«Mon année en enfer» : Sport/Foot Magazine


Timothy Dupont, vice-champion de Belgique en 2019,a été frappé par trois décès de proches en cinq semaines, en début d’année dernière. Il s’est accroché. Elle vient d’où, sa force intérieure? Rencontre avec un couple meurtri qui a décidé de regarder vers l’avant.

On y voit Timothy Dupont et sa femme Cindy Je craignais le jour où ça allait arriver.» TIMOTHY

«Mon année en enfer» : Sport/Foot Magazine

Chez eux, à Gistel, pas loin de la côte, Timothy et Cindy nous reçoivent le lendemain de Noël 2022. Pour nous faire le récit de leur annus horribilis. D’un point de vue purement sportif, tout avait bien commencé, les signaux étaient au vert. «Ma condition était bonne. En 2021, j’avais fait une sale chute à la Nokere Koerse, un nerf avait été touché et ça avait eu des répercussions sur ma respiration. Mais entre-temps, c’était oublié, j’avais entièrement récupéré.»L’hiver n’avait pourtant pas été de tout repos pour le couple. Le père de Cindy, malade depuis près de six mois, avait reçu un verdict sans appel au mois d’octobre : cancer en phase terminale, une tumeur installée derrière un poumon et des atteintes aux os. Impossible d’intervenir. «On savait qu’il ne s’en sortirait pas, les médecins avaient été très clairs», raconte-t-elle. «On avait décidé de passer aux soins palliatifs.»

Demande d’euthanasie

Puis vider la maison, rencontrer un notaire, se dépêtrer avec la compagnie d’assurances qui ne fait rien pour simplifier les choses. Timothy tente de se vider la tête en accumulant les bornes sur sa bécane. C’est dur, mais c’est son job. «À part une journée ou deux, quand le programme était vraiment trop chargé, je n’ai pas arrêté de m’entraîner et de faire des courses. Avec le recul, je me dis que j’aurais dû prendre une pause parce que ça n’a vraiment pas été simple pour Cindy. On a rendu un dernier hommage à mon beau-père le mardi 29 mars. Ce soir-là, je devais rejoindre mes coéquipiers à l’hôtel pour rouler À travers la Flandre le lendemain. Après la course, je suis rentré à la maison, et le jeudi, il y avait l’enterrement. Dans des moments pareils, vous devez soutenir votre famille. Finalement, j’ai bien géré ce drame. Mais un mois plus tard… Mon père…»

Quand tu entends la sonnerie du téléphone au milieu de la nuit, tu sais qu’il se passe quelque chose de grave.» CINDY

/h2> raconte Timothy ils avertissent sa sœur ils doivent organiser un enterrement. Alors qu’ils n’ont pas encore eu le temps de tout régler suite au décès du père de Cindy. Ils n’ont pas eu le temps de faire leur deuil. «Dans des moments pareils, vous vivez en pilotage automatique», explique-t-elle. «Vous passez d’un enterrement à un autre.» La femme du coureur explique tout ça en caressant la chevelure de Marilyn qui passe son temps à dessiner des petits bonhommes et surtout beaucoup de cœurs.

Un arrêt cardiaque après avoir sorti le chien

Il a averti la centrale en demandant que quelqu’un aille sur place. Cinq minutes plus tard, ils m’ont appelé et m’ont dit que ce n’était pas bon. Ils avaient enfoncé la porte et ils l’avaient découverte. Ils m’ont demandé s’ils devaient prévenir Cindy, je leur ai répondu que je préférais m’en occuper.»

Je continuais à m’entraîner. C’était pédaler pour pédaler.»’ TIMOTHY

«J’avais essayé plein de fois de l’appeler, mais je n’avais pas de réponse», se remémore Cindy. «Elle avait l’habitude de me rappeler très vite s’il y avait un appel en absence, donc je craignais le pire. Timothy m’a alors téléphoné, j’étais seule à la maison avec Marilyn. Il m’a demandé de sortir de la maison et m’a dit qu’on avait trouvé ma maman, qu’elle était décédée. Puis il m’a dit d’être forte, de rentrer et de faire comme si tout allait bien. J’ai attendu qu’il rentre pour qu’on conduise la petite chez ma meilleure amie, puis on est partis à Ostende. Je voulais revoir ma maman une dernière fois. J’en avais besoin.»La maman de Cindy avait succombé à un arrêt cardiaque. «On pense que ça pourrait avoir été provoqué par le chagrin», lâche Timothy. «On l’a retrouvée dans son fauteuil, devant la télé», continue Cindy. «Le médecin pense qu’elle est décédée à environ six heures du matin. Elle s’est probablement levée pour faire sortir le chien et elle se serait endormie devant la télé.»Et donc, nouvelle organisation d’enterrement ! Le responsable des pompes funèbres n’en croyait pas ses yeux. Cindy a finalement gardé peu de souvenirs de ces semaines folles. «Vous réglez tout, puis vous devez recommencer. Quand vous venez d’organiser un enterrement, vous ne vous attendez pas à ce qu’il y en ait un deuxième juste après. Et certainement pas un troisième.»

Enfin pro !

puis chez Carglass. Des boulots intéressants, mais le virus de la compétition était toujours là. «Je me suis rendu compte que j’avais encore envie de faire du vélo et j’ai décidé de faire les sacrifices nécessaires, tout en travaillant à temps plein.» Entre-temps, il avait rencontré Cindy. Tout ça n’était pas facile à combiner. Ils avaient peu de temps pour se voir. Mais leur couple a tenu.En 2012, il a percé avec l’équipe Jong Vlaanderen. À 25 ans, il est devenu champion de Belgique des Élites sans contrat. Cette année-là, il a remporté 17 courses. «Je ne comprenais pas qu’on ne me propose pas un contrat professionnel. Je ne pouvais pas aller chez Topsport Vlaanderen, ils m’ont dit que j’étais trop âgé. En 2013, j’ai encore gagné treize courses, certaines répertoriées UCI. Et j’ai enfin reçu ma chance, dans l’équipe Roubaix Lille Métropole.»

Des collègues qui ne savent plus ce qu’ils doivent dire…

il se lâche. «Il n’y a pas de raison de cacher tout ça, j’ai toujours été fort ouvert. À certains moments, ça me faisait du bien d’en parler. Parfois, je n’en avais pas envie. Aujourd’hui, c’est un peu plus simple parce que ça remonte à plusieurs mois, le temps fait lentement son œuvre.»Le monde du cyclisme professionnel reste en tout cas un milieu dur. Il a encore pu s’en rendre compte il y a quelques mois. Son équipe, Bingoal Pauwels Sauces, n’a pas voulu lui proposer un nouveau contrat aux mêmes conditions financières. Un nouveau coup dur au bout d’une année pourrie. «Il n’y a eu aucune compassion. Et on ne m’a jamais expliqué les raisons de cette décision. Aujourd’hui encore, je reste avec mes questions. Après tous mes malheurs, j’ai continué à faire de bonnes courses, j’ai même gagné cette étape du ZLM Tour, donc je n’ai rien à me reprocher. Heureusement, d’autres équipes ont cru en moi et m’ont approché. Je suis content d’avoir pu signer chez Tarteletto – Isorex, chez Peter Bauwens.»

Dans des moments pareils, quand les enterrements s’enchaînent, vous vivez en pilotage automatique.» CINDY

Le couple a tourné la page 2022. Avec plein de souvenirs. Et des problèmes qui n’en finissent pas. Il y a par exemple cette compagnie d’assurance qui leur fait des misères. Quand on leur demande s’il y a aussi eu des bonnes choses pendant cette année, ils se tournent tous deux spontanément vers Marilyn, toujours occupée à dessiner. Ils lui ont tout expliqué. «Elle sait ce qui est arrivé à ses grands-parents, elle est intelligente, elle a compris», lance Cindy. «Finalement, elle ne l’a pas trop mal vécu.» Timothy embraie : «Elle en parle parfois et je trouve que c’est bien. C’est dur, mais c’est arrivé. On commence à comprendre qu’il nous reste certaines choses importantes. Et on est en vie. Ça ne servirait à rien de tout voir en noir.» La conclusion de Cindy : «Nos parents avaient chacun leur caractère, mais ils n’étaient pas du genre à baisser les bras. Si on leur avait posé la question, ils auraient dit qu’on devait avancer.» Et une dernière anecdote de Timothy : «Il y a trois ans, mon supporter le plus assidu est décédé d’un cancer foudroyant. Il me suivait depuis que je roulais en Débutants. Ça a été dur à accepter. Le lendemain de sa mort, j’ai gagné la Napoleon Cup. Je me suis dit que ce n’était pas un hasard. Ça nous donne peut-être une force intérieure.»

vous pouvez contacter Télé-Accueil (107 wwwbe).

Timothy Dupont NÉ LE 1er novembre 1987 à GandPROFESSIONNEL DEPUIS 2014ÉQUIPES PROS : Roubaix Lille-Métropole (2014-2015), Verandas Willems (2016-2017), Wanty-Gobert (2018-2020), Bingoal (2021-2022), Tarteletto-Isorex (2023)PALMARÈS : championnat de Belgique Élites sans contrat (2012), Nokere Koerse (2016), GP Criquielion (2016), Antwerpse Havenpijl (2016), championnat de Flandre (2016), GP Scherens (2017), GP Schotte (2017), Schaal Sels (2018), victoires d’étapes et classement par points notamment au Tour de Bretagne, Tour d’Alsace, Tour de Normandie et 3 Jours de Flandre Occidentale, championnat de Belgique de strandrace (2018 et 2021), médaille d’argent au championnat d’Europe de strandrace (2019 et 2022).