Attentats du 13-Novembre: «Ce procès était exemplaire»


Publié le : 30/06/2022 – 12:54Modifié le : 30/06/2022 – 12:55

Les magistrats de la cour d’assises spéciale de Paris ont rendu, mercredi 29 juin, leur verdict au procès des attentats de novembre 2015 à Paris et Saint Denis, les pires jamais commis sur le sol français. Des peines de deux ans de prison pour les plus légères à la perpétuité incompressible contre Salah Abdeslam, le seul membre des commandos encore en vie. Pour analyser ce verdict, Sharon Weill, professeure de droit international à l’Université américaine de Paris, chercheure associée au CERI à Sciences Po.

RFI : Un mot d’abord du verdict avec des peines différenciées selon le degré de responsabilité des différents accusés et cette perpétuité incompressible pour Salah Abdeslam. C’est rarissime.  Elle n’a été prononcée que quatre fois.Sharon Weill : Oui, exactement, et c’est comme ça que le président a commencé le verdict hier, en disant qu’on a répondu à toutes les questions, oui, sauf une. Tous les accusés sont reconnus coupables sur les accusations du Ministère public sauf un. Effectivement, on a eu perpétuité de cette manière-là pour quatre accusés qui sont morts ou présumés morts et Salah Abdeslam donc au total, cinq. Donc, effectivement, c’est rarissime.Une peine exemplaire, on peut le dire, pour un procès qui était hors normes, et particulièrement sous les projecteurs. Est-elle justifiée pour vous ? Justifiée, pas justifiée, c’est une autre question. Mais c’est vrai que ce procès était exemplaire. Il avait un rôle politique, on peut le dire. Je pense qu’hier, quand on a vu la salle d’audience qui était pleine avec 500 parties civiles, journalistes, et qu’on a entendu ce verdict devant une salle comme ça, ça faisait une impression très forte, et on a vu la Cour explicitement dire : « Voilà, ce qui s’est passé était inacceptable et les peines correspondent ».C’est la fin d’une longue séquence judiciaire exceptionnelle à beaucoup de titres. Ce qui est frappant, c’est que les parties civiles qui se sont exprimées pendant ce procès n’avaient aucune forme d’agressivité, et demandaient tout simplement que la justice se fasse comme si ce procès en lui-même était déjà une forme de réparation ?Je pense que le procès avait d’autres objectifs que juste la répression pénale et de mettre des gens en prison. Il s’agissait effectivement de laisser la place, la parole, pour toutes les victimes qui le souhaitaient, pour toutes les parties civiles. Alors pendant les cinq premières semaines, on avait plus de 400 dépositions de parties civiles et là effectivement on avait des victimes qui pouvaient raconter leur histoire, à leur manière, comment est-ce qu’elles essayaient de se réhabiliter.

Ils voulaient vraiment comprendre et j’espère qu’ils ont eu ces réponses-là dans le procès

Il y avait les victimes qui demandaient à avoir des réponses, essayer de comprendre les accusés, comprendre où est-ce qu’il y a eu des failles de l’État, il y a eu différentes questions que les victimes voulaient savoir. Aussi, c’était des victimes, donc c’est quand même des jeunes gens qui sortent à Paris le vendredi soir, dans des concerts ou dans des bars, il y a aussi cet aspect des gens qui croient en la justice et pas nécessairement en la revanche. Ils voulaient vraiment comprendre et j’espère qu’ils ont eu ces réponses-là dans le procès, je ne sais pas. On a eu quand même pas mal d’échanges, pas mal d’accusés qui ont parlé. Pas tout le temps, pas toujours. Mais il y a eu aussi des excuses. C’est sûr que ce n’est pas facile de continuer, mais ce moment de justice est très fort sur sa longue durée et on a vu comment ça pouvait évoluer.►À écouter aussi : Invité du Matin – Procès des attentats du 13-Novembre : la parole d’Elsa, rescapée du BataclanLa parole des parties civiles, vous nous l’avez dit, largement entendue, et individuellement chacun a raconté son histoire, c’est la preuve finalement que c’est possible, qu’on peut, à condition évidemment d’en avoir les moyens, donner de l’espace aux victimes dans de futurs procès aussi ?Évidemment, en France, ça se fait. La différence en France, c’est qu’on n’avait jamais eu un procès avec autant de parties civiles. Je pense que les leçons que l’on peut tirer, c’est peut-être pour la justice pénale internationale ou des justices qui jugent des crimes de masse ailleurs. Je pense qu’on peut apprendre des leçons de ce procès-là, dans la participation des parties civiles. On a des fois peur que s’il y a tellement de victimes dans un procès, ça déséquilibre, que la justice ne fonctionne pas, mais ce n’est pas nécessairement vrai. Là, on avait des juges professionnels, on avait assez d’espace pour la défense.

Les procès doivent être accessibles au plus grand nombre et même pourquoi pas les mettre en direct à la télévision

Il y avait aussi cette webradio qui permettait aux parties civiles de suivre les audiences sans être physiquement au palais de justice. Le fait que le procès soit filmé, tout cela doit être réitéré, répercuté pour les prochains procès et notamment celui de l’attentat de Nice qui arrive très vite ?Oui, bien sûr. Personnellement, je suis dans l’idée que les procès doivent être accessibles au plus grand nombre et même pourquoi pas les mettre en direct à la télévision. On a des pays où ça se passe comme ça. Quand il y a eu des procès nazis en Israël ou le procès d’Hissène Habré au Sénégal, ces procès étaient en live à la télévision. C’est un peu dommage que le public ne puisse pas le suivre en direct. ►À écouter aussi : Analyse – Ce qu’il faut retenir du procès des attentats du 13-Novembre