euthanasie : ce qu’en pensent les soignantsJamais dans un pays – la France – où l’on retarde sans cesse la confrontation à la réalité, on ne saura reconnaître franchement que l’on peut, précisément, avoir le désir d’en finir pour, comme le disait Godard à la Radiotélévision Suisse en 2014, ne pas devoir « être traîné dans une brouette ». Le temps du courage politique qui abolissait la peine de mort et autorisait l’avortement est révolu. Désormais, les mutations sociales les plus fondamentales, celles qui feraient du bien aux gens (énergie, climat, santé…) ne sont plus que l’objet d’annonces, de mesures minuscules, ou d’intentions remises à plus tard. Désormais, jamais dans ce pays où le désir de faire le moins de vague possible a réduit ce courage, on n’admettra que, face à un enfant pour qui on ne peut plus rien et qui souffre atrocement, aucune loi, aucun juge ne saurait décider de mettre fin à ses jours dans le cas où son père le souhaiterait et sa mère y serait opposée.
« Ces strictes conditions qui devraient « encadrer » ce qui est finalement toujours un acte de bonté – soulager l’autre qui n’en peut plus malgré tous les soutiens – avouent une crainte mue par le soupçon. »
Qu’un texte de loi, par de subtiles formulations, parvienne à envisager exhaustivement de telles situations, alors l’objectivité finirait par y dominer au détriment du subjectif, nous serions installés dans des cases : le sujet serait de facto réduit à un objet ; et l’on encadrerait, c’est tout. Qu’un autre texte de loi – cas le plus probable – n’y parvienne pas, alors toujours risquera-t-on de rendre illégale une décision qui serait humainement légitime. In fine, alors qu’on aura su abolir la peine de mort, on ne saura pas abolir la peine de vivre. Il n’est donc pas très étonnant que cet avis n° 139 du CCNE, le septième en la matière depuis 1991, n’avance qu’à petit pas comme on marche sur des œufs, avouant en filigrane son impuissance à penser la question comme le ferait, avec le tact et l’acuité qui s’imposent, l’écrivain ou le cinéaste.Pas étonnant non plus que ce même CCNE écrive la main tremblante qu’il subordonnerait « l’aide active à mourir » à « certaines conditions strictes », tant la question est abyssale, et dans l’espoir ingénu que l’addition de mesures endigue la démesure. Mais il y a pire : ces strictes conditions qui devraient « encadrer » ce qui est finalement toujours un acte de bonté – soulager l’autre qui n’en peut plus malgré tous les soutiens – avouent une crainte mue par le soupçon. Comme si, avant qu’aucun texte n’existe, il se passait souvent dans les maisons et les chambres d’hôpital les pires choses dont l’être humain serait capable envers l’un de ses congénères agonisant. Comme si, livré à lui-même, l’être civilisé devenait intrinsèquement inconséquent.
« Cette convention sera un formidable incubateur d’idées dont ne seront retenues que celles figurant déjà dans le cahier de brouillon des décideurs. »
qu’Emmanuel Macron vient de lancer euthanasie… Que recommande le comité d’éthique sur la fin de vie ?La France, mais pas certains de nos contemporains qui, au moment où j’écris ce papier, attendent. Comme celle sur le climat, cette convention sera un formidable incubateur d’idées dont ne seront retenues que celles figurant déjà dans le cahier de brouillon des décideurs. Il est pourtant presque certain que de cette convention émergera le bon sens, celui de citoyens qui, pour une très probable majorité, espèrent ne pas vivre la fin de leur vie sans ne plus avoir de vie. Ce mot – vie – à qui, pour en penser la fin, il est désormais d’usage non pas d’attribuer simplement l’expression « la fin de la vie », mais la « fin de vie », comme le garagiste le dit aussi d’une voiture ; ne serait-ce qu’un hasard ? si ce n’en est pas un, à tout le moins c’est bel et bien un « Adieu au langage ». Parler des « patients en fin de vie », c’est déjà faire entendre qu’ils erraient tous – je veux dire les mourants – semblables et indifférenciés, dans le lieu-dit Findvie, une zone dont seraient éloignés les vivants, singuliers, eux.
« Nous voilà donc à l’orée de quelques mois d’une montagne de débats d’où probablement naîtra une souris minuscule. »
Nous voilà donc à l’orée de quelques mois d’une montagne de débats d’où probablement naîtra une souris minuscule qui cherchera une fois de plus son chemin en Findvie.Il suffirait d’admettre par quelques mots qu’il est des exceptions où soulager au point d’abréger paisiblement la vie est justifiable, dans un texte qui ferait confiance en la sagesse ; alors je ne vérifierais plus la date de péremption de ce que je cache dans ma chambre.