« Aurais-je fait mieux, ou plus, si j’avais suivi une éducation musicale classique  ?  »


Depuis plus de quarante ans, Gabriel Yared écrit la musique du gotha du cinéma mondial. Jean-Luc Godard, Robert Altman, Anthony Minghella, Xavier Dolan et bien d’autres jalonnent un parcours notamment couronné d’un Oscar pour Le Patient anglais, d’un César pour L’Amant et du succès de 37°2 le matin. Compositeur, mais aussi orchestrateur et arrangeur pour les stars de la variété française, il revient sur cette trajectoire « improbable », commencée au Liban, il y a 73 ans.

Je ne serais pas arrivé là si…

…Si, à 14 ans, mon professeur de piano n’avait pas dit à mon père  : « On ne fera rien de lui. » Dans ma famille de la petite bourgeoisie libanaise, il y avait une incompréhension totale de l’art, à part un vague intérêt pour la chansonnette. Dès l’enfance, je me suis battu pour exprimer ma passion pour la musique. D’où m’est-elle venue ? Je l’ignore. A 4 ans, mes parents m’ont mis en pension chez les jésuites, où je suis resté jusqu’à 14 ans. Et à 9 ans, j’ai pris mes premiers cours d’accordéon. Mon père m’a raconté plus tard que vers 5 ou 6 ans, pour les fêtes de Noël, alors qu’il voulait m’acheter un cadeau, je me suis arrêté devant un magasin de musique, hypnotisé par un accordéon. « Je veux ça  !  » Comme il refusait, je l’aurais menacé de me jeter sous les rails du tram…

« Aurais-je fait mieux, ou plus, si j’avais suivi une éducation musicale classique  ?  »

Et il a cédé ?

Oui. Il y avait déjà chez moi une sorte d’entêtement pour ce quelque chose qui s’appelle la musique. Après l’accordéon, j’ai fait du piano, avec ce fameux professeur, un Français installé à Beyrouth, qui ne m’aimait pas. J’étais tellement avide que lorsqu’il me donnait huit mesures de Bach à travailler pour la semaine suivante, je déchiffrais tout le morceau. Et comme je n’étais pas un prodige, les huit mesures n’étaient pas très bonnes. C’est comme ça qu’à mes 14 ans, il a prononcé cette phrase définitive. Ce fut un choc  : la seule personne qui pouvait croire en moi et m’aider à me diriger vers une carrière musicale me lâchait. Ce jour-là, j’ai compris que j’allais devoir apprendre à franchir seul les obstacles. Et toute ma vie, j’ai avancé en perçant des murs, avec une innocence et un culot monstrueux, même si j’étais en réalité très complexé.

Pourquoi complexé ?

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