Cancers du poumon : pourquoi la France tarde à les dépister


Pour éviter de mourir d’un cancer du poumon, le plus simple est encore de ne pas fumer. Mais au-delà de cette évidence, des scientifiques ont montré depuis maintenant plus de dix ans que des scanners proposés à échéances régulières à des fumeurs ou à des anciens fumeurs permettaient de réduire très nettement la mortalité liée à ces tumeurs, à l’origine de plus de 33 000 décès par an en France. Depuis, un peu partout dans le monde, pneumologues et cancérologues militent en faveur de ce dépistage.

Les Etats-Unis, la Chine, la Corée du Sud et les Pays-Bas l’ont déjà mis en place. Au Royaume-Uni, les dirigeants du NHS, le système de santé national, financent même des bus équipés de scanners, qui stationnent sur les parkings des supermarchés pour permettre au plus grand nombre de réaliser ces examens. 

Cancers du poumon : pourquoi la France tarde à les dépister

Et dans l’Hexagone ? La stratégie décennale de lutte contre les cancers lancée le 4 février 2021 par le Président de la République, a placé ce sujet parmi ses priorités.

Mais en pratique, la réflexion avance lentement. L’enjeu, pourtant, est de taille. Ces scanners permettent de repérer des tumeurs à des stades précoces, quand elles sont encore opérables et n’ont pas entraîné l’apparition de métastases.

« Les poumons ne sont pas innervés, et une lésion peut atteindre jusqu’à 4 ou 5 centimètres avant de commencer à entraîner des symptômes. Aujourd’hui, la plupart des patients sont donc diagnostiqués très tardivement, quand la maladie est déjà trop avancée pour espérer les guérir », regrette le Pr Nicolas Girard, coordinateur de l’Institut du thorax Curie-Montsouris. 

Un cancer dont on peut guérir s’il est pris en charge très tôt

Malgré sa réputation de tueur, le cancer du poumon peut en effet être traité avec succès s’il est pris en charge tôt.

Les cancérologues ont l’habitude de dire que, schématiquement, le taux de survie à cinq ans diminue de 10 % à chaque fois que la tumeur gagne un centimètre. Ainsi, il s’établit à 90 % pour une lésion d’un centimètre, mais baisse à 50 % quand celle-ci en atteint cinq. « Deux grandes études, l’une américaine, l’autre européenne, ont montré que le dépistage pouvait réduire la mortalité de 20 % à 35 %, poursuit le Pr Girard.

Soit, appliqué à la France, de 7000 à 12 000 vies sauvées par an ». Sans compter que ces examens peuvent aussi parfois mettre au jour d’autres pathologies liées au tabac, comme des atteintes coronariennes, par exemple. 

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En 2016, pourtant, la Haute autorité de santé avait mis son véto à ce dépistage. « Cela bloquait toute possibilité d’avancer, car dans notre pays, ce type de programme ne peut se mettre en place que si cette instance en valide l’intérêt. On ne pouvait même pas mener des expérimentations », regrette le Pr Girard.

En cause, un manque de données probantes, selon le Dr Lise Alter, directrice de l’évaluation médicale, économique et de santé publique à la HAS : « A ce moment-là, seul un essai publié par une équipe américaine suggérait qu’un dépistage par scanner faible dose pourrait réduire la mortalité spécifique mais les conditions de réalisation de cette étude n’étaient pas représentatives du contexte français. Des éléments étaient par ailleurs en défaveur du dépistage (fréquence élevée des faux positifs, risque accru de complications). Pour nous, le niveau de preuve n’était donc pas suffisant.

Depuis, nous avons poursuivi l’analyse de la littérature avec notamment des méta-analyses à fort niveau de preuve, qui nous ont permis de mettre à jour nos travaux et d’émettre de nouvelles recommandations.  » 

En effet, les experts de la HAS ont entrouvert la porte au dépistage en début d’année – quatre ans après la parution d’une grande étude européenne, qui démontrait une nouvelle fois le bénéfice de ce dépistage. Et encore, il ne s’agit pas d’un avis positif, mais de la possibilité de lancer un programme pilote.

Pourquoi une telle prudence ? « Nous avons envie d’avancer, assure Lise Alter, mais nous n’avons pas encore toutes les réponses à nos questions. Beaucoup de points restent à clarifier avant de pouvoir aller vers un programme à l’échelle nationale ». 

Une biopsie peut en effet permettre de trancher, mais il est inenvisageable de proposer ce geste invasif et potentiellement risqué à tous les patients chez qui un scanner aurait montré une anomalie.

« Les scanners doivent être lus par des équipes expérimentées, qui vont pouvoir décider de la meilleure conduite à tenir », répond le Pr Girard. Le plus souvent, face à une lésion de moins d’un centimètre, il suffira de répéter le scanner après quelques semaines pour surveiller l’évolution, assure le spécialiste. 

Les fumeurs ou ex-fumeurs de plus de 50 ans plus concernés

Il existe donc aussi un enjeu d’organisation des soins, car il faudra s’assurer que les experts seront bien disponibles et en nombre suffisant.

Selon les critères retenus, la population cible pourrait en effet vite s’avérer importante. Les cancérologues estiment que les fumeurs ou ex-fumeurs de plus de 50 ans, qui comptent plus de 25 ans de tabagisme et qui, le cas échéant, sont sevrés depuis moins de 15 ans, pourraient être concernés. « C’est un point qui doit encore être validé, nuance Lise Alter.

Nous nous demandons aussi s’il faudrait inclure les personnes exposées au tabagisme passif, ou prendre en compte la quantité de cigarettes fumées ».  

D’où l’importance, pour la HAS, de ce programme pilote. D’autant que d’autres points encore se trouvent en discussion : le rythme auquel les scanners devraient être répétés, mais aussi la dosimétrie utilisée, la répartition territoriale des appareils utilisés (des scanners à faible dose, qui ne sont peut-être disponibles partout), la formation des professionnels, l’acceptabilité dans la population, ou encore l’impact sur le tabagisme.

Certains s’inquiètent en effet du risque de faussement rassurer les fumeurs, qui seraient alors moins incités à arrêter. Il faudra également trouver comment contacter les personnes concernées, puisque le critère principal, le tabagisme, ne figure dans aucune base de données publique. 

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