Bernard Doroszczuk, président de l'ASN : "La sûreté nucléaire est un bien commun"


Certains la décrivent comme le gendarme le plus strict au monde. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) française est depuis quelques mois au coeur du débat concernant la disponibilité du parc nucléaire. Au sein de la filière, certains s’interrogent sur son rôle, ses décisions et ses prescriptions. 

Devenue autorité administrative indépendante en 2006, le gendarme serait devenu, à les entendre, un peu trop zélé. Imposant à EDF de travaux lourds dans les centrales, prescrivant des mesures qui vont à l’encontre de l’intérêt industriel du groupe public. Le patron de l’Autorité, Bernard Doroszczuk, s’en défend, et appelle à ne pas baisser la garde face à ce « bien commun » que la sûreté constitue à ses yeux.  

Bernard Doroszczuk, président de l'ASN :

L’Express : Quelle analyse faites-vous de l’état du parc nucléaire français en matière de sûreté ?  

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Bernard Doroszczuk : Nous estimons que le niveau de sûreté et de radioprotection des installations nucléaires en France est satisfaisant. Nous l’avions dit lors de notre rapport présenté en mai dernier à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). En revanche, il y a des fragilités sur le parc nucléaire d’EDF et dans les installations du cycle combustible. Elles sont sérieuses mais elles sont prises en main par les responsables nucléaires.  

mais aussi des industriels du cycle combustible d’une part  

Que préconisez-vous ?  

 

c’est la poursuite ou non du retraitement des combustibles usés sur les installations de La Hague au-delà de 2040 comme prévu actuellement. Si le retraitement est poursuivi, il faudra réaliser un « grand carénage » dans les installations de La Hague, mais ce « grand carénage » ne sera certainement pas suffisant sur le long terme. Il faudra peut-être même reconstruire une installation si le retraitement ou le multi-retraitement est envisagé sur le long terme.  

c’est celui des déchets. Il y a eu de manière régulière en France l’élaboration d’un plan national de gestion des matières radioactives et des déchets. Le cinquième plan va être approuvé cette année. Il faut absolument que ce plan qui aura une durée de cinq ans soit le plan des solutions. Si des décisions ne sont pas prises dans les cinq ans qui viennent, il est clair que notre pays ne disposera pas à horizon de 15 ou 20 ans des bonnes solutions pour pouvoir traiter ses déchets. 

c’est celui des capacités industrielles et la gestion des déchets.  

Cela suppose de la part de l’ensemble des acteurs l’Etat, les exploitants, les fabricants, la filière, mais aussi les territoires, les élus, vraisemblablement les filières de formation professionnelle une mobilisation sans précédent. Il faut un véritable « plan Marshall » pour tracer des perspectives à la fois robustes, réalistes et réalisables, permettant aux industriels de la filière de s’engager.  

La crise de l’énergie est aggravée en France par la faible disponibilité du parc nucléaire, dont la production est au plus bas notamment à cause du phénomène de corrosion sous contrainte touchant certains réacteurs. La sévérité de l’Autorité de sûreté nucléaire dans ses contrôles est parfois mise en cause comme un des éléments expliquant les baisses de production. Que répondez-vous ?  

Il y a parfois une ambiguïté ou certains propos tenus, qui ne sont pas tout à fait exacts. La corrosion sous contrainte a été décelée par EDF en fin d’année 2021 sur un des réacteurs du pallier dit « N4 », celui de Civaux, qui a 20 ans. EDF, au vu des résultats des contrôles effectués sur ce type de réacteurs a décidé de son propre chef de mettre les 4 réacteurs N4 à l’arrêt. Ensuite, évidemment, nous avons demandé à EDF de nous expliquer ce qu’il comptait faire face à ce phénomène inattendu. L’exploitant a indiqué qu’il allait procéder à une analyse des résultats des contrôles historiques qui avaient été faits sur l’ensemble du parc.  

Huit réacteurs ont été choisis par EDF, en plus des quatre réacteurs du pallier N4. Nous avons jugé que le choix était pertinent.  

L’ASN n’a demandé aucune mise à l’arrêt de précaution. Il y a parfois des fausses idées autour de la position de l’ASN, de ses exigences et de la situation. La corrosion sous contrainte est un problème sérieux en termes de sûreté. La taille de certaines fissurations ne laisse parfois que peu de marge par rapport au défaut critique pouvant entraîner une rupture brutale des circuits. Ce n’est pas un sujet qu’il faut prendre à la légère, et cela a été traité sérieusement par EDF. Nous avons été en étroite relation pendant la totalité du processus. 

La perte de marge de production électrique dans l’Hexagone met le pays en situation de vulnérabilité et l’explosion des prix menace le pouvoir d’achat des Français comme la compétitivité des entreprises. Ne faut-il pas une meilleure concordance entre exigence de sûreté et enjeux socio-économiques ?  

La sûreté nucléaire doit être considérée comme un bien commun. Aucun des acteurs du nucléaire ne tirerait profit d’un arbitrage entre sûreté et enjeux socio-économiques qui affaiblirait la confiance dans le contrôle de la sûreté nucléaire. Chacun intervient dans le cadre de la mission qui est la sienne. La mission de l’Autorité de sûreté nucléaire est de protéger les personnes et l’environnement. Et évidemment mon credo c’est la sûreté nucléaire et la radioprotection. L’ASN doit pouvoir répondre de la manière dont elle exerce sa mission, notamment devant le Parlement. Elle exerce sa mission d’instruction et de contrôle de manière proportionnée aux enjeux. Lorsque les enjeux de sûreté sont très forts, nous prenons des décisions fortes. Lorsqu’ils sont moins forts, nous adaptons notre niveau d’exigence. L’ASN ne prend pas de décision inutile.  

C’est ce que nous avons fait dans le cadre de la corrosion sous contrainte, en restant en étroite relation avec EDF qui a totalement assuré sa responsabilité première d’exploitant. La stratégie priorisée de contrôle et de réparation proposée mi-juillet a été jugée appropriée à la situation. EDF va conduire des contrôles en priorisant les réacteurs susceptibles d’être les plus affectés lors des arrêts programmés. Ils seront réalisés avec une nouvelle technique de contrôle non destructif qui permet de caractériser la taille des fissurations et donc d’éviter les découpes. 

Ils pourraient donc parfois conduire à détecter des fissurations. Mais ce n’est pas parce qu’il y aura des fissurations que l’on demandera la mise à l’arrêt du réacteur. Si les défauts ne sont pas d’une taille telle qu’il faille réparer de manière immédiate, l’ASN pourra l’accepter. Il s’agit bien d’une démarche proportionnée. In fine, l’ensemble des circuits affectés devront être réparés, mais ces réparations pourront être étalées au regard des enjeux. 

Quel est l’Etat du dialogue avec EDF ? Après les multiples défaillances de l’exploitant à Flamanville, ou même de la filière, l’exigence de conformité de votre part n’est-elle pas en train de primer sur la sûreté ?  

J’ai vraiment le sentiment que le dialogue technique entre l’ASN et les exploitants s’est plutôt amélioré dans les dernières années. Pour moi, les relations sont bonnes et nous avons des entreprises qui assument leur responsabilité. Les installations vieillissent et une installation qui vieillit c’est une installation dont la conformité à son référentiel de sûreté doit être réévaluée et garantie.  

C’est ce que doivent faire les exploitants lors des réexamens périodiques de sûreté de leurs installations qui sont accompagnés d’un examen approfondi de conformité. Cette exigence est indissociable de la sûreté. 

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