Bernard Clerfayt, ministre bruxellois de l'Emploi : "La construction dit chercher des milliers de bras, mais ne transmet...


Le ministre bruxellois de l’Emploi et de la Formation Bernard Clerfayt (DéFI) lancera en 2022 un plan de lutte contre les métiers en pénurie dans quatre secteurs.

On rencontre le ministre bruxellois de l’Emploi et du Bien-être animal jeudi après-midi après une réunion de gouvernement potentiellement tendue. Deux dossiers délicats y ont trouvé leur épilogue  : la nomination de la cheffe de cabinet ajdointe de Bernard Clerfayt (DéFI) à la tête d’Actiris est finalement actée, malgré des accusations selon lesquelles elle aurait modifié elle-même le descriptif de fonction, tandis que le projet d’ordonnance visant à interdire l’abattage rituel sans étourdissement est renvoyé au parlement. On ne tourne pas autour du pot : y a-t-il eu un deal avec les socialistes pour adopter un point et enterrer l’autre ? « Vous pouvez vous poser la question, mais je n’ai entendu aucune parole de ce genre. C’est un hasard des calendriers avec l’aboutissement de la procédure de recrutement de Talent et la remise d’un arrêt le 20 septembre dernier par la Cour constitutionnelle sur l’abattage. Des calendriers qui ne sont pas dictés par des considérations politiques. »

Bernard Clerfayt, ministre bruxellois de l'Emploi :

Interrogé sur un éventuel recours relatif à la désignation de Cristina Amboldi comme directrice de l’office régional de l’Emploi, Bernard Clerfayt détaille toute la procédure de recrutement qu’il juge « ouverte, transparente, objectivée et menée loin du gouvernement ». On insiste  : êtes-vous serein concernant les résultats d’un éventuel recours ? « Très franchement, je connais les jeux politiques qui existent, mais je ne crois pas que ce qui a été dit dans la presse soit de nature à remettre en cause les éléments sur base desquels le jury motive sa décision. »

Est-il déçu que le gouvernement se dessaisisse de la question de l’abattage rituel ? « Quoi qu’il arrive, le point avance, sourit-il. Peut-être pas en ligne droite, mais il avance. Il n’était pas dans la déclaration de politique générale, mais j’ai pu le mettre sur la table du gouvernement. Maintenant, il va être porté au parlement et celui-ci va faire son travail. »

« Le monde où l’on vit est en permanente évolution et nous avons aujourd’hui une gigantesque opportunité pour repenser l’avenir des abattoirs d’Anderlecht. »

Bernard Clerfayt

Ministre bruxellois de l’Emploi et de la Formation

L’interdiction déboucherait sur des pertes d’emploi aux abattoirs d’Anderlecht. Que répond le ministre régional de l’Emploi à cet argument martelé par les socialistes ? « Le monde où l’on vit est en permanente évolution et nous avons aujourd’hui une gigantesque opportunité pour repenser l’avenir des abattoirs d’Anderlecht. On pourrait en faire un site pionnier, dans l’esprit de la stratégie européenne de la ferme à la fourchette. On pourrait intégrer cet abattoir dans la stratégie Good Food en y développant une filière bio. Le bio, c’est aussi le respect du bien-être animal, et donc l’étourdissement préalable. »

L’opportunité d’un hub Good Food n’a visiblement pas séduit ses collègues écologistes en charge de cette politique, glisse-t-on. « Je n’ai pas à indiquer la nature des débats au sein du gouvernement, mais on sent qu’il y a une certaine nervosité autour de cette question. Mais cela traverse tous les partis, donc il ne faut pas en faire une lecture purement partisane », précise Bernard Clerfayt qui constate que la question du bien-être animal obtient beaucoup plus d’attention qu’auparavant. « C’est devenu un véritable enjeu de société et il n’y a aucune raison que Bruxelles reste en dehors. »

« La chasse est interdite depuis 1989 à Bruxelles, à l’initiative du FDF. Ce qui montre d’ailleurs qu’il y a une certaine filiation dans ce dossier et non de l’opportunisme comme le disent certains. »

On évoque un autre argument du PS selon lequel il serait hypocrite d’interdire l’abattage rituel alors qu’on continuera d’importer de la viande produite de cette façon. « Ce n’est pas un argument très respectueux des parlementaires flamands et wallons qui ont voté cette mesure. Pourquoi on les traiterait d’hypocrites d’avoir appliqué sur le territoire où leur compétence s’exerce les standards les plus élevés de protection animale sans atteindre excessivement aux libertés religieuses comme vient de le confirmer la Cour constitutionnelle ? Sept ou huit pays parmi lesquels le Danemark, l’Islande et la Suisse l’ont fait. Je ne vois pas en quoi ils seraient tous hypocrites. Et ça ne nous empêche pas de travailler sur les autres aspects du bien-être animal. Certains parlent de la chasse, mais je rappelle que celle-ci est interdite depuis 1989 à Bruxelles, à l’initiative du FDF. Ce qui montre d’ailleurs qu’il y a une certaine filiation dans ce dossier et non de l’opportunisme comme le disent certains », gouaille Bernard Clerfayt qui ajoute que Bruxelles a signé pour les conditions de transport les plus confortables pour les animaux, dans le cadre d’un appel à positionnement de la Commission européenne.

« Je ne fais pas cela dans une volonté de s’opposer à des communautés. Je pense que c’est le sens de l’histoire. »

Une vidéo datant de la campagne 2019 dans laquelle Alain Maron (Ecolo) dit qu’il n’avancera pas sur l’abattage tant qu’il n’y a pas d’accord avec les représentants du culte circule sur les réseaux sociaux. Cela illustre-t-il une influence grandissante de la sphère religieuse sur le politique ? « Alain Maron m’a dit que cette vidéo était coupée au milieu d’une phrase, donc je dois voir l’intégralité de celle-ci pour me prononcer », esquive-t-il. « Il y a peut-être des réflexes de plus grande sensibilité à certaines communautés ou groupes de personnes comme toujours dans le débat politique. Pour reprendre un vieil exemple, VDB était l’homme des bouchers qui votaient tous pour lui  ! Mais sur la question du bien-être animal, j’ai des soutiens dans toutes les communautés, il n’y a pas de vision binaire des choses. Je ne fais pas cela dans une volonté de s’opposer à des communautés. Je pense que c’est le sens de l’histoire. »

Quatre secteurs en pénurie ciblés

Bernard Clerfayt serait à l’origine de blocages durant les négociations budgétaires. Pourquoi ? Il botte complètement en touche en disant notamment qu’il est toujours compliqué de faire un budget. Certes. Quelles seront les nouvelles mesures financées en 2022 ? « En transition numérique, environ 60 millions du plan de relance permettront de développer la stratégie de la donnée. Il s’agit de mieux coordonner, sécuriser et échanger l’ensemble des données en Région bruxelloise afin d’améliorer le fonctionnement des institutions bruxelloises et simplifier la vie des citoyens. »

« Le secteur de la construction déclare chercher des milliers de bras, mais ne transmet pas des milliers de demandes. »

En quoi consistera le plan de lutte contre les métiers en pénurie, annoncé quelques heures plus tôt par le ministre-président ? On retient de son exposé sur cette problématique qu’il y aura tout d’abord des tables rondes dans quatre secteurs  : la construction, la logistique, la santé et le numérique. « La grande difficulté, c’est que des secteurs qui se plaignent de ne pas trouver de main-d’œuvre n’adressent pas leurs demandes à l’office de l’emploi. C’est typiquement le cas de celui de la construction qui déclare chercher des milliers de bras, mais qui ne transmet pas des milliers de demandes. Tout le monde devra se mettre autour de la table où l’on se dira vraiment les choses les yeux dans les yeux. Il faut préciser les profils recherchés, vérifier si les formations existantes sont bonnes, les adapter si nécessaire, voire en créer sur mesure, ce que l’on fait déjà  ! »

Quand je vois certains présidents de parti qui disent que la solution, c’est uniquement ça ou uniquement ceci. Non, c’est un ensemble de choses. »

Et à choisir, est-il favorable à des mesures incitatives façon Dermagne ou plutôt du punitif version Georges-Louis Bouchez ? « Je pense qu’on doit mettre toutes ces mesures autour de la table. Je n’ai pas envie d’un combat idéologique, mais plutôt d’un débat pragmatique. Des gens veulent travailler, des entreprises veulent engager. Comment se fait-il qu’ils ne se rencontrent pas ? Est-ce qu’il y a un manque de confiance ? Certains employeurs disent qu’on leur envoie des gens qui n’ont pas le niveau. Travaillons sur la formation à donner. Si quelqu’un est venu, c’est qu’il a envie de travailler. »

Hausse du revenu de formation

En matière de formation, justement, le ministre Clerfayt annonce un nouvel incitant. « Le budget 2022 permettra de porter le revenu de formation – qui est passé de 1 à 2 euros l’an dernier pour toutes les formations – à 3 euros de l’heure pour les métiers en pénurie. C’est une mesure incitative, mais ce n’est pas la panacée non plus. C’est un signal positif pour dire qu’il y aura moyen de gagner sa vie dans ces secteurs-là », justifie-t-il tout en appelant surtout les parents à encourager leurs enfants à aller au bout de leurs études. « À Bruxelles, les opportunités d’emploi sont dans des secteurs avec un niveau d’exigence plus élevé qu’ailleurs. Continuer à avoir trop de jeunes qui sortent de l’école sans diplôme, c’est remettre la charge sur les services de l’emploi et de la formation. »

« Il se signe 100.000 contrats par an à Bruxelles. Si nos 90.000 chercheurs d’emploi disposaient des compétences demandées, ils auraient tous trouvé du boulot. »

On demande si, à l’instar de la Flandre, Bruxelles voudrait pouvoir être davantage derrière les demandeurs d’emploi que ne le permet la législation actuelle. « Notre enjeu à nous, c’est de rehausser le niveau de formation de nos travailleurs. Il se signe 100.000 contrats par an à Bruxelles. Si nos 90.000 chercheurs d’emploi disposaient des compétences demandées, ils auraient tous trouvé du boulot », résume Bernard Clerfayt, qui cite deux chiffres  : plus de 11% des personnes inscrites chez Actiris ne savent pas du tout utiliser internet et 17% ne comprennent pas la langue dans laquelle est inscrit leur dossier. « Comment peut-on décemment croire qu’en les envoyant passer une interview chez un employeur, ils ont une chance de réussir ? Je répète ces chiffres depuis un an et demi parce qu’ils m’ont marqué. C’est pourquoi des moyens du plan de relance européen serviront à screener et améliorer les compétences numériques et linguistiques des chercheurs d’emploi. Nous avons aussi étendu l’application Brulingua à 32 langues pour aller chercher tous ceux qui ne maîtrisent ni le néerlandais ni le français. »

Bruxelles veut cerner les compétences numériques et linguistiques de ses demandeurs d’emplois

Sur les territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), Bernard Clerfayt ne change pas de discours  : pas question que la Région bruxelloise finance seule un mécanisme dont les retombées positives ne profiteront qu’au niveau fédéral. « Nous avons écrit trois fois à Monsieur Dermagne pour lui demander de porter cette mesure qui figure dans son accord de majorité, mais je n’ai pas eu de réponse positive à ce stade. En attendant, pourquoi je choisirais le mécanisme qui coûte le plus cher par personne remise à l’emploi ? Le nom laisse rêveur, mais il est aussi un peu trompeur. Le chômage n’a pas disparu en France là où il y a des entreprises à but d’emploi. Certaines personnes refusent de rejoindre l’expérience. »

Titres-services plus chers

Sans transition, on enchaîne avec la réforme des titres-services annoncée pour 2022. « La volonté est de prévoir un mécanisme d’indexation automatique et sans doute de faire un rattrapage d’inflation partiel sur lequel je ne peux rien dire maintenant, car cela sera d’abord soumis aux partenaires sociaux. C’est une activité qui abîme les gens et il faut penser à aménager les fins de carrière à partir de 50 ou 55 ans, je ne sais pas encore. Une partie du budget permettra d’améliorer les conditions de travail des femmes et de généraliser l’exigence de formation au sein de ce secteur », commente le Schaerbeekois, qui ajoute que le partage avec l’usager de la charge de l’indexation permettra aussi à la Région de stabiliser le coût des titres-services.

« Je pense cependant que le niveau de pouvoir local a montré son utilité durant cette crise. Tout le monde comprend qu’on a besoin sur Bruxelles d’avoir deux niveaux  : le régional et le local. Alain Maron fait maintenant appel aux communes pour réussir la campagne de vaccination dans les quartiers où elle a eu moins de succès. »

« Il faut arrêter de considérer que Bruxelles ferait tout mal, que tout irait mal, parce qu’elle attire la pauvreté. »

L’entretien s’achève. Quelque chose à ajouter ? « Je suis très satisfait de voir comme Bruxelles vibre bien. On observe une dynamique de renouveau dans toute une série de quartiers, des commerces de proximité qui ouvrent leurs portes. Bruxelles retrouve sa capacité de ville qui draine, qui met des gens en contact, et de là découlent la créativité et la productivité. La ville attire aussi les gens qui ont plus de difficultés. Dans son livre « Triumph of the City », le professeur d’Harvard Edward Glaeser dit que le succès des villes se mesure à la pauvreté qu’elles attirent. La densité de population, d’activités économiques et sociales crée des opportunités qu’il n’y a nulle par ailleurs. Voilà pourquoi les personnes précaires viennent en ville. Il ne faut pas s’en réjouir, mais c’est un phénomène naturel des villes. Il faut arrêter de considérer que Bruxelles ferait tout mal, que tout irait mal, parce qu’elle attire la pauvreté. »

Les phrases clés

  • « La question du bien-être animal est devenue un véritable enjeu de société et il n’y a aucune raison que Bruxelles reste en dehors. »
  • « La grande difficulté, c’est que des secteurs qui se plaignent de ne pas trouver de main-d’œuvre n’adressent pas leurs demandes à l’office de l’emploi. »
  • « Le revenu de formation passe de 2 à 3 euros de l’heure pour les métiers en pénurie. »
  • « L’indexation des titres-services permettra d’améliorer les conditions de travail des aides-ménagères. »