L’Héraultaise Margot Cauquil-Gleizes, enseignante de 53 ans, est l’une des plaignantes qui espèrent un procès contre l’ex-présentateur vedette.
36 ans après, qu’elle n’avait pas encore identifié ainsi dans son esprit.
La Biterroise d’origine, aujourd’hui enseignante en arts plastiques à Paris, vient de décider, mi-septembre, de déposer plainte pour ces deux affaires. Même si elles sont, a priori, prescrites (lire par ailleurs). Elle choisit de s’exprimer dans Midi Libre pour porter haut et fort le combat mené par le collectif de plaignantes avec cet objectif : obtenir un procès. PPDA, lui, nie en bloc, et a déposé des plaintes en dénonciation calomnieuse, notamment contre Mme Cauquil-Gleizes.
Pourquoi s’exprime-t-elle aujourd’hui ?
« Je veux que l’on soit entendu et cru. Le fait d’être toutes ensemble nous donne une crédibilité. Cela me permet aussi de cheminer, victime, on est affecté dans la construction de sa personnalité. Sans les autres, et je n’en connaissais encore aucune il y a un an, je n’aurais pas pu le faire, c’est une force collective ». Elle prend aujourd’hui le risque de se dévoiler publiquement : « Lever l’anonymat est compliqué, je suis enseignante, mais les parents, les élèves et la hiérarchie sont bienveillants, ma famille et mes proches également, comme mes deux fils ».
La rencontre avec Patrick Poivre d’Arvor, automne 1984
« Il m’a répondu rapidement. Ma mère décroche et, flattée, me dit : « Monsieur Patrick Poivre d’Arvor veut te parler ». À l’époque nous regardions le 20H tous les soirs, religieusement, je n’avais pas le droit de parler à table.
Il me dit qu’il serait ravi que je puisse lui soumettre mes textes et me demande aussi quels sous-vêtements je porte. Je suis mal à l’aise, je lui dis que je ne peux pas répondre, c’est pervers, mais je suis impressionné par le personnage ».
Le viol dénoncé dans un hôtel de Sète, printemps 1985
Les semaines passent, les relations épistolaires et téléphoniques se poursuivent. Elle reçoit deux cartes de PDDA écrites à l’encre violette qu’il affectionne. « Il me disait que j’étais douée, qu’il allait me publier. C’est le serpent hypnotiseur ». Jusqu’en mai 1985 où le présentateur vedette rallie Sète pour un événement littéraire. Rendez-vous est pris au Grand Hôtel. Elle pense présenter ses textes, la réceptionniste lui indique que Poivre d’Arvor l’attend dans sa chambre.
Tout va très vite : « Il m’ouvre, je vois une chambre petite, je me demande où est-ce que l’on va s’asseoir, il me dit bonjour mademoiselle, il me prend aussitôt, il me bascule sur le lit, il me déshabille, il se déshabille, il me pénètre et ça dure cinq minutes. Je suis dans un état de sidération, je ne connaissais pas alors ce mot. J’avais une alliance au pouce, il tapote son alliance contre la mienne et il me dit : « surtout ne vous mariez pas trop jeune ». Il part prendre une douche en me disant : « Maintenant j’ai des rendez-vous ». Je me rhabille mécaniquement et je pars ». PPDA, dans ses auditions, a toujours contesté l’absence de consentement.
Anne devient Margot
Son existence bascule. Elle n’en parle à personne et décide de s’appeler Margot et non plus Anne. « J’ai alors eu des difficultés à me construire » analyse-t-elle après quelques secondes de réflexion. « Il y a du déni, je n’en parle à personne, pas même au psy qui me suit, je veux oublier, cacher cette saleté. La dépression arrive quelques mois plus tard. Je comprends maintenant que c’était lié à cet épisode. J’ai changé de prénom, comme si je voulais changer de peau, mettre une plus belle robe, mon âme est blessée. Je me dis que Margot c’est mon nom de guerrière, avec « OT » à la fin, comme ôter quelque chose de glauque ».
PPDA : 20 femmes prennent la parole
Le livre où elle est comparée à un homard
en 1988, publie son livre « Les femmes de ma vie ». « Il m’avait demandé l’autorisation de publier une de mes lettres, et j’ai accepté. Je suis dans le déni, on continue à avoir des échanges, on se vouvoie, on ne parle jamais de cette rencontre à Sète » détaille-t-elle. Mais dans ce livre, le passage qui lui est consacré résonne sinistrement aujourd’hui : Margot y est comparée à « un homard », à saisir « pouce et index derrière les pinces » pour qu’elle ne s’agite plus et « ronronne ».
La publication ne heurte personne. Jusqu’à cet été 2022 où l’Héraultaise est alertée par ses camarades d’infortune du collectif. « J’en ai pris conscience il y a environ deux mois. Quand je relis le passage, c’est effrayant, c’est comme s’il décrit le viol de façon très imagé, je me suis dit c’est fou, il ose même le dire. Et dire qu’avec tout ce que nous décrivons, il n’y a pas eu d’expertise psychiatrique pour lui. »
La demande de « petite gâterie » après le 20H
« Là, c’est Docteur Jekyll et Mister Hide, charmant quand il lance les sujets puis odieux avec ses équipes, il change de visage. J’ai attendu 20 minutes qu’il débriefe son journal et il arrive. Il pose ses notes, je me lève, il me dit : « bonsoir, je suis content de vous revoir », il pose ses fesses sur le bureau et il me dit, comme un homme-enfant, avec une petite moue : « Oh, écoutez le journal a été vraiment très stressant pour moi, je suis vraiment tendu, vous ne me feriez pas une petite gâterie ? Tout en débraguettant son pantalon.
Pourquoi a-t-elle continué à le fréquenter ?
Pourquoi autant de plaignantes ont-elles continué à fréquenter la star ? « Il a déclaré que je n’étais pas sous emprise, il était dans tous les cas dans une position dominante parce qu’il était extrêmement connu » répond-elle. « Et puis encore faut-il avoir conscience que l’on a été violée. Grâce à la police, au major qui m’a extrêmement bien reçu, en mars 2021, j’ai enfin compris quand il m’a dit : « si, Madame, vous avez été violée » car il y a la notion de surprise.
Moi comme je n’ai pas résisté, je me sens coupable, j’ai honte et je me tais. Il y a le déni, on maquille cet événement horrible pour survivre. C’est aussi une question d’éducation, ça ne pourrait plus arriver aujourd’hui à des jeunes filles très informées, on aurait dû me dire : « tu ne montes jamais dans la chambre d’un inconnu, même si c’est PPDA ».
Comment vivre le statut de « prescrite »
Margot Cauquil-Gleizes, est soulagée. « Je suis enfin fière. De nous toute, je le dis avec un grand sourire. Je pense que ça va déciller les paupières de ceux qui veulent encore fermer les yeux ».
Et le livre d’Hélène (dans lequel son histoire est racontée NDLR), fera date, c’est un livre coup de poing (*). Aujourd’hui, beaucoup de femmes n’osent pas aller témoigner devant la police, je pense que nous sommes entre 60 et 90 dans cette affaire. Et on espère toutes un procès ».
(*) Hélène Devynck publie ce vendredi 23 septembre « Impunité » (Seuil), avec le récit de 23 plaignantes dont le sien.