L'IVG dans la Constitution, une "nécessité urgente"


La raison ? Fin février, le projet de loi gouvernemental va devoir passer la redoutable épreuve du Sénat, et cela s’annonce déjà compliqué, notamment parce que le président de la Chambre haute du Parlement français, Gérard Larcher, n’a pas caché son opposition à l’instruction du texte dans la Constitution ; l’IVG « n’étant pas menacée », selon lui.

Un avis non partagé par les mouvements féministes, pour qui la formulation proposée par le gouvernement dérange encore. Dans celle-ci, le texte présente une notion de « liberté garantie » et non plus de droit. « Le fait d’utiliser le mot liberté implique que l’État se désengage au niveau de l’accessibilité, du lieu, des modalités. », affirme Johnny Mézino, administrateur au Planning Familial 974. « Le principe d’obligation de l’État n’est plus reconnu », rapporte à son tour Shamia, de l’association Noustoutes974.

L'IVG dans la Constitution, une

Autre problématique pointée du doigt par l’association féministe  : « En se limitant aux femmes et non à toutes, le texte exclu les personnes non-binaires et transgenres qui peuvent en avoir besoin à un moment donné dans leur vie, ajoute Shamia. Les féministes sont très attentives parce qu’on veut vraiment protéger et garantir ce droit. »

 « Ce n’est pas une liberté, c’est un droit fondamental qui doit être protégé et la seule façon de le faire, c’est de l’instruire dans la Constitution »

Ce souhait de protection est notamment motivé par les remises en cause de ce « droit fondamental » aux Etats-Unis et dans certains pays d’Europe. L’inscription de l’IVG dans la Constitution « est une nécessité urgente », cadre Shamia. « Une avancée », complète Jenny Burtey du Planning Familial 974, surtout dans un contexte international inquiétant. « Si la France adopte cela, ce sera un grand pas », reconnaît-elle. « Beaucoup pensent que l’IVG n’est pas menacée en France, mais les Américaines le pensaient aussi et pourtant, ce droit leur a été retiré, reprend la militante de Noustoutes974. Ce n’est pas une liberté, c’est un droit fondamental qui doit être protégé et la seule façon de le faire, c’est de l’instruire dans la Constitution. »

En 2022, selon les derniers chiffres de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, ndlr), pas moins de 234 000 IVG ont été pratiquées en France. À La Réunion, en 2022, 4 786 IVG ont été enregistrées. « Globalement, une femme sur trois a recourt à l’avortement dans sa vie, rapporte Jenny Burtey. Cela touche énormément de femmes et à La Réunion, qui est isolée, les difficultés sont présentes. » Elle cite par exemple les inégalités sur le territoire à trouver des médecins et sage-femmes de ville. Exemple entre Saint-Benoît et Saint-Pierre, où « on ne compte que très peu de professionnels qui pratiquent l’IVG, poursuit Jenny Burtey. Pour une personne qui habite à Saint-Philippe et qui n’est pas véhiculée, cela devient vite compliqué. Dans les hauts, n’en parlons pas. »

Ce que déplorent les associations, ce sont aussi les fermetures des centres agréés qui pratiquaient l’IVG en France (130 ces 15 dernières années, ndlr) mais surtout, la double clause de conscience de médecins, qui reconnaît le droit de refuser tout acte médical autorisé par la loi, hors le cas d’urgence. « Il suffit qu’une personne aille voir un médecin, que lui fasse jouer sa clause de conscience et réoriente la personne ailleurs pour qu’il y ait un problème, commente Shamia. Où ira-t-elle pour pratiquer son IVG ? » Entre frais kilométriques et délais à respecter. « Beaucoup d’éléments rallongent les délais, ce qui pourrait obliger la personne à avoir un enfant dont elle n’a pas envie », avance la jeune femme.

Le texte transmis au Sénat

Pour Nathalie Bassire, l’une des 30 députés à avoir voté contre mardi soir, les professionnels de santé « ont réellement le droit à cette double clause de conscience. Cela fait partie de la démocratie. » Son choix de mardi soir, la députée réunionnaise le justifie par une « crainte que cette double clause soit supprimée ». « Le droit à l’IVG n’est pas en danger en France, ajoute-t-elle. Le Conseil constitutionnel n’a jamais remis en question ce droit depuis 1975, bien qu’il y ait eu des modifications concernant le délai à respecter. Si on l’inscrit dans la Constitution, je crains justement que ces deux notions soient modifiées par la suite. » Elle poursuit : « Si nous sommes une petite trentaine à s’opposer à cela, c’est que nous voyons de suite ce à quoi nous pouvons nous attendre plus tard. »

Mais voilà, « on voit qu’il y a une frange de la politique en France qui veut restreindre l’accès a l’IVG, répond Johnny Mézino. On pourrait effectivement se poser la question des délais car à l’heure actuelle, certaines personnes ne sont plus dans les délais français et sont obligées d’aller ailleurs pour accéder à leur droit. »

En attendant, les regards sont à présent tournés vers le Palais du Luxembourg. Après l’examen des deux chambres, il faudra, pour que le texte soit inscrit dans la Constitution, qu’il soit voté dans les mêmes termes par les trois cinquièmes des députés et des sénateurs réunis en Congrès, le 4 mars prochain. Soit quatre jours avant la Journée internationale des droits des femmes. En cas de refus des sénateurs de la notion de « liberté garantie », déplorée par une partie de la droite, tout serait à refaire.

P.B

> Le « réarmement démographique » de Macron ne passe toujours pas

Lors de sa conférence de presse du 16 janvier, le président de la République a déclenché une grande vague de débats en annonçant son plan pour « lutter contre l’infertilité ». Les mesures d’une politique nataliste ont rapidement fait réagir les mouvements féministes. « On est vraiment dans des propos d’extrême droite, nous confiait Shamia de Noustoutes974. Résumer la baisse de natalité par l’infertilité et au fait que les femmes font des enfants de plus en plus tard, qu’elles en font moins ou pas du tout et que ce n’est pas bien, cela revient à, encore, accuser les femmes de tous les maux du pays. C’est encore trop facile. » La militante fait aussi le lien avec l’IVG  : « Demain si les politiques veulent être dans une optique à stimuler la natalité, les premières mesures qu’ils prendront concerneront la suppression de la contraception et l’interdiction de l’IVG ». D’où la nécessité de l’inscrire dans la Constitution. Elle rappelle même  : « La dernière fois qu’il y a eu ce genre de politique nataliste en Hexagone, ce sont des enfants réunionnais qu’on est venu prendre pour repeupler les départements comme la Creuse. »

La date à retenir

En France, le droit à l’Interruption volontaire de grossesse est reconnu dans une loi ordinaire de 1975 : la loi Veil, qui marque ainsi la dépénalisation l’avortement en France. Elle est possible jusqu’à 14 semaines de grossesse et entièrement prise en charge par la Sécurité sociale.

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Chiffre 

81.

C’est le pourcentage de Français qui se disent favorables à l’inscription de l’accès à l’IVG dans la constitution française, selon le sondage Ifop de 2022.

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