Un huissier présente l’arme du crime, à la cour d’assises de l’Hérault, le 12 octobre 2022. AURORE LOEVSKY La boîte rectangulaire en carton blanc, longue et fine, trône au milieu du prétoire, posée à la verticale contre une table pour ne pas tomber. A gauche, le visage impassible d’Abderrahmane Khalid, 83 ans, qui a eu toutes les peines du monde à grimper les trois marches, soutenu par les policiers, pour se hisser dans le box des accusés. A droite, sur les tee-shirts de ses frères, sœurs, neveux et nièces qui ont pris place sur les bancs des parties civiles, le visage souriant d’Akila Cherrad, 73 ans : la photo a été prise quelques mois avant sa mort. L’huissier enfile des gants verts en latex, ouvre la longue boîte en carton et en sort une bêche, qu’il présente aux avocats, aux jurés, à la cour. La présidente, Sylvie Gossent, passe son doigt sur le tranchant de la lame en acier. Le 2 août 2018 vers 21 h 30, Abderrahmane Khalid a saisi cette bêche et asséné une quarantaine – au moins – de coups sur le crâne, le visage et le cou d’Akila Cherrad dans le garage de leur pavillon de Villemagne-L’Argentière (Hérault). Puis il a appelé les secours : « J’aimerais bien que la police et les pompiers arrivent parce que je viens de tuer ma femme. » Et il a attendu. Abderrahmane Khalid et Akila Cherrad étaient mariés depuis cinquante-quatre ans. Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Un père disparu depuis vingt ans, une famille déchirée et un accusé « hors de ce monde » : une histoire qui baigne dans l’étrange, le douteux et l’effroyable devant la justice Les photos du « fracas osseux majeur de presque tous les os de la face » et de la « disjonction cranio-faciale » décrits par l’autopsie ont été épargnées à l’assistance, mais à la vue de la reconstitution en 3D du crâne de la victime sur les écrans géants, on a compris qu’Abderrahmane Khalid n’avait pas exagéré lorsqu’il a expliqué aux policiers qu’il avait « fracassé la tête » de sa femme. A la barre, un premier médecin légiste a mis dix minutes à lister l’ensemble des lésions. Une seconde a fourni des précisions dentaires : on a retrouvé une couronne de la victime dans ses bronches, une autre enchâssée dans son palais fracturé.
« Une vie comme tout le monde »
A une époque, Abderrahmane et Akila se sont aimés. Pendant trois jours, du mercredi 12 au vendredi 14 octobre, la cour d’assises de l’Hérault a tenté de retracer l’histoire de ce couple pour comprendre comment la situation avait dégénéré jusqu’au massacre. Tous deux sont nés en Algérie, lui à Constantine, elle à Sétif, il est arrivé en France à 16 ans, elle à 5. Ils se sont rencontrés en 1964 à Grenoble, et ce fut tout sauf un mariage arrangé. Le père d’Akila avait dit à sa fille : « C’est un harki, il a trahi son pays. Si tu épouses cet homme, ne reviens plus chez moi. » Elle a épousé cet homme, qui avait fait le choix de la France pendant la guerre d’Algérie. Toute sa vie, Abderrahmane a réapprovisionné les pharmacies en médicaments. Akila a travaillé pour les laboratoires Boiron dès que leurs trois filles, Malika, Sonia et Nabila, nées entre 1965 et 1970, ont été assez âgées. Il vous reste 67.33% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.