A qui profite la crise politique ?


Alors que l’armée russe est intervenue pour assurer la sécurité de certains sites stratégiques, la répression s’est durcie sur fond de luttes internes au pouvoir en place

A qui profite la crise politique ?

L’armée russe est intervenue pour ramener le calme dans les rues d’Almaty.

La Russie a envoyé des troupes sur place pour assurer la sécurité du pouvoir en place et de certains sites stratégiques, mais les troubles semblent également venir de l’intérieur du gouvernement, l’ancien chef du Conseil national de sécurité ayant été arrêté pour haute trahison. Alors, à qui profite la crise ? Et comment le Kazakhstan peut-il en sortir ? 20 Minutes a posé la question à deux experts.

Putsch et contre-putsch

alors que « vous n’avez pas un ratio équivalent dans une protestation classique avec des manifestants non-armés ». L’intervention russe a néanmoins conforté le président en place, et Nursultan Nazarbaïev, « qui n’est pas en exil malgré les rumeurs », précise Arnaud Dubien, a dû publiquement inciter « à se rassembler autour du président du Kazakhstan ». Pour autant, la défaite de celui qui a gouverné le pays pendant tente ans n’est pas actée. « La possibilité la plus probable est un statut quo », estime Carole Grimaud Potter. Loin d’imaginer une transition démocratique « comparable au printemps arabe », la chercheuse signale que Moscou n’aidera à l’organisation de nouvelles élections que « dans le cas où elles mèneraient à un gouvernement pro-russe ».

Les Occidentaux « hors-jeu »

La Russie n’est pas la seule à avoir des intérêts à défendre dans l’ancienne république soviétique, « à la croisée des chemins d’influences » en Asie centrale, selon l’enseignante montpelliéraine. Elle voit d’ailleurs dans ces troubles « les soubresauts du retrait des troupes américaines d’Afghanistan », et cite, parmi les pays qui peuvent perdre ou gagner avec cette crise, « la Chine qui investit dans le pays mais reste mal perçue » ou la Turquie via son Organisation des Etats Turciques. En revanche, l’Union européenne et les Occidentaux sont « hors-jeu » selon Arnaud Dubien, n’ayant « aucun levier pour agir ». Le destin du Kazakhstan semble donc se jouer pour une bonne partie au Kremlin, la Russie partageant 7.000 kilomètres de frontières terrestres avec lui. « Une frontière virtuelle », estime celui qui aussi directeur de l’Observatoire franco-russe, « ça peut vite déraper dans le sud de l’Oural et de la Sibérie si le Kazakhstan sombre dans le chaos ». Les Russes ont aussi des intérêts militaires stratégiques dans le pays, comme le Cosmodrome de Baïkonour. Néanmoins, contrairement au diplomate américain Anthony Blinken, le chercheur ne croit pas à une présence durable de l’armée russe au Kazakhstan. « C’est risqué en termes d’image, et l’intervention n’était pas souhaitée à la base », dépeuplant en partie le front ukrainien, « mais Moscou a considéré que ne pas bouger était encore plus risqué », souligne-t-il. Mais au-delà du potentiel de déstabilisation de la région, la crise kazakhe a surtout valeur d’alerte pour Vladimir Poutine. Qu’il s’agisse du fort rejet dont fait l’objet Nazarbaïev, ciblé par les manifestations en province, ou de la volonté de Tonkaïev de se débarrasser des hommes qu’il lui a laissé, cela illustre une « transition manquée » après 30 ans au pouvoir. Or, « la question va se poser en Russie où l’on tirera sûrement des leçons de la fin de la cohabitation Nazarbaïev-Tokaïev », prévient Arnaud Dubien. Si ce modèle de transition s’avère aussi peu efficace à Moscou qu’au Kazakhstan, « cela peut être dangereux ».