Adulé par les uns, conspué par les autres, Avatar est de ces blockbusters qui suscitent encore des bastons cinéphiles plus de 10 ans après sa sortie. La veille de la sortie de La Voie de l’eau et avec un peu plus de recul, on revient sur les reproches qui collent à la peau du film de James Cameron.
Précédé d’une presse dithyrambique, d’une promotion mastoc, de la réputation de son réalisateur et d’un emballement général jugé louche par les plus sceptiques, Avatar est indéniablement rentré dans l’histoire du cinéma grand public, ne serait-ce qu’en raison de son score au box-office ou des hectolitres d’encre qu’il a fait couler, sans compter le nombre d’amitiés qu’il a brisées, voire de nez qu’il a cassés.
Son colossal succès est-il mérité ? Il suffit de parcourir l’une de nos sections commentaires pour constater que les débats sont encore virulents, pour ne pas dire acharnés. D’autant que la suite tant attendue – la fleur au fusil ou le couteau entre les dents, c’est selon – les ravive forcément. À la rédaction aussi, le sujet divise. C’était donc le moment parfait pour s’affronter, avec comme référence les reproches qui reviennent le plus, quasiment au point de rentrer dans le langage commun désormais.
« Avatar, c’est prévisible »
OUI. Un des reproches qui peut être fait à Avatar est la prévisibilité de son intrigue, étant donné que le synopsis seul suffit à comprendre où l’histoire veut aller et en tracer les grandes lignes. Sans avoir besoin de faire appel à une perspicacité hors norme, il est évident que l’ancien soldat paraplégique Jake Sully va préférer gambader dans la jungle de Pandora plutôt que d’errer dans une base militaire en fauteuil roulant. Il était tout aussi certain qu’il tomberait amoureux de Neytiri et se battrait pour les Na’vi, forcément gagnants à la fin du conflit.
Mais au-delà de cet enchaînement logique des événements, le plus grossier concerne l’écriture et la caractérisation des personnages, tous plus ou moins caricaturaux, à commencer par Jake, l’archétype du héros trop lisse et vertueux. Le Colonel Miles Quaritch joué par Stephen Lang est quant à lui un antagoniste au manichéisme tout aussi déconcertant. En plus d’être présenté comme un militaire raciste qui aime la violence et voir le monde brûler, il est affublé d’énormes cicatrices sur le crâne et le visage, preuve qu’il est vraiment très inquiétant et méchant. À ce point, lui faire boire du sang de Na’vi au petit-déjeuner n’aurait pas été plus grossier.
Sans oublier le gros flingue, pour parfaire la panoplie
OUI MAIS. Avatar reprend surtout des schémas narratifs bien connus, entre la confrontation deux cultures impossibles à réconcilier et l’histoire d’amour hérité d’un canevas narratif vieux comme le monde, mais dont il détourne certains codes de façon plus inattendue, à commencer par le sort des deux protagonistes. Qu’ils s’agisse de Roméo et Juliette, Tony et Maria ou Jack et Rose, il est de coutume que ce genre de romances finisse dans un bain de sang (ou un bain glacé dans le cas de Leonardo DiCaprio), ce qui n’est pas le cas dans Avatar, qui préfère donner une fin heureuse à ses personnages pour reprendre un autre poncif narratif, le fameux « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ».
contrairement à Norm Spellman (Joel David Moore), son side kick, qui était voué à mourir héroïquement pour qu’on se rappelle un minimum de lui.
Un peu de bonheur inattendu dans ce monde de brutes
« Avatar, c’est du plagiat
n’hésitant pas à le comparer à un peu près tout et n’importe quoi. Impossible de tout réfuter dans l’ordre : on a autre chose à faire (comme trier nos chaussettes, par exemple). Mais la plupart de ces rapprochements se contentent de vaguement citer l’aspect colonialiste (Pocahontas, très très loin du propos de son successeur présumé) ou certaines péripéties (Danse avec les Loups, déjà légèrement plus pertinent), sans pour autant prendre en compte le rapport à la technologie et la nature mine de rien très particulier d’Avatar.
Cameron lui-même s’est souvent reposé en toute sincérité sur de mêmes archétypes là une amitié (Terminator 2). Ce n’est pas à nos lecteurs, aguerris amateurs de culture populaire, qu’on va le rappeler : le cinéma hollywoodien revient toujours aux mêmes marottes. Tout dépend de comment il les utilise.
S’immerger dans les effets de cinéma, c’est soit découvrir l’empathie et gagner un esprit critique, soit sombrer dans le manichéisme et tout saccager assis confortablement dans son méta/hélicoptère/vaisseau. Un angle passionnant (chaque scène semble mettre en abyme ses effets spéciaux), qui sera une fois encore souvent utilisé contre lui.
Dans Pocahontas, pas d’Eywa
« Avatar, c’est une démonstration technique »
OUI, ET C’EST TOUT. Entre l’utilisation incroyable de la 3D au cinéma, la révolution technologique derrière un tel aboutissement de la performance capture et évidemment une fluidité de l’image (qu’il s’agisse des textures, des couleurs, de la profondeur de champ.) grâce à la mise en scène d’une ampleur vertigineuse de James Cameron, Avatar est sans nul doute possible un tour de force technique.
Toutefois, on ne peut pas s’empêcher de voir un peu Avatar comme une simple et bête démonstration technique, car derrière la splendeur se cache un scénario terriblement banal. Et c’est un peu le problème : à quoi bon développer des technologies à leur paroxysme pour finalement y raconter une histoire aussi calibrée sur le tout-venant hollywoodien ? Franchement, on se pose encore la question et on n’a toujours pas la réponse.
Quand tu sors l’artillerie lourde pour pas grand-chose
expérimentées par des pairs qui ont plus ou moins essuyé les plâtres (Lucas, Jackson, Zemeckis.).
Mais surtout, Avatar développe via son récit une invitation à entrer dans cette nouvelle dimension. En accaparant le point de vue de Jake et la transposition de son esprit dans un nouveau corps, Cameron s’est montré suffisamment malin pour faire de son concept la porte d’entrée logique vers son univers de synthèse, tout comme l’arrivée de Dorothy dans le pays d’Oz justifiait l’irruption de la couleur.
Enfin, l’exigence du long-métrage sur la qualité de sa 3D, de ses textures en CGI (le rendu de l’eau, nom de Dieu ! ) et de sa performance capture sont encore aujourd’hui des standards indétrônables. jusqu’à Avatar 2 ?
« Bonjour, c’est moi la porte d’entrée »
« Avatar, ce n’est pas épique »
HEEEU. QUOI ? S’il y a bien un élément qui définit à merveille le style de Cameron, c’est son rapport à l’échelle. Dès l’arrivée de Jake sur Pandora, le réalisateur sait marier la petitesse de son corps avec l’environnement qui l’entoure (d’ailleurs constitué en partie de machines pensées pour augmenter l’enveloppe corporelle, à l’instar de ces méchas sortis de Matrix).
C’est parce qu’il prend ce temps pour implémenter ce terrain de jeu que les scènes d’action (et en particulier le climax) semblent aussi satisfaisantes. Elles ne sont que l’accomplissement de cette logique, transcendée par des suites de plans larges époustouflants qui se raccordent toujours avec ses protagonistes (notamment ce zoom qui révèle toute l’ampleur de l’armée aérienne des humains).
L’air du vent
MAIS EN MÊME TEMPS. En accord avec sa structure narrative stéréotypée, on pourrait reprocher à Avatar de positionner ses scènes d’action à des endroits très (trop) stratégiques, si bien qu’ils manquent de surprise. À vrai dire, Cameron met tellement de temps à introduire les enjeux et les forces de sa scène d’action finale que tout semble légèrement sous-exploité (en particulier l’hélico de Trudy, aussitôt arrivé, aussitôt détruit). Peut-être est-ce dû à certaines contraintes technologiques, mais on sent Cameron parfois contraint de réduire la durée de ses séquences, et par extension le niveau de suspense.
Mais au-delà de ces considérations, Avatar est parfois handicapé dans sa dimension épique par la musique de James Horner. Non pas que le compositeur de Braveheart et Titanic ne soit pas compétent, mais sa partition pour le film recycle pas mal de ses effets de style issus de la musique classique, comme une sorte d’automatisme qui détonne régulièrement avec l’aspect révolutionnaire du film qu’il sert.
au point de métaphoriser son exotisme par quelques chants tribaux tendance pub Ushuaïa.
James Cameron torturant James Horner
« Avatar, c’est bête »
notre cher James Cameron a livré un film sacrément bête avec son Avatar. Il y a évidemment ce message écolo (pour l’époque plutôt innovant, il est vrai) martelé à coups de « la nature, c’est important, il faut la protéger » qui fait légèrement lever les yeux au ciel, mais ce n’est pas le pire,
Non, avec son armée américaine décidant d’attaquer une planète habitée par une espèce indigène considérée comme hostile et primitive, le film se veut surtout une métaphore du colonialisme et surtout des horreurs qu’il a provoquées pour les peuples colonisés. Une dénonciation du colonialisme d’antan qui vient également pointer du doigt l’impérialisme américain (en partie) comme Cameron l’a d’ailleurs affirmé, prenant exemple sans surprise sur la guerre en Irak. Et sur le papier pourquoi pas. Mais en elles-mêmes, ces réflexions sont tellement peu poussées, reprenant toutes les observations habituelles à ce sujet que la valeur ajoutée de cette proposition fait peine à voir.
Et c’est sans compter ce que le film espère raconter avec ses personnages puisque l’ensemble du récit repose en plus sur un manichéisme terriblement gênant (surtout le fameux grand méchant de Stephen Lang, extrêmement méchant juste parce qu’il est. méchant). Autant dire que l’histoire d’Avatar est non seulement bête, mais en plus James Cameron semble nous prendre pour des imbéciles en racontant des poncifs pareils au coeur d’une intrigue aussi prévisible que n’importe quelle production hollywoodienne lambda.
Les gentils indigènes
PAS TANT QUE CA. Certes, la dimension écolo d’Avatar peut sembler un peu grossière (bien que ses évidences sur la surexploitation des ressources n’étaient pas aussi prégnantes en 2009). Pour autant, il est réducteur de ne voir dans le film que cet aspect, alors que Cameron évoque dès le titre une ouverture à des concepts spirituels et religieux, à commencer par ceux de l’hindouisme, où la notion d’avatar se réfère à des réincarnions, des dieux venus sur Terre pour sauver le monde d’un désordre cosmique.
Au sein de cette réflexion sur l’idée même d’écosystème, et d’harmonie de la Nature, Cameron développe le mal-être d’un héros qui ne se sent plus à sa place dans le système qui est le sien, au point d’assumer de faire de notre espèce l’antagoniste de l’histoire. Face à la fatalité d’un libéralisme qui détruit la race humaine, Avatar traite en substance d’une libération, d’un espoir permis par la possibilité de s’affranchir de notre identité physique (ce qui en fait au passage l’un des meilleurs films en lien avec des notions propres au jeu vidéo).
Là encore, ce propos est on ne peut plus cohérent avec la démarche d’un film qui nous emmène dans le futur du cinéma, dans le fait d’accepter la vitalité d’un monde pourtant entièrement fait d’images de synthèse. Qu’on adhère ou non à ce postulat, on ne saurait enlever à Cameron l’équilibre et la logique totale de son approche, qui donnent à Avatar la sensation que tous ses éléments sont parfaitement emboîtés les uns dans les autres. un peu comme la nature de Pandora.
Attention, Rhino-requin danger
« Avatar manque d’émotion »
OUI. James Cameron le réalisateur est vénéré, mais le scénariste mérite tout autant d’éloges. Rien qu’avec Sarah Connor et Ellen Ripley, il a prouvé à quel point il était capable d’écrire de grandes héroïnes au sein d’un récit pourtant dicté par l’action. Cameron n’oublie jamais le cœur et les raisons de ses personnages, et c’est pour ça que ses films sont si forts et mémorables. Le chaos du spectacle (les flingues, les poursuites, les xénomorphes) n’a de sens que parce qu’il est construit autour des problèmes des humains.
Et Avatar ? C’est pareil, mais en moins bien. L’histoire est toute aussi classique, mais l’exécution manque (cruellement) de cœur. Peut-être parce que Jake Sully est trop un personnage-vecteur, presque une page blanche malgré ses traumas terriens. Peut-être parce que Neytiri, archétype de l’héroïne, peine à exister au-delà de sa fonction. Même chose du côté des seconds rôles, trop froids et mécaniques pour trouver leur place (suffit de comparer Trudy à Vasquez, notamment leur mort).
Ou peut-être parce que la barrière des effets visuels reste un mur pour les émotions. L’histoire d’amour remplit la mission, et coche les bonnes cases, mais reste à des années-lumière de ce qu’a écrit Cameron avant. D’où une aventure très bien emballée, mais avec un savoir-faire nettement plus mathématique.
En voilà un personnage qu’on s’en fout
par définition très codifiée (et qui a déjà largement fait ses preuves devant sa caméra)
d’autant que Horner l’accompagne d’une oraison funèbre guerrière absolument déchirante, sans conteste la piste la plus chargée de l’album. Un tantinet sadique sur les bords, le film nous immerge pendant plus d’une heure dans la culture Na’vi, avant de la détruire dans une explosion de douleur rendue plus cruelle encore par l’inévitable trahison de Jake.
Quant aux protagonistes, s’ils ne sont pas tous caractérisés avec soin (Michelle Rodriguez et son retournement de veste improbable), leur attachement à la nature de Pandora et au courage de ses autochtones est d’une sincérité désarmante. Là où Jake est une page blanche appropriée par le spectateur, Grace est le personnage secondaire le plus attachant, sa dévotion et sa sévérité en faisant le symbole du scientifique décimé par la violence politique de la colonisation.
La scène où elle atteint enfin l’arbre, vérifiant à l’article de la mort sa théorie de la synergie entre les croyances des Na’vis et la topologie biologique de leur environnement, a fait verser bien des larmes, aussitôt essuyées pour ne rien laisser transparaître. Vrai cinéphile ne pleure pas devant Avatar.
« Avatar, c’est surestimé »
OUI, C’EST NORMAL. C’est le destin de tous les films-phénomènes : être remis en question, beaucoup plus vite et fort que les films « normaux ». À partir du moment où tout le monde en parle, où tout le monde va le (re)(re)(re)voir, et que personne ne peut y échapper, le retour de flamme est inévitable. C’est un instinct de survie inscrit dans nos gènes (et dans les conditions générales d’utilisation de Twitter).
Ça commence dès la sortie, quand les plus récalcitrants finissent pas capituler (« Tout ça pour ça ? »), et ça continue pendant des années, à mesure que la poussière retombe (« Mouais, à la revoyure, ça casse pas trop pattes à un Toruk »). Le réflexe humain du rejet du populaire (marche aussi avec : la défense du pas populaire) prend le dessus, et tant mieux. Avec ses 2,7 milliards au box-office, dont 14 millions d’entrées en France, Avatar a donc provoqué une remise en question presque à la hauteur de son succès monumental. Plus on est, plus on va s’engueuler.
Est-ce que ça veut dire que le film de James Cameron est réellement surestimé ? Non. Déjà parce que cette formule, aussi amusante soit-elle, n’a pas trop de sens. Elle est plus là pour ouvrir la voie des débats, que pour promettre une quelconque évidence. La critique est relative, et encore plus dans un tel cas, où le phénomène a dépassé le film lui-même. Car tout est affaire de timing : si Avatar semble probablement surestimé pour ceux qui l’ont vu des semaines ou des années après sa sortie, sa magie a certainement plus marché sur ceux qui l’ont vu au tout début, avant que les Na’Vis ne soient partout, tout le temps, jusqu’au JT de TF1.
Ce pote qui te demandait de revoir Avatar pour la 4e fois
PAS TANT QUE CA. Ironie du sort : outre la stupidité de ce terme (qui peut estimer le degré d’estime d’Avatar ou de toute autre oeuvre cinématographique ?), souvent utilisé pour faire mousser celui qui l’utilise, les adeptes du fameux « C’est Pocahontas avec des Shtroumpfs » ont fini par largement compenser le battage médiatique de l’époque.
mais on y croit : il n’est pas nécessaire de s’engueuler sur tous les sujets.
La section commentaire quand on publie sur Avatar
« Avatar, c’est le pire film de James Cameron »
PAS LE PIRE, JUSTE LE MOINS MEILLEUR. Sans compter les suites d’Avatar (qui devraient occuper votre descendance sur trois générations), Piranha II (dont il a été viré) et les documentaires, James Cameron a réalisé sept films. Sept films qui ont compté.
Terminator ? Une idée géniale (d’où une saga increvable), et une suite au moins aussi renversante. Aliens, le retour ? Un chef-d’œuvre parfaitement complémentaire d’Alien. Abyss ? Une épopée d’une modernité et d’une beauté folles. Même True Lies, son film le plus simple, reste un petit modèle du genre. Le monstre Titanic a certes tout écrasé aux yeux de l’humanité, mais Cameron avait remporté toutes ses batailles. De là à dire que c’est un sans faute, il n’y a même pas un demi-pas.
Il faut toujours revoir Abyss
Avatar est arrivé après tout ça, et reste dans l’ombre de tous ces films. Au-delà de la réussite technologique, et d’un monde créé de toute pièce (en mixant une tonne de références, comme George Lucas avec Star Wars), James Cameron n’a pas recréé la magie. Il n’y a ni les passionnants personnages, ni le rythme trépidant, ni la force de l’intime face à l’épique.
Bien sûr, le réalisateur et scénariste n’est pas un manchot aveugle, et a emballé Avatar avec suffisamment de talent et savoir-faire pour que tout se tienne. Mais il manque une étincelle pour qu’Avatar soit aussi immense qu’Abyss ou Aliens (pour rester dans les A) ou Titanic (pour rester dans le méga-blockbuster qui réunit tout le monde). Peut-être qu’Avatar 2, ou 3, ou 25 corrigeront le tir.