la paix prévoient d’embarquer sur les points de restitution des armes. « Le gouvernement n’en veut pas. Mais pour nous, c’est une garantie en cas d’arrestation. Car on n’avait pas d’assurance. »

Samuel Vuelta Simon est le procureur de Bayonne qui aura œuvré au désarmement d’ETA. Le Galicien d’origine connaît parfaitement la « question basque », il a été pendant quatre ans magistrat de liaison auprès des autorités judiciaires espagnoles, à l’ambassade de France à Madrid. Un an et demi avant le désarmement d’ETA, il cosignait aux Presses universitaires de France le livre « La justice française contre ETA ».
Archives Jean-Daniel Chopin

Elle va être donnée autour d’un café. Éric Morvan a transmis les demandes des Artisans de la paix à Samuel Vuelta Simon, qui en a parlé à François Molins, alors procureur de Paris, compétant sur les questions de terrorisme. « Ils ont arrêté ensemble l’attitude à avoir par rapport à la demande des Artisans de la paix. Ils l’ont regardée avec le pragmatisme nécessaire », glisse le serviteur de l’État. Samuel Vuelta Simon connaît finement la « question basque ». Il a été pendant quatre ans magistrat de liaison auprès des autorités judiciaires espagnoles. Un an et demi avant le désarmement d’ETA, il cosignait aux Presses universitaires de France le livre « La justice française contre ETA ».Les acteurs civils feront l’objet de simples contrôles d’identité, c’est promis. Dans la soirée du 7 avril, tous les journalistes accrédités reçoivent un message : changement de programme, l’accès aux points de restitution ne sera pas possible.