Aliocha Wald Lasowski  : est-ce que tout est question de rythme  ?


L’édito de Charles Pépin : « J’aimerais ce matin vous raconter l’histoire d’un professeur, un professeur qui a raté son cours. C’est l’histoire de sa déception et de toutes les questions qu’il se pose. Pourquoi a-t-il été si mauvais ? Pourquoi les élèves ont-ils à ce point décroché ? Oui, pourquoi ? Pourtant, les connaissances, il les a, c’est même un des sujets sur lesquels il a le plus de connaissances.

Le désir d’enseigner et de partager ses connaissances, il l’a. L’envie de faire progresser ses élèves, il l’a. Et même la légitimité, la bonne alliance avec ses élèves, il les a.

Enfin d’habitude, il les a. Alors que s’est-il passé ? Pourquoi s’est-il retrouvé à ce point seul, à ne même plus s’intéresser lui-même à ce qu’il leur racontait ? Et si c’était, non pas une question de contenu, ni d’envie ni de légitimité, mais tout simplement, une question de rythme ? Il a commencé trop vite, sur un tempo trop rapide, il a accéléré trop vite, sans réussir à se mettre à l’écoute du rythme de ses élèves. Peut-être d’ailleurs qu’il était trop sur son rythme à lui, et en cela incapable d’être avec ses élèves, car pour être ensemble, ne faut-il pas réussir à s’accorder sur un rythme commun ? Soudain, il pense à Socrate, quel talent quand même, Socrate qui débarquait chez des hommes politiques, des boulangers, des ébénistes et se retrouvait à marcher avec eux dans la rue pour faire de la philosophie.

Comment faisait-il pour réussir à accorder son pas sur le pas de l’autre pour que la discussion, dans la rue, puisse se prolonger ? On l’a tous vécu, dans la rue, sur le trottoir, ce malaise quand l’autre ne marche pas au même rythme que nous : soit il va trop vite et on hâte le pas derrière comme un suiveur, soit il va trop lentement et il nous agace en freinant notre allure. Ah, ce n’est pas facile d’être ensemble, sur un rythme commun. Eh bien, Socrate avait une méthode : il abdiquait son rythme propre, d’une certaine façon il n’était soudain plus Socrate du tout, il commençait par régler son pas sur le pas de l’autre.

Et puis après, une fois qu’on est ensemble, sur le même rythme, tout est plus facile. Il suffit que l’un accélère ou que l’un ralentisse, et c’est l’être ensemble qui accélère ou ralentit. Mais d’abord, il faut se mettre au même pas.

N’est-ce pas ce qui lui a manqué, cette sagesse de Socrate, cette capacité à abdiquer son rythme propre ? Et voilà que cette question le projette des années en arrière… Avec sa femme, aussi, ça a merdé, ils ont divorcé… N’est-ce pas aussi, finalement, pour une question de rythme ? N’est-ce pas qu’ils n’avaient pas le même rythme de vie, qu’ils n’aimaient pas de la vie les mêmes rythmes, qu’ils n’ont réussi à trouver ni leur rythme de croisière, ni, tout simplement, leur rythme commun ?Mais bon, c’est du passé comme on dit, ce n’est pas la question, la question n’est pas pourquoi il a planté son mariage, mais pourquoi il a raté son cours ? À moins, finalement, que ce soit la même question, une question de rythme. Pour parler de cette question du rythme de nos vies et de notre capacité à trouver chacun notre rythme propre, j’ai la joie de recevoir un philosophe, un philosophe, mais aussi un musicien, qui a écrit 25 livres, dont ce joli livre aux éditions du Pommier, À chacun son rythme, Petite philosophie du tempo à soi, Aliocha Wald Lasowski qui nous a rejoints ce matin sous le soleil de Platon, dans la caverne de France Inter, pour nous aider à répondre à cette question : et si tout était finalement une question de rythme ? » A lire Aliocha Wald Lasowski, A chacun son rythme. Petite philosophie du tempo à soi, Le Pommier, 2023 Programmation musicale Etta James, Something’s got a hold on me Jewel Usain, Grand Générique Futuro Pelo