La carte des émeutes de 2023 n’est plus celle des « banlieues chaudes »


Une semaine après le pic des émeutes, dans la nuit du vendredi 30 juin au samedi 1er juillet, la carte de France des attaques et des pillages commence à parler. Trop tôt pour des analyses exhaustives sur les causes de l’embrasement, comme l’a bien compris Emmanuel Macron qui a appelé à prendre le temps de la réflexion. Mais tout de même des indices intéressants.

Durant les quatre principales nuits d’émeutes, 553 villes ont été touchées par des dégradations. Deux éléments retiennent l’attention des chercheurs et des pouvoirs publics. Cette carte ne coïncide que très partiellement avec celle des quartiers sensibles, d’une part, et avec celle des émeutes de 2005 d’autre part.

Les premiers éléments d’analyses présentés en début de semaine par Christophe Béchu, ministre en charge de la cohésion des territoires, montrent qu’il n’existe pas de corrélation entre les communes attaquées et les quartiers de politique de la ville. Ainsi, 274 villes sur les 553 ne comportent pas de quartier concerné par le programme de l’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru). De même, 169 n’ont pas de quartier concerné par la politique prioritaire de la ville (où sont mis en œuvre des programmes comme les cités éducatives ou les quartiers de reconquête républicaine), soit environ 30 %.

Le foyer de la Seine-Saint-Denis en 2005

Le chercheur Hugues Lagrange livre une estimation encore moindre, avec près de 21 % de villes ayant subi des violences concernées par la politique prioritaire de la ville, contre 30 % en 2005. Le sociologue qui avait finement analysé les émeutes d’il y a 18 ans met par ailleurs en exergue le décalage entre les deux épisodes. Sur les 260 communes françaises de plus de 30 000 habitants, seulement 44 % de celles qui avaient connu des violences en 2005 en ont eu de nouveau en 2023 et 58 % des communes qui n’en avaient pas connu alors en ont eu la semaine dernière.

« Il y a comme on dit une corrélation négative, c’est-à-dire que ces pourcentages s’opposent », relève le chercheur pour souligner qu’il ne faut pas faire trop vite le parallèle entre les deux épisodes.De fait, la fièvre sociale était partie en 2005 de Seine-Saint-Denis et avait très vite gagné les banlieues des grandes agglomérations d’Île-de-France puis de tout le pays. Ce qui frappe en 2023, c’est que la Seine-Saint-Denis a été moins touchée et que de grandes métropoles comme Lyon ou Marseille sont entrées plus tard dans la mobilisation.

D’autres telles que Toulouse ont été plutôt préservées. En revanche, c’est une myriade de sous-préfectures et même de petites villes qui ont très vite embrayé la semaine dernière, dès la deuxième nuit.

Vernon, Migennes ou Oyonnax

Dans des cités comme Vernon (Eure), Migennes (Yonne) ou Oyonnax (Ain) des incendies ont ciblé les institutions et des tirs de mortier ont visé les forces de l’ordre.

Professeur de sociologie à Paris VIII, Michel Kokoreff (2) tient toutefois à relativiser l’aspect inédit de cette séquence, l’idée que la France des villes moyennes serait d’un coup rattrapée par les émeutes. Depuis 2005, on a déjà connu de telles situations d’émeutes, comme à Vitry-le-François (Marne) en 2008, ou à Amiens (Somme) en 2012.Selon le chercheur, « les villes éloignées des métropoles connaissent les mêmes phénomènes de ségrégation urbaine.

Les conditions de vie y sont parfois encore plus difficiles mais comme ces quartiers sont plus petits, ils retiennent mois l’attention des pouvoirs publics. » Pour Michel Kokoreff, la propagation rapide des émeutes de 2023 n’est pas une surprise. « Cela fait des années que les travailleurs sociaux, les militants, les chercheurs tirent la sonnette d’alarme sans être entendus.

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Un ressort moins social, plus identitaire

Reste toutefois que le scénario de la semaine dernière interpelle. Les pouvoirs publics ont souligné la moyenne d’âge (17 ans) des 3 600 jeunes interpellés et le fait que la plupart d’entre eux n’étaient pas connus de la justice. Hugues Lagrange fait l’hypothèse qu’entre 2005 et 2023, les « acteurs » des émeutes ne sont plus les mêmes.

« En 2005, les émeutes étaient adossées à des réalités sociales comme le chômage ou les difficultés des familles nombreuses. Les jeunes s’en prenaient aux institutions. »Aujourd’hui, les scènes de pillages dans les centres-villes, phénomène nouveau, seraient davantage le fait d’une jeunesse des quartiers qui se sent ostracisée, notamment les enfants de familles d’origine subsaharienne.

« Ce qui alimente la colère est peut-être moins social, plus identitaire », envisage le sociologue.Pourquoi l’étincelle de la colère met-elle le feu à telle cité et pas à telle autre ? Il est encore trop tôt pour répondre à cette question et Michel Kokoreff se méfie des généralités. Il pointe en particulier l’impact du climat social et politique particulier à chaque commune.

« Je remarque que la situation a très vite dégénéré en région parisienne dans des villes comme Asnières (Hauts-de-Seine) ou à Mantes-la-Jolie où la situation est notoirement très dégradée entre les jeunes et la municipalité. » Il ne faut pas sous-estimer les dynamiques locales, insiste le chercheur, l’importance des relations entre les villes, les associations et la population. Un point sur lequel insistait, en 2018, le rapport de Jean-Louis Borloo enterré par Emmanuel Macron.