Arthur Dénouveaux, au nom des autres


Présent au Bataclan le 13 novembre 2015, Arthur Dénouveaux s’en est sorti indemne physiquement. Depuis quatre ans, il est le président de l’association de victimes Life for Paris. Alors que le procès des attentats s’ouvre le 8 septembre à Paris, nous l’avons rencontré.

Le 13 novembre 2015, Arthur Dénouveaux, 29 ans, est au Bataclan. Seul. “J’avais proposé à ma femme, mais elle ne pouvait pas ce soir-là”. Dans la salle, en bon habitué des scènes rock, il croise plusieurs visages connus. D’autres, anonymes, retiennent son attention  : cet homme “avec une très belle moustache”, cette femme “d’une quarantaine d’années, cheveux courts”. Arthur Dénouveaux prend un verre au bar et se positionne dans la fosse “aux deux tiers sur la gauche”. C’est là qu’il croit d’abord entendre “une enceinte qui craque”, ôte ses boules Quiès. Et perçoit alors les rafales de kalachnikovs. 

Arthur Dénouveaux, au nom des autres

En mode survie

“J’ai l’image, très claire, de la gerbe d’étincelle qui sort” de l’arme, raconte Arthur Dénouveaux. Il passe immédiatement d’un mode festif à un autre, “purement reptilien de survie. Et je remercie ma chance de ne pas avoir eu à m’occuper de quelqu’un d’autre. Car soit je ne m’en serais pas occupé, soit ce mode-là ne se serait pas activé et je ne serais pas là pour en parler.” Arthur Dénouveaux traverse la salle “en rampant sur des gens qui étaient vivants et d’autres qui étaient morts”, atteint l’issue de secours derrière la scène – “je revois le tas de corps en bas de l’escalier” – et fuit. 

Il s’est écoulé à peine un quart d’heure depuis le début de l’attaque, dix minutes peut-être. “Mais dix minutes dans le Bataclan, ça change une vie”. À commencer par le traumatisme, la sidération, le soulagement d’avoir survécu. Et, très vite, ce besoin de “donner un sens à sa vie”. À tel point qu’Arthur Dénouveaux a imaginé ce qu’aurait été son portrait s’il avait fait partie des victimes décédées  : “je pense qu’on aurait dit que j’étais un type sympa, très bon élève, qui faisait une carrière exemplaire et qui avait une femme fabuleuse. C’est cool. Mais est-ce que c’est ça dont j’ai envie ?” Alors le jeune homme qui s’est pris “la fragilité de la vie en pleine face” a fait le bilan. “Comme si je devais écrire mon épitaphe.” 

Algorithmes et excellence

Le bilan, en l’occurrence, c’est une enfance parisienne. Une sœur de 15 ans son aînée, un frère de sept ans plus âgé. Des parents tous deux diplômés de Sciences Po. Pas vraiment de place pour la médiocrité. Arthur Dénouveaux l’a d’ailleurs totalement intégré  : lycée Molière, le bac à 16 ans, une classe prépa à Henri IV dans la foulée. “Une scolarité facile”, résume-t-il. 

Et puis “à 19 ans, j’ai eu le choix entre l’École Normale et Polytechnique”. Il choisit la seconde, pour “faire des maths”. Et de la finance. Il faut dire que son père a fait toute sa carrière à la Banque de France, sa sœur aînée travaille alors pour la BNP à New York, son frère à la Société Générale. Il opte d’ailleurs pour cette banque “assez marquée par l’affaire Kerviel, mais c’était sympa”. Arthur Dénouveaux y “fait carrière” dans les “algorithmes de trading”. Et s’y voit bien toute sa vie. Jusqu’au vendredi 13 novembre 2015. 

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« Dans le regard des gens, je ne redeviendrai jamais ce que j’étais avant »

Dès le lundi matin suivant, Arthur Dénouveaux retourne travailler. Mais “en fait, quand tu es victime de terrorisme, les gens te regardent différemment. Tu sens que tu n’es plus le cheval d’avenir.” Il vit sous anxiolytiques, est contraint à plusieurs arrêts de travail. Pas facile quand on a tant misé sur sa réussite professionnelle. “Ce sont des carrières où on te demande d’être à 120%. Là, j’étais peut-être pas à 100%, mais pas non plus à 50%”. 

Nous sommes le 13 juillet 2016. Le lendemain, survient l’attentat de Nice. « J’ai compris que je n’étais pas en état d’accepter l’offre”. Et même au-delà  : “dans le regard des gens, je ne redeviendrai jamais ce que j’étais avant. Alors autant changer.” Arthur Dénouveaux profite de sa clause de non-concurrence pour partir avec son épouse en voyage au Costa-Rica et en Nouvelle-Zélande. Deux mois de “bouffée d’air frais incroyable”. Et nécessaire. Car sa femme, rencontrée via des amis communs et épousée un an avant les attentats, “a récupéré un type physiquement intact mais psychologiquement éprouvé. Donc il a fallu se reconsolider.” Patiemment. 

S’ils envisageaient d’avoir un enfant avant novembre 2015, leur fille aînée ne naît finalement qu’en 2019. “Clairement, mes enfants n’ont pas le même père que si ça n’était pas arrivé”, estime-t-il aujourd’hui. 

Ils ont un papa qui a connu le stress post-traumatique, qui ne peut pas écouter des trucs sur le terrorisme sans se sentir très impliqué, qui fait des cauchemars. C’est sûr que ça marque les enfants.

Mais, et c’est selon lui une immense différence avec les familles endeuillées, “il y a aussi du positif”  : “mes enfants ont un papa qui a fait plein de belles rencontres, qui a écrit un livre avec un type brillantissime”. Le livre en question s’intitule « Victimes, et après ? », écrit avec Antoine Garapon aux éditions Gallimard. 

« Quelque chose d’un peu plus humain »

Un papa qui travaille désormais dans le secteur mutualiste : “je voulais faire quelque chose d’un peu plus humain, avec des valeurs différentes de ce que j’avais fait jusqu’alors.” Un papa toujours passionné de musique aussi  : lui-même guitariste, il retourne voir un concert dès le 8 décembre 2015, – « surtout parce que j’avais déjà acheté la place” – et devient plutôt habitué de l’Olympia où il a « repéré l’issue de secours, aux deux-tiers de la fosse à l’arrière”. 

désormais. Il rencontre ainsi Jean-Louis Aubert “qui voulait voir une asso de victimes avant de venir jouer au Bataclan. Il nous a demandé s’il pouvait jouer ‘La bombe humaine’, on a répondu oui”. Il devient très ami avec le chanteur des Queens of the Stone Age  : “ça aurait pu être le parrain de ma fille”. 

Et puis, les Eagles of Death Metal bien sûr. Quand le groupe parvient à sortir désorienté de la salle, Arthur Dénouveaux est juste derrière eux  : “je les ai fait courir boulevard Beaumarchais, je leur ai donné 50 euros et je les ai mis dans un taxi”. Depuis, il a été accueilli deux fois en Californie chez le chanteur du groupe. Alors oui, au bout du compte, pour Arthur Dénouveaux il y a du beau dans l’après 13-Novembre  : “ça m’a poussé à épanouir certains aspects de ma personnalité que je n’aurais pas développés sinon.”

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13 novembre l’enquête

Life for Paris

Puis il y a Life for Paris, association de victimes du 13 novembre, dont il devient le président en septembre 2017. “Ça m’est tombé dessus, je n’y avais jamais vraiment pensé”. Mais à ce moment-là, il se sent plus “stable sur appuis”. Et puis, “ça allège la culpabilité du survivant”. Et même si son épouse “se passerait bien de l’exposition médiatique” qui va avec la fonction, lui y a trouvé un équilibre grâce aussi aux sept autres adhérents du conseil d’administration et à la salariée de l’association. 

L’espoir d’un procès exemplaire

Il y a le procès, enfin, qui s’ouvrira le 8 septembre prochain à Paris. C’est dans cette perspective qu’il a accepté, pour la première fois, de se prêter au jeu du portrait. “Pour réussir à être président d’une association de victimes à long terme, c’est qu’on a la chance de ne pas aller si mal. Et il ne faut pas que ce soit une sorte de piédestal inaccessible pour les autres victimes. Donc j’ai toujours essayé de me mettre en retrait”.