Bac philo J-1 : les réponses de deux professeurs à toutes vos questions


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Nous y voilà : l’épreuve de philosophie, c’est demain. Pour rassurer les lycéens et leur permettre de mettre leurs idées au clair, hier soir, nous avons organisé une ultime séance de révisions en direct sur notre compte Instagram @bacphilomag. Nos compagnons de route Aïda N’Diaye et Mathias Roux, professeurs de philosophie, ont répondu une heure et demie durant à toutes les questions posées par les élèves au sujet des fondamentaux de la méthodologie de la dissertation et de l’explication de texte.

Voici notre compte-rendu détaillé du meilleur de vos questions, et les réponses, franches et inspirées, des correcteurs.

 

1) L’EXPLICATION DE TEXTE

 

“Qu’est-ce qu’une explication de texte réussie ?”

– Il faut d’abord montrer que l’on a compris le texte. Mais cela ne suffit pas : il faut l’expliquer dans le détail. Attention aux copies qui ne font pas d’erreur mais qui n’expliquent pas vraiment ! Il faut se confronter au texte, minutieusement, sans le lâcher.

– Une bonne explication de texte remplit deux objectifs. D’abord, elle rend compte de la structure de l’argumentation par laquelle l’auteur défend sa thèse. Ensuite, il faut analyser en détail certains concepts présentés, et définir en quel sens l’auteur les emploie. Une explication réussie fait donc apparaître le mouvement d’ensemble du texte, et dans le même temps se traduit par un travail minutieux, qui prend le temps de s’arrêter sur les concepts utilisés.

 

“Comment éviter la paraphrase et aller dans le fond de l’explication ?”

– Il ne faut pas se contenter de montrer qu’on a compris l’extrait. Comprendre le texte est le point de départ, mais l’expliquer est un autre travail. Pour le mener à bien, il faut d’abord identifier la thèse : les textes soumis aux élèves lors du baccalauréat ont été choisis parce qu’ils présentent une grande idée identifiable, une affirmation générale sur un thème du programme. Pour savoir si l’on fait bien de choisir l’explication, il faut donc d’abord voir si on est capable d’identifier clairement cette thèse, que l’on restitue en une ou deux phrases. Ensuite, il faut rendre compte du mécanisme du texte, c’est-à-dire de la manière dont l’auteur produit des arguments.

– Pour réussir à expliquer correctement et dans le détail les concepts mobilisés, il est important de rendre compte de la manière dont ils sont introduits par l’auteur. Ensuite, vous pouvez éventuellement les confronter à d’autres visions de ces mêmes concepts par d’autres auteurs.

– Ce qui pèche souvent, c’est que les élèves ne vont pas assez loin dans l’explication : il faut partir du principe que l’on est en train d’expliquer un texte philosophique à quelqu’un qui n’a jamais fait de philosophie, comme vos petits frères et soeurs. Il faut aller le plus loin possible pour être très clair, ne pas être implicite parce que l’on estime que le correcteur maîtrise le sujet. Au contraire, il faut absolument être très explicite pour montrer qu’on a bien compris.

– Il faut donc aller dans le détail, interroger systématiquement toutes les étapes du texte et pourquoi l’auteur prend la peine de faire cette démonstration. Il est important d’être dans cette démarche de questionnement continu. On préfère toujours une copie qui fait l’effort d’aller dans le fond de l’analyse, voire qui fait des hypothèses même si elles sont parfois un peu à côté, qu’une copie qui glisse sur le texte sans se confronter vraiment aux problèmes qu’il soulève.

– S’il y a des passages qu’on ne comprend pas, ou bien qu’on comprend mal, il ne faut surtout pas les passer sous silence. On note aussi un effort !

 

“Quelles sont les étapes de l’introduction ?”

Il faut d’abord identifier la thèse défendue, soit l’affirmation principale du texte, qui peut prendre toutes les formes possibles, même celle d’une négation d’un concept. Par exemple, dire que la liberté n’est pas cela est une thèse à part entière.

Ensuite, il faut montrer en quoi cette thèse vient répondre à un problème philosophique plus général, en quoi elle se situe dans un débat à propos d’un thème de l’histoire de la philosophie.

Enfin, il faut procéder à un découpage du texte qui va permettre de montrer qu’on a repéré la structure argumentative du texte. Il ne faut pas se contenter de préciser les lignes, il est important de décrire le propos de chaque partie en une ou deux phrases pour montrer que ce découpage a du sens.

Attention ! Il ne faut pas hésiter à revenir sur l’introduction au fil du travail, car la complexité de la thèse peut parfois arriver seulement au moment où l’on a bien compris le texte, après des lectures successives. Plus on lit, mieux on comprend. Tout ce qu’on pense du texte est temporaire tant qu’on n’a pas fini de l’expliquer ! Les contresens sont courants : par exemple, il arrive que l’auteur énonce une thèse qui n’est pas la sienne et à laquelle il s’oppose par la suite, mais on ne le comprend pas, donc on pense que l’auteur se contredit. Ce genre d’erreur s’atténue lorsqu’on prend la peine de relire l’extrait ; il faut ainsi être prêt à revenir sur ce qu’on pensait lorsqu’on a écrit l’introduction au début. Par conséquent, notre conseil, c’est de rédiger l’introduction à la fin !

 

“Comment ne pas passer tout son temps au brouillon ?”

Il y a une erreur qui est de dire que plus on passe du temps au brouillon, moins on a de temps pour rédiger. Mais quand on a beaucoup réfléchi au brouillon, on écrit plus vite ensuite ! Il faut y passer une heure et demie minimum, car il est important de faire ce travail minutieux. Bâcler cette étape, c’est prendre le risque de passer à côté de son véritable sens.

 

“Doit-on forcément faire trois parties ?”

En réalité, la question du plan est secondaire puisqu’on suit le plan du texte. Les parties de l’explication sont celles de l’extrait, il n’y a pas d’autre structure à inventer. De la même manière, il n’y a pas besoin d’inventer d’autres transitions entre les parties que celles qui existent dans le texte, et qu’il faut expliquer.

 

“Comment faire si l’on ne connaît pas l’auteur du texte ?”

Ce n’est pas un problème, au contraire ! Il faut absolument éviter de plaquer sur le texte quelque chose que l’auteur a dit et qu’on aurait vu auparavant pendant l’année, il ne faut pas se servir du texte pour restituer tout ce qu’on sait sur l’auteur, car là, on prend le risque de faire un hors-sujet.

De la même manière, il faut faire attention à ne pas identifier une notion du programme dans le texte dont on va se servir comme d’un prétexte pour ressortir tout ce qu’on a appris dessus. Il faut se concentrer sur l’extrait qui s’explique par lui-même. Il n’est donc pas grave de choisir l’explication de texte sans connaître l’auteur !

 

“Comment faire une bonne conclusion ?”

Elle doit reconstituer votre démarche. C’est un peu une seconde introduction qui arriverait à la fin, parce qu’à ce moment précis, on montre qu’on a vraiment bien compris le texte. C’est aussi le moment de faire part de sa propre « discussion » avec le propos de l’auteur : pendant que j’explique, je peux aussi m’interroger sur l’ambiguïté d’un concept, sur le fait qu’on pourrait lui opposer autre chose… On peut donc discuter le texte au fur et à mesure qu’on l’explique, et la conclusion peut être le moment de reprendre ces points de débat, ces interrogations que l’on a. Mais attention, il n’est pas obligatoire de trouver des limites au texte ! Vous n’êtes obligé de formuler une critique négative si vous n’en voyez pas d’emblée, car elle paraîtra dès lors artificielle.

 

“Doit-on obligatoirement faire une ouverture ?”

Non, nous ne vous le conseillons pas ! Les ouvertures sont très souvent mal faites et vous desservent. Évitez aussi les accroches très générales à propos de l’actualité, qui n’apportent rien à votre travail.

2) LA DISSERTATION

 

“Comment faire pour bien problématiser le sujet ?”

– Problématiser, c’est rendre compte de la manière dont une certaine idée que l’on peut défendre sur un thème donné va rencontrer une autre idée sur ce même sujet, et donc s’y confronter. C’est formuler précisément un problème sur une notion.

– Attention à la confusion, très courante, qui existe entre problématiser un sujet et formuler une problématique. Il ne faut surtout pas formuler une nouvelle problématique qui reviendrait à remplacer le sujet donné par un autre ! En histoire et en français, il vous faut trouver une question car le sujet posé n’en est pas un. En philosophie, la question déjà là, il faut la traiter. Un des gros écueils est ainsi de substituer au sujet une ou deux questions, qui vous écarteraient automatiquement du sujet donné. Ne tombez pas dans ce piège !

– La question pose un problème, il faut l’identifier ; c’est à partir de là qu’on fait appel à son cours et qu’on y pioche différents éléments de réponse. L’objectif principal d’une dissertation est la construction d’une argumentation, à partir d’un sujet qui fait problème. Il faut donc bien identifier ce problème.

 

“Comment faire une bonne accroche ?”

On ne peut pas donner une citation sans l’expliquer. Or il ne faut pas passer trop de temps dessus. Ainsi, il faudrait trouver la citation parfaite – mais c’est très rare, et ce n’est pas ce qu’on vous demande. Si vous avez quelque chose d’approprié qui vous vient tout de suite à l’esprit, c’est parfait. Mais sinon, il ne faut pas avoir peur de rentrer directement dans le vif du sujet.

 

“Comment faire pour analyser correctement le sujet ?”

Un sujet, c’est une tension entre plusieurs termes, qui renvoient à des concepts. Il ne faut donc pas définir les termes les uns après les autres de manière séparée, mais montrer qu’on est capable de dégager le problème posé par le sujet, c’est-à-dire d’identifier la tension entre les termes.

 

“Comment faire un bon plan ? Faut-il toujours faire trois parties ?”

– Une dissertation est un exercice de pensée qui passe, c’est vrai, souvent par trois moments. Mais pas toujours ! D’abord on répond d’une certaine manière à la question qui est posée. Avant de dire qu’à certains égards cette première réponse est incomplète, et qu’il est donc possible d’en formuler une autre. À un certain point, la pensée se retrouve alors « bloquée », car deux thèses s’affrontent. C’est là le moment de dépasser cette opposition, ce qu’on nomme en général « synthèse ». Mais attention : une synthèse n’est pas un mélange, il ne s’agit pas d’identifier un juste milieu, une position moyenne entre les deux premières réponses ! Une troisième partie réussie est un dépassement de l’opposition, de la contradiction. Elle peut prendre plusieurs formes : parfois on revient au sujet lui-même en interrogeant les termes du sujet et en les redéfinissant : on met à jour une nouvelle dimension du sujet, on dépasse notre première interprétation en revenant à la source du problème, à savoir le sujet lui-même. Il faut absolument éviter de faire une synthèse qui serait un mélange approximatif. Il est ainsi parfois préférable de faire un plan en deux parties si celles-ci sont très bien construites et sont justifiées, plutôt que d’inventer une troisième partie artificielle.

– Il faut garder en tête que l’objectif d’une dissertation c’est de répondre – à son niveau – à un problème philosophique. Le plan n’est rien d’autre qu’une progression dans l’argumentation. La première partie est la réponse la plus facile à défendre, qui nous vient le plus vite à l’esprit. Ensuite, on émet une autre hypothèse qui la contredit et la complète. Et enfin, si cela est justifié, dans un troisième temps on avance une dernière hypothèse qui vient résoudre la tension qu’on a fait apparaître dans les deux premières parties.

– Un bon plan est donc un plan dont chaque partie forme une hypothèse claire, qui est une manière de répondre au sujet. Il est alors capital de donner un titre clair à chaque partie, car faire apparaître clairement le sujet dans les titres des parties est la meilleure manière de s’assurer que l’on est pas hors sujet.

 

“Est-ce qu’une bonne troisième partie est celle où l’on expose notre propre avis ?”

Non, car toute la dissertation est l’expression de votre propre pensée ! Il faut tout au long de sa copie s’appuyer sur ce qu’on sait. Une dissertation n’est rien d’autre que l’expression de son propre cheminement intellectuel. Dès le départ, on dit ce qu’on pense, mais seulement, ce n’est pas formulé de la même manière qu’un goût ; on n’affirme pas quelque chose de but en blanc, on soumet sa pensée à débat.

 

“Comment trouver de bons exemples ?”

– Les exemples sont importants, parce qu’ils permettent de montrer qu’on a bien compris les implications du sujet. Cependant, trouver des bons exemples n’est pas facile. Il faut éviter les généralités ou les idées reçues, comme dire à propos de la technique qu’il s’agit de quelque chose de bien parce que ça libère les femmes de leur travail domestique. Ce sont souvent des généralités qui n’ont aucun fondement et qui n’illustrent rien. Un bon exemple n’est qu’un appui pour l’argumentation ; en lui-même, il ne dit rien. Il ne faut pas que les généralités se substituent au raisonnement. Pour vérifier que ce n’est pas le cas, faites l’exercice de supprimer les exemples et de voir ce qu’il reste : parfois, il ne reste plus rien.

– Il faut aller chercher des choses dans sa culture personnelle ! Il n’y a pas de mauvaise référence si elle est vraiment justifiée. Cependant, il est important d’essayer de s’élever, de réfléchir en adulte, et donc de chercher des exemples qui soient à la hauteur des enjeux de la philosophie au bac. Si l’on doit réfléchir à un sujet moral, il faut trouver des exemples avec de réels enjeux moraux un peu forts, comme par exemple le problème que pose le fait de tuer quelqu’un plutôt que de traverser quand le feu est rouge ou de savoir si je dois ranger ma chambre.

 

“Faut-il absolument trouver des citations ?”

– Attention aux citations ! Souvent, elles font écran, et ne disent rien de concret par rapport au sujet. Il faut faire l’effort d’expliciter, et surtout ne pas se forcer à en donner car on tombe alors dans l’artificiel.

– Le plus important, en dissertation, c’est de se concentrer sur la problématisation, la structure de la pensée. On a quatre heures, c’est le temps de la maturation d’une pensée qui se complexifie au fur et à mesure. Il faut avoir des références, mais pas forcément des citations. Faites au mieux.

– Qu’il s’agisse des citations ou des exemples, il faut garder en tête que ce sont des outils pour justifier son propos, des moyens de nous aider dans la démarche, mais que la méthode de la dissertation n’est pas une recette de cuisine ! Ce n’est pas parce qu’on mobilise tant de citations ou tant d’exemples que la dissertation sera réussie ; il s’agit seulement de produire un raisonnement. Une copie réussie est une copie où l’on a pu transmettre des éléments de sa culture philosophique, mis au service d’une démonstration. Il n’y a pas une checklist de la dissertation parfaite – on peut avoir une bonne note même si l’on ne mobilise pas beaucoup d’auteurs ! C’est l’impression de lire un raisonnement et une argumentation réussie qui compte pour le correcteur.

 

“Peut-on dire ‘je’ ?”

C’est mieux de dire « nous » ou « on », pas par principe, mais parce que lorsqu’on écrit une dissertation, on essaie de penser la question comme la penserait toute personne dotée de raison, qui fait usage de la partie la plus rationnelle de son esprit. Dire « nous » ou « on », c’est se mettre dans les meilleures dispositions pour universaliser sa pensée, dans cette situation d’un sujet raisonnable.

 

“Faut-il faire des sous-parties égales ?”

Les sous-parties servent à organiser le propos, ce n’est pas un problème qu’elles soient déséquilibrées ; encore une fois, on n’est pas dans une recette de cuisine ! Rien n’est grave, c’est la démarche d’ensemble qui importe. Une bonne copie, c’est une copie où l’on suit le fil de la pensée clairement, qui est fluide. Or il n’y a pas de fluidité possible si l’on est dans la volonté de placer des « astuces ».

 

“Comment rédiger une bonne conclusion ?”

Il est important de ne pas simplement résumer. Il faut reprendre la question posée par le sujet, et évoquer les différentes étapes de l’argumentation, mais pas forcément dans l’ordre car cela ne sert à rien de retourner à notre première hypothèse si elle a été réfutée par la suite. Comme pour l’explication de texte, ne faites pas d’ouverture.

 

“Est-il important de se relire ?”

– Oui, il faut absolument se relire, corrigez vos fautes d’orthographe pour faciliter la lecture du correcteur et lui rendre la tâche la plus facile possible. Pour éviter les fautes d’orthographe et de syntaxe, pensez à simplifier votre écriture, faites des phrases courtes, simples, c’est la meilleure manière de ne pas s’embrouiller. Pour éviter une écriture « indigeste » et vérifier que ce qu’on écrit est compréhensible, le meilleur moyen est de se relire régulièrement, entre chaque partie.

– Soignez également la présentation, et pensez à souligner vos titres ! Ça peut paraître bête, mais c’est important.