En information, quand quelque chose de gros se passe, c’est avec leur téléphone que les gens ont désormais le réflexe de s’informer, affirme Joëlle Girard, journaliste à Radio-Canada.ca. Et c’est nous, au web, qui sommes au bout de ça.
Quand mon rédacteur en chef m’a commandé des textes sur le métier d’informer pour Les coulisses de l’info, j’ai résolu d’en faire un sur cette équipe dont je fais partie depuis plus de 12 ans. Écrire sur son travail est délicat, forcément subjectif, mais j’y tenais.
Travailler au web est affaire d’écriture, souvent dans l’urgence. L’info en continu n’attend pas. Je me souviens d’un des premiers textes d’importance que j’ai eu à écrire; j’ai demandé à mon secrétaire de rédaction (chef de pupitre, dans le jargon) quelle était l’heure de tombée. C’est quand t’es prête, a-t-il répondu. Autant dire là, maintenant.
Cela dit, le manque de temps n’est jamais, jamais une excuse lorsqu’on commet une erreur. L’ignorance non plus. C’est le lot de tout journaliste en info continue (web, radio ou télé) : il faut penser, comprendre et écrire vite, tout en prenant le temps de bien faire.
Or, nous sommes des généralistes : politique internationale, fédérale, provinciale, municipale, économie, environnement, santé, justice, faits divers… Notre champ d’action englobe tout, sauf les arts et les sports (qui relèvent d’autres équipes).
Comme on ne peut pas tout savoir, il y a péril lorsqu’un sujet, imprévu, biscornu, nous tombe dessus.
Ne pas maîtriser un sujet est l’une des choses qui me dérangent le plus, reconnaît Stéphane Bordeleau, l’un des premiers journalistes à avoir été embauchés à Radio-Canada.ca. Quand ça arrive, je commence par donner la nouvelle. Tout le temps. Puis je fais des recherches, j’approfondis, pour répondre aux questions que le lecteur se posera.
On fait un travail d’agrégation, une synthèse cohérente du travail des collègues sur le terrain et d’autres sources d’information, authentiques et confirmées, explique Marc-Antoine Ménard, qui exerce depuis 16 ans le métier de secrétaire de rédaction à Radio-Canada.ca.
D’où on tire nos nouvelles? Les sources sont multiples, une vraie mosaïque : il y a le travail des reporters, nos yeux et nos oreilles sur le terrain, et celui des agences de presse, les conférences de presse qu’on suit à distance, et enfin nos propres recherches, entrevues, vérifications.
La journaliste Joëlle Girard, à la rédaction numérique depuis maintenant plus de cinq ans, y a aussi occupé à peu près tous les postes possibles, en plus de couvrir toute la gamme de sujets que peut apporter l’actualité.Photo : Radio-Canada / Ivanoh DemersNos effectifs sont répartis sur deux lignes. La première s’occupe de l’actualité, ce qu’il faut savoir aujourd’hui et maintenant. La seconde ligne, apparue dans les dernières années, enquête et décortique des enjeux de société qui nécessitent un travail de plus longue haleine.
Dans le fond, on est le média écrit de Radio-Canada, dit Marc-Antoine Ménard. On fonctionne à la fois comme un média en continu, selon le modèle dernière heure de la télé et de la radio, et comme un média écrit qui prépare des contenus pour le lendemain.
À Radio-Canada, la radio et la télévision sont des institutions (Nouvelle fenêtre) : la première a vu le jour en 1936 et la seconde en 1952. Certaines émissions sont des références, certains événements, des traditions.
Et puis Internet est arrivé, bouleversant le monde de l’information et le monde tout court. En 1997, le diffuseur public s’est doté d’un site de nouvelles sur Internet.
Ce site est plus vivant que jamais.
D’avril 2021 à mars 2022, Radio-Canada.ca a rejoint en moyenne 5,9 millions d’internautes chaque mois, selon comScore. Comparativement à la même période en 2017, c’est une hausse de 54 %.
Le web est un médium complètement différent de la radio ou de la télé, explique Joëlle Girard, qui est passée par l’Agence QMI et La Presse avant de se joindre à Radio-Canada.ca. Ce n’est pas parce que t’es un bon journaliste, capable de faire sortir la nouvelle et de faire de bons topos radio ou télé, que t’es capable d’écrire un texte.
L’écriture web a ses propres codes, poursuit-elle. Il faut trouver un bon titre (pas trop long), écrire un bon lead (l’amorce, qui accroche le lecteur), introduire correctement une citation, illustrer le propos avec des images pertinentes, des tableaux, des vidéos…
Comme les urgences d’un hôpital
L’actualité ne connaît pas de trêve. Certaines périodes sont moins trépidantes, mais les temps morts n’existent pas. Comme le dit Stéphane Bordeleau : quand tu commences ton quart de travail, tu dois être prêt.
Tu ne sais jamais ce qui va arriver et tu ne sais jamais comment ça va finir […] Tu dois avoir l’esprit libre, malgré les soucis de la vie, et être dans un état constant de mobilisation intellectuelle.
La salle des nouvelles web fonctionne un peu comme les urgences d’un hôpital, illustre-t-il. Tu t’occupes des nouvelles qui se présentent.
Par définition, une nouvelle est un sujet d’intérêt public, un événement qui vient changer le cours de l’actualité.
« C’est le clou qui dépasse, une nouvelle information qui se démarque parmi tout ce qu’on connaissait jusqu’à présent. »— Une citation de Marc-Antoine Ménard, secrétaire de rédaction
En juillet 2020, une voiture retrouvée accidentée et inoccupée sur l’autoroute 20 laisse présager le pire quant au sort de deux fillettes portées disparues au Québec. « Tu dois avoir l’esprit libre et être prêt », dit le journaliste Stéphane Bordeleau pour décrire dans quel état d’esprit il commence son quart de travail à Radio-Canada.ca.Photo : Sûreté du QuébecCertaines nouvelles suscitent plus de clics que d’autres. Ainsi, suivant les chiffres colligés par comScore pour Radio-Canada.ca, deux mois ont atteint la barre des 7 millions de visiteurs : mars 2020 – avec le début de la pandémie – et janvier 2022 – avec le décès de Karim Ouellet, la controverse entourant des fêtards sur un vol de Sunwing, le départ d’Horacio Arruda…
Quand une nouvelle de dernière heure survient, c’est l’équipe de Radio-Canada.ca qui fait retentir une alerte dans vos téléphones intelligents.
Au web, dès que quelque chose se passe, t’es déjà cinq minutes en retard parce qu’il faut immédiatement alerter le lecteur, explique Joëlle Girard.
Le 11 juillet 2020, Joëlle Girard a rédigé l’alerte qui suit : La Sûreté du Québec confirme le décès des deux fillettes portées disparues dans le secteur de Saint-Apollinaire.
Cette nouvelle, que le Québec appréhendait depuis trois jours, a été suivie d’un texte qui a été constamment mis à jour parce que les gens veulent les dernières informations, poursuit la journaliste.
« Pas question de dire n’importe quoi. Nous, à Radio-Canada, on a des principes de base à respecter, qui sont nos normes et pratiques journalistiques. »— Une citation de Joëlle Girard, journaliste
C’est dans ces moments-là qu’il y a le plus d’intensité, parce que tout se passe en même temps. Il faut appeler les policiers s’il y a lieu, faire une certaine cueillette d’informations, écouter le point de presse, trouver des photos et vérifier tous les faits… En plus de répondre à tout le monde qui nous sollicite. Il faut savoir établir les priorités à travers les priorités et gérer son stress.
Une tâche immensément humaine
Quand le dernier rédacteur part vers 1 h du matin, le pupitre de nuit reste seul au milieu des écrans.
« Dans les grosses journées de nouvelles, nous couvrons les événements en continu et nous avons aussi, à l’occasion, des textes complémentaires; ça c’est un très bon travail médiatique », dit Marc Gosselin, secrétaire de rédaction la nuit à Radio-Canada.caPhoto : Radio-Canada / Ivanoh DemersIl n’y a rien de plus tripant que de couvrir un breaking news qui arrive à des heures impossibles, dit Marc Gosselin, ex-journaliste des Affaires entré en 2017 à Radio-Canada.ca
Les deux fusillades qui ont fait 51 morts dans deux mosquées de Christchurch se sont déroulées durant son quart de nuit. Les premières salves de l’invasion russe en Ukraine aussi.
Christchurch, ça se déroulait de minute en minute […] et c’était particulièrement effrayant, se souvient Marc Gosselin. Voir la mort en direct, c’est marquant.
Le tueur se filmait tout en exécutant son massacre. Ces 17 minutes d’horreur présentées en direct sur Facebook, Marc Gosselin ne les a jamais diffusées, conformément aux normes et pratiques de Radio-Canada. La diffusion d’images ou d’extraits sonores susceptibles de bouleverser une partie de l’auditoire est limitée à ce qui est nécessaire à la compréhension du sujet.
La job qu’on fait est immensément humaine, dit Marc Gosselin. Notre démarche est faite de raisonnements et de jugements journalistiques.
« On soupèse des choses : est-ce que j’intègre cet élément-là dans le texte ou pas? Est-ce d’intérêt public? »— Une citation de Marc Gosselin, secrétaire de rédaction
Une personne prend une photo sur le site commémorant les 51 victimes de deux fusillades dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande.Photo : Associated Press / Vincent ThianAux aurores, l’actualité dans le monde est bien engagée et le pupitre de nuit donne l’impulsion, les premières orientations, à l’équipe du matin.
C’est être un peu devin; tu choisis les sujets qui ont du potentiel et quand, plus tard en journée, les histoires que tu as identifiées se développent, c’est satisfaisant, explique Dominique Degré, secrétaire de rédaction et journaliste, qui a commencé pour Radio-Canada à Ottawa-Gatineau.
Les écrits restent
Écrire pour informer signifie livrer la nouvelle, en donner le contexte et – espoir, espoir! – insuffler au lecteur le désir d’en apprendre davantage.
Cela signifie aussi de faire preuve d’une certaine créativité. Pour rendre l’histoire, il faut recréer tout un monde avec le texte comme matière première. Et les mots ont un poids. Moi je me questionne sans arrêt : si je dis ça comme ça, va-t-on comprendre? Et que va-t-on comprendre? À l’écrit, le flou se trahit instantanément. Il faut les mots précis, la bonne formulation.
Pour qui peine à écrire – ou à traduire en vitesse de l’anglais au français – le réviseur est une bouée, un contrôle qualité. Il ne touche jamais au contenu, mais veille à la qualité de la langue.
En 2004, Danielle Jazzar a été la première réviseure à être embauchée à Radio-Canada.ca. Elle a donné le ton : J’ai imposé cette manière de rentrer dans le texte et de moi-même corriger, après chaque publication.
Certains la surnomment œil de lynx et ça la fait rire… Elle dit plutôt poser sur les textes un regard neuf.
L’idéal, dit-elle, c’est de relire un texte plusieurs fois, chaque lecture se concentrant sur un aspect différent : typographie, lexique, style, cohérence, etc. Or, un journaliste dans l’urgence peut à peine se relire une fois ou deux, remarque Danielle Jazzar. Le réviseur prend le temps de relire, de parfaire le produit, pour qu’il soit le meilleur possible.
De plus, le fait de parler à la réviseure, de jouer avec les mots comme avec les pièces d’un casse-tête donne d’autres idées, ouvre d’autres avenues au rédacteur.
« Il y a tous les jours des défis, j’adore ça. »— Une citation de Danielle Jazzar, réviseure
Au travail, quand bien même la tâche est top, c’est nul si l’entourage est exécrable.
Pas ici. Pas au web. Cette équipe est chouette et je lui dois beaucoup. En plus, on rit, même quand les nouvelles nous entraînent on ne sait où comme un train fou. Des fois, quand on en a plein les bras, notre chef de pupitre Philippe Chevalier s’écrie joyeusement : On est en feu! Ça veut dire : on est bons, lâchez pas, on va l’avoir.
Je ne voudrais pas être ailleurs.