Des astronomes remettent en cause la définition actuelle des planètes


Qu’est-ce qu’une planète, exactement ? Cette question peut sembler triviale, mais elle a suscité quelques échanges assez vifs dans la communauté des astronomes sur les dernières décennies. Récemment, trois d’entre eux ont décidé de relancer le débat en proposant de nouveaux critères qui pourraient ouvrir la voie à une nouvelle définition.

Officiellement, ce genre de question tombe dans le giron de l’Union astronomique internationale, dont le secrétariat se trouve à l’Institut d’astrophysique de Paris. Depuis 2006, cette organisation définit les planètes sur la base de trois critères. Pour entrer dans cette catégorie, un corps céleste doit d’abord avoir adopté une forme sphérique sous l’effet de sa propre gravité. Ensuite, il doit avoir nettoyé son orbite via le processus d’accrétion, à travers lequel le matériel qui jonche une orbite est progressivement assimilé par l’objet le plus massif. Pour finir, l’objet doit occuper une orbite autour d’une étoile bien précise, à savoir notre Soleil. Celles qui tournent autour d’autres astres ne peuvent donc pas prétendre au titre tant convoité, et on parle alors d’exoplanète.

Selon la définition actuelle, seuls les objets en orbite autour du Soleil peuvent être qualifiés de “planètes”. © ESA & NASA / Solar Orbiter / EUI / E. Kraaikamp (ROB) En résumé, une planète est officiellement une sphère qui domine sa propre orbite solaire au niveau gravitationnel.

Des critères peu rigoureux

Mais pour Jean-Luc Margot, Brett Gladman et Tony Yang, les trois auteurs de la proposition, tous ces critères sont à la fois trop vagues et trop peu rigoureux. Pour commencer, ils s’opposent fermement à l’idée que seuls les voisins du Soleil devraient être considérés. « Aujourd’hui, nous connaissons des milliers de “planètes” en orbite autour d’autres étoiles. La définition de l’IAU, en revanche, ne s’applique qu’à celles de notre système solaire, ce qui est évidemment une grosse faille », explique Margot, professeur d’astronomie et auteur principal du papier.

Les apparences sont parfois trompeuses; la Terre n’est pas parfaitement sphérique, ce qui pose un petit problème de classification. © NASA Et ce n’est pas le seul point que son équipe juge problématique. Car dès que l’on cherche à être rigoureux, on s’aperçoit vite que les deux autres critères manquent aussi cruellement de précision. Par exemple, il est de notoriété publique que la Terre n’est pas parfaitement ronde ; elle est légèrement élargie au niveau de l’équateur, à cause de la force centrifuge exercée par sa rotation. Or, tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit bien d’une planète. Dans ce cas, où faut-il placer la limite ? « La Terre n’est pas complètement ronde — alors quelle doit être la rondeur d’une planète ? », s’interroge son collègue Brett Gladman. Cette question pourrait sembler inutilement tatillonne, mais elle est en fait tout à fait légitime, car notre technologie actuelle ne nous permet pas de mesurer la forme de tous les autres corps célestes avec une précision suffisante pour déterminer s’ils sont plus ou moins ronds que la Terre. Même le dernier critère, celui de la domination gravitationnelle sur l’orbite, ne trouve pas grâce aux yeux du trio. « L’orbite de Jupiter est constamment traversée par des comètes et des astéroïdes, comme celle de la Terre. Dans ce cas, faut-il considérer que ces planètes n’ont pas nettoyé leur orbite, et qu’il ne s’agit donc pas de planètes ? Nous devons tracer une ligne dans le sable en intégrant des nombres exacts à ces définitions », continue Gladman.

Trois nouveaux critères pour une nouvelle définition

Pour éviter ces écueils, Margot, Gladman et Yang ont proposé trois critères alternatifs. Selon cette nouvelle définition, une planète est un corps céleste en orbite autour d’une ou plusieurs étoiles, naines brunes ou rémanents stellaires dont la masse est comprise entre 1023 kg et 2,5 x 1028 kg, soit 13 fois la masse de Jupiter. La limite de masse inférieure a pu être calculée assez facilement à partir des équations qui décrivent ce que les chercheurs appellent la domination dynamique — la capacité d’un objet à éjecter ou à assimiler les petits objets à proximité. En revanche, le problème est plus complexe pour la limite supérieure.

Pour la déterminer, les astronomes se sont basés sur un critère relativement arbitraire : la masse critique à partir de laquelle la fusion thermonucléaire du deutérium peut démarrer, faisant ainsi passer l’objet dans la catégorie des naines brunes (des objets trop légers pour entretenir la fusion de l’hydrogène, le principal moteur de la fournaise stellaire). Selon les auteurs, le fait de rattacher ainsi ces définitions à la quantité la plus facile à mesurer — la masse — permet de clarifier significativement les critères de classification. Les dirigeants de l’IAU vont sans doute prendre connaissance de ces propositions. Certes, un éventuel changement demandera moult concertations avec la communauté scientifique et n’arrivera dans tous les cas pas avant plusieurs années. Mais il est tout à fait possible que ces critères servent de base à une nouvelle classification plus rigoureuse, et donc plus à même de clore certains débats.

La “neuvième planète” toujours snobée

Mais même si la définition d’une planète finissait par évoluer, il y a un corps céleste pour lequel cela ne changera pas grand-chose : Pluton. Lorsqu’elle a été découverte en 1930, elle a initialement été considérée comme la neuvième planète du Système solaire. Mais au fil du temps, grâce aux progrès des techniques d’observation, les astronomes ont fini par réaliser qu’elle partageait sa zone orbitale avec de nombreux autres objets similaires dans la Ceinture de Kuiper. Par conséquent, elle ne répond pas au critère de domination dynamique. © NASA/JHUAPL/SwRI Lorsque la classification actuelle est entrée en vigueur en 2006, elle a donc été officiellement reléguée au rang de planète naine. Cette décision tranchée a fait l’objet de débats houleux aussi bien dans les rangs des astronomes que du grand public. Aujourd’hui encore, certains continuent de considérer Pluton comme une planète à part entière, et réclament une modification des critères pour corriger ce qu’ils estiment être un non-sens. Les partisans de ce positionnement seront sans doute déçus de constater que la définition proposée par Margot, Gladman et Yang ne changerait rien à son statut.

Mais au bout du compte, ce n’est pas vraiment le statut précis de Pluton qui compte. Planète ou pas, elle a tout de même joué un rôle crucial en forçant la communauté scientifique à reconsidérer la nature des objets qui nous entourent. Et en ce faisant, elle a indirectement contribué à la mise en place de méthodologies toujours plus rigoureuses pour mieux comprendre comment fonctionne notre univers — et ça, aucune institution ou définition ne pourra le lui enlever. Le texte de l’étude est disponible ici.

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