Azovstal, avec les conjointes des combattants mobilisées pour l'opération dernière chance


Depuis des semaines, le monde observait le combat héroïque de leurs conjoints. Pour leur évacuation, ces femmes se sont mobilisées

Des beautés aux visages angéliques. Larmes aux yeux et regards tournés vers le ciel, toutes évoquent le courage de leurs maris ou fiancés soldats. Les combattants du célèbre bataillon ukrainien Azov les ont quittées pour résister, depuis le 24 février. Ils luttent, affrontent l’ennemi russe dans les sous-sols de l’usine Azovstal à Marioupol. Assiégés, enfermés, assoiffés, affamés. Leurs compagnes multiplient les apparitions pour alerter de leur fin imminente si personne n’agit. La prison à vie requise contre le premier militaire russe jugé pour crime de guerre en Ukraine

Azovstal, avec les conjointes des combattants mobilisées pour l'opération dernière chance

Les nouvelles guerrières de communication d’Azov sont cinq femmes de moins de 30 ans, déterminées. Darya (dite Dasha) Tsykunova, 22 ans, est la dernière à avoir rejoint le groupe. Arrivée à Paris le 15 mai pour « se battre contre l’oubli », elle affiche un visage poupin mais précise avoir « un portable greffé dans la tête », étant en contact permanent avec son petit ami, Illia, « coincé » à Azovstal. Ils se sont rencontrés à Kiev peu avant le début des hostilités. Amis avant d’être amants, ils n’ont vécu qu’une semaine ensemble. « Qu’importe  ! regrette-t-elle en éclatant en sanglots. C’est l’homme de ma vie… Je suis prête à mourir pour le sauver. » Pour des raisons de sécurité, le couple ne communique que par SMS et une boucle Telegram. Ils ne se voient pas, car « les vidéos FaceTime ou WhatsApp sont épiées par les Russes. Ils se serviront de la moindre déclaration d’amour pour attaquer nos hommes et leurs familles ». Elle a voulu s’associer aux autres épouses après avoir été bouleversée par les propos de la fondatrice, Yuliia Fedosiuk.

De g. à dr. : Hanna Naumenko, Darya Tsykunova, Olha Andrianova, Kateryna Prokopenko et Yuliia Fedosiuk. À Paris, le 15 ma

Alvaro Canovas / Paris Match

Mariée au porte-parole du bataillon, cette magnifique brune de 29 ans sait, d’une voix grave et calme, conter au mieux cette guerre, la tristesse et la résistance. Si elle ne voit plus son époux, Arseniy, elle souhaite, comme lui, « aider la liberté et la démocratie en Europe ». C’est au nom de « ces trois amours » qu’elle transmet au monde les messages de son mari. Il ne l’appelle plus mais lui décrit en permanence, par SMS, la situation cauchemardesque dans l’usine encerclée. Fin février, ces femmes recevaient des selfies de leurs hommes faisant des cœurs avec leurs mains. Avant que ne surgissent, vite, les horreurs des bombardements et du siège. Elles ont décidé, autour de Yuliia, de se montrer « aussi fortes que hommes sous terre ».

Coincés dans les sous-sols d’Azovstal, ils implorent leurs épouses: «Vous, qui êtes en surface, faites tout pour faire bouger les choses et ce monde»

les blessés sans médicaments, les amputations pour éviter les infections ». Kateryna, elle, se souvient que son époux, en février, lui écrivait cette phrase simple et forte  : « Nous sommes en guerre, nous allons combattre. » Un autre soldat s’était même vanté auprès de sa moitié d’avoir nagé avec les copains, une nuit, pour « déjouer les barrages russes et réussir à pénétrer dans l’usine  ! Mieux qu’un bon film ».

A G. : Hanna Naumenko et Dmytro Danilov à Rome. A D. : Yuliia Fedosiuk, assistante parlementaire, et son mari, Arseniy.

DR

qui entend rester anonyme/h2>
Convaincues que si leurs hommes sortaient « ils se feraient immédiatement arrêter, torturer et tuer par les commandos russes », les filles du groupe ont lancé une campagne de mobilisation. Les réseaux de Yuliia, assistante parlementaire avant la guerre, ont servi  : grâce au père de son ancien employeur, le député Sviatoslav Yurash, ambassadeur d’Ukraine au Vatican, un voyage dans la cité catholique a ainsi été organisé en trois semaines. Le 11 mai, place Saint-Pierre, elle et sa meilleure amie, la ravissante Kateryna Prokopenko, ont pu approcher le Souverain Pontife. « Nous lui avons demandé de venir en Ukraine, de parler à Vladimir Poutine, de lui dire de laisser partir les soldats d’Azov », confie Kateryna, qui, face au Pape, s’est mise à sangloter  : « Vous êtes notre dernier espoir, nous espérons que vous pourrez sauver nos vies. S’il vous plaît, ne laissez pas nos hommes mourir… » Yuliia précise leurs propos  : « Nous lui avons expliqué que 700 de nos soldats sont blessés, souffrent de gangrène, ont subi des amputations… Beaucoup sont morts, nous n’avons pas pu les enterrer. Nous avons enjoint au Saint-Père de faire office de tierce partie et de leur permettre de fuir grâce à un couloir humanitaire. » François, compassionnel, a répondu qu’il priait pour eux et ferait tout ce qu’il pourrait. Aux côtés des jeunes femmes se trouvait le célèbre activiste russe Piotr Verzilov, directeur du site indépendant Mediazona, qui a soutenu les Pussy Riot, opposantes au régime.

Dans un sous-sol transformé en dortoir, le sergent Arseniy Fedosiuk, porte-parole d’Azov.

DR

Après cette entrevue papale, Yuliia et Kateryna ont décidé de partir en France. Auraient-elles demandé audience au président Macron ? Elles refusent de nous éclairer. On sait simplement qu’elles ont été reçues par l’ambassadeur d’Ukraine, et qu’elles ont multiplié les interventions médiatiques. Elles seraient en attente d’un visa pour se rendre en Angleterre, afin d’interpeller Boris Johnson. Aucune des madones d’Azov n’aime évoquer l’avenir. Yuliia n’a cessé de demander « aux Européens et aux Américains d’organiser une opération militaire commune, une extraction, comme en Syrie ». Kateryna, elle, répète sa douleur, l’attente interminable, l’issue peut-être fatale… Les deux amoureuses, passionnées et volontaires, affirment n’avoir eu aucun contact avec leur président, Volodymyr Zelensky. Une autre compagne d’infortune, Hanna Naumenko, 25 ans, qui se définit comme apolitique, assure que « parler est le mieux. Nos hommes sont forts et nous nous devons de les aider et d’être comme eux. »

DR

Lorsqu’on les interroge sur les qualificatifs qui collent au bataillon Azov, un « nid d’extrémistes pronazis tatoués et brutaux », elles se défendent. « C’est de la propagande russe  ! Ce régiment s’inscrit dans l’histoire de l’armée ukrainienne, créée en 1914. Plusieurs nations ont combattu dans ses rangs  : les Arméniens, les Grecs, les Géorgiens, des gens de Crimée… Même les Israéliens  ! » affirme Yuliia, militante de la cause ukrainienne. Elle insiste  : « En son temps, même le Premier ministre Rabin était intervenu pour aider Azov. Une organisation LGBT vient de leur faire un don  : elle n’agirait pas ainsi s’ils étaient des nazis. Le bataillon n’a commis aucun crime. Ce sont des patriotes. » Son époux vient de lui envoyer une question par SMS  : « Sais-tu comment faire pour survivre sans eau ? » Émue, elle l’a encouragé à tenir. Pour l’Ukraine… Le 16 mai, elles ont disparu comme elles étaient arrivées. Mystérieusement. L’évacuation de leurs compagnons avait commencé.