Catherine Nay : "Si quelqu’un peut battre Macron, ce ne peut être qu’un candidat de la droite"


Dans ses mémoires, l’ancienne éditorialiste d’Europe 1 Catherine Nay balaie cinquante années de vie politique française. Le deuxième tome, qui vient de sortir en librairie, commence le 17 mai 1995 avec l’élection de Jacques Chirac et se termine le 1er décembre 2016 avec le retrait de François Hollande de la course présidentielle. De passage à Bruxelles, Catherine Nay livre son analyse sur le début de la campagne pour la présidentielle d’avril prochain.

« Le président n’est pas élu pour emmerder les Français. »

La récente sortie d’Emmanuel Macron au sujet des non-vaccinés s’apparente-t-elle à un dérapage?

Le président s’exprimait devant un panel de lecteurs dont des membres du personnel soignant et qui, dès lors, n’ont peut-être pas été choqués par cette déclaration. Ceci étant, le président n’est pas élu pour emmerder les Français. C’est au minimum une erreur de langage, qui a choqué beaucoup de gens. Il faudra voir aussi à la fin de l’épidémie si cette phrase a contribué à progresser dans la gestion de l’épidémie ou si elle a eu l’effet inverse.

Georges Pompidou avait, lui aussi, utilisé cette terminologie…

Pompidou avait déclaré qu’il fallait « arrêter d’emmerder les Français » avec des lois et règlements en tout genre (en 1966 lorsqu’il était Premier ministre et il s’adressait à un certain Jacques Chirac, haut fonctionnaire qui débutait en politique, NDLR). Avec Macron, c’est la démarche inverse de Pompidou, il veut bel et bien emmerder certains Français.

« Il est vrai que Macron a été giflé. Cela fait partie de l’ensauvagement de la société actuelle. »

La rue traite Macron comme aucun président de la Ve République n’a été traité avant lui. Comment expliquer cette désacralisation de la fonction présidentielle?

Avec l’arrivée de Macron, c’est tout un système politique qui a été rompu. On a vu arriver beaucoup de députés hors-sol, inconnus du terrain. Résultat: on ne dispose plus des amortisseurs dans les territoires pour recevoir les doléances des mécontents. Les gens viennent taguer les devantures des permanences sans connaître ceux qui les tiennent. Ceci dit, le général de Gaulle a, lui aussi, été houspillé. En Bretagne, il s’était même pris un coup de parapluie. Avec Sarkozy, il y a eu l’épisode du Salon de l’Agriculture avec le « casse-toi pauv’ con » en réponse au « touche-moi pas, tu me salis » lancé par quelqu’un dans la foule. Il est vrai que Macron a été giflé. Cela fait partie de l’ensauvagement de la société actuelle.

La politique actuelle du gouvernement, c’est de s’endetter et d’anesthésier les Français à coups de subventions.

Macron est-il de gauche ou de droite?

Macron est un peu comme un papillon, il va là où il y a la lumière. Il s’adapte. Il est séduit par toutes les idées, c’est le fameux « en même temps », mais cela peut parfois mener à des contradictions. Certains y voient du pragmatisme. Quand il voit que la droite a le vent en poupe, il a plutôt tendance à être de droite. Et puis, c’est quoi être de gauche aujourd’hui? On pense spontanément qu’il s’agit de faire du social. Mais la politique actuelle du gouvernement, c’est de s’endetter et d’anesthésier les Français à coups de subventions.

Pourquoi Macron dit qu’il veut emmerder les non-vaccinés

Après le grand chambardement provoqué par En Marche en 2017, va-t-on un jour assister à la reconstitution de la droite et de la gauche en France?

C’est déjà le cas pour la droite républicaine qui reste le deuxième groupe à l’Assemblée nationale, disposant de beaucoup de parlementaires sur le terrain. Dès que Valérie Pécresse a remporté la primaire, les quatre autres candidats, y compris Eric Ciotti, se sont rangés derrière elle pour la soutenir et elle a tout de suite grimpé les sondages. C’est très différent de ce qui s’est passé en 2017 où il y avait de vieilles rancunes et des cadavres dans les placards à tous les étages. On sentait l’acrimonie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La droite sait que si elle est divisée, c’est fini pour elle. L’unité, c’est sa survie.

C’est ce qui fait défaut à gauche?

Anne Hidalgo a été investie avec 98% des voix au PS, mais il n’y a pas d’effet Hidalgo. Pourquoi ? Parce que vous ne trouvez pas au PS cinq personnes capables de s’accorder sur les problèmes du moment. La gauche est complètement divisée. Si quelqu’un peut battre Macron, ce ne peut être qu’un candidat de la droite.

« Le fait d’être désignée par son parti va booster Valérie Pécresse. C’est maintenant qu’on va voir si elle a l’étoffe. »

Valérie Pécresse a-t-elle l’étoffe d’une future présidente?

Si vous m’aviez posé cette question il y a quatre mois, j’aurais répondu : je ne sais pas. Maintenant que Valérie Pécresse est désignée comme candidate, on ne veut voir que ses qualités. Elle a été deux fois ministre du Budget et réalisé la réforme de l’université avec beaucoup de courage. Elle a tenu le choc. Elle a de l’autorité, elle tient sa région d’Ile-de-France. La fonction fait l’organe, comme on dit. Le fait d’être désignée par son parti va la booster. C’est maintenant qu’on va voir si elle a l’étoffe. Si elle a décollé dans les sondages, c’est parce que les Français ont compris qu’il y a des gens qui la soutiennent et qu’elle a un programme.

« La grande question, c’est de savoir si Zemmour peut passer devant Marine Le Pen. »

Comment percevez-vous le phénomène Zemmour?

Il donne l’impression d’être atteint par l’hubris. À son meeting à Villepinte, il y avait du monde dont beaucoup de jeunes ne portant pas de masques. Dans son discours, il s’est posé en victime du système, des médias, etc. C’était un peu agaçant. C’est un bon orateur, un tribun qui sait « prendre » une salle. Il portait des petites lunettes, ce qui lui donnait un air plus sérieux. Ceci étant, j’ai suivi assez de campagnes présidentielles pour savoir qu’une foule et des drapeaux ne font pas une élection. La grande question, c’est de savoir si Zemmour peut passer devant Marine Le Pen…

« J’ai suivi assez de campagnes présidentielles pour savoir qu’une foule et des drapeaux ne font pas une élection. »

Marine Le Pen est-elle vraiment mise en difficultés par Zemmour ou est-ce qu’elle attend son heure ?

Zemmour roule à droite de la droite, tandis que Marine Le Pen a aujourd’hui l’image d’une femme résiliente, qui brave les tempêtes. Est-elle pour autant une femme plus compétente qu’il y a cinq ans ? Je ne sais pas… Elle se distancie par rapport à Zemmour en se faisant passer pour une extrême droite centriste, en disant des choses raisonnables. Entre les deux, je ne sais pas qui sortira en premier.

En quoi Michel Barnier a-t-il raté le coche?

il a su préserver l’unité parmi les Européens face aux exigences britanniques. Par contre, il m’a quelque peu déçue dans ses derniers discours, notamment au sujet de l’immigration. Ce n’est pas un grand orateur et sur les plateaux télé, il manque parfois un peu de vivacité.

Et Xavier Bertrand?

Il a très vite plafonné dans les sondages, aux alentours de 13-14%. À partir de là, il ne pouvait pas être celui qui allait battre Macron et il n’a pas eu d’autre choix que de se raviser et de réintégrer le parti.

Qui pourrait au final battre Macron? N’est-il pas déjà dans un fauteuil?

Ce serait aller un peu vite, je pense. Le problème de Macron, c’est qu’il n’a pas de parti. En Marche n’existe pas réellement, car c’est un parti qui n’est pas implanté. En Marche n’a remporté aucune ville ni aucune région.

«Tu le sais bien, le temps passe. Souvenirs, souvenirs 2», Catherine Nay, éd. Bouquins, 430 pages, 23 euros.

Le secret d’Albin Chalandon

Catherine Nay est la compagne de l’ancien ministre gaulliste Albin Chalandon, décédé en 2020 à l’âge de 100 ans. Celui-ci portait un lourd secret que Catherine Nay dévoile dans ce deuxième tome de ses mémoires. Les faits remontent à l’été 1944 et les combats pour la libération de la France. À la tête d’un groupe de maquisards dans la région d’Orléans, le jeune Chalandon avait reçu l’ordre en haut lieu d’exécuter deux collaborateurs, un père et son fils qui avaient tous deux du sang sur les mains. En tant que responsable du maquis, il avait voulu assumer seul cette responsabilité plutôt que de désigner parmi ses hommes un peloton d’exécution. La guerre terminée, Chalandon a toujours soigneusement évité de se rendre aux cérémonies du souvenir, prétextant qu’il n’avait pas le goût des commémorations. Jusqu’à ce que Catherine Nay découvre dans les papiers de son défunt mari un texte poignant rédigé en 1982 où il revient sur ces faits de 1944 : « Ce jour m’a fait devenir un autre. Outre la tranquillité du sommeil, qui m’a fui pour de nombreuses années, j’ai perdu celle de la conscience. (…) Pourquoi aurais-je été de ces privilégiés que le diable tente, mais n’utilise pas? »

Les phrases clé

  • « Le président n’est pas élu pour emmerder les Français. »
  • « Macron est un peu comme un papillon, il va là où il y a la lumière. »
  • « La droite sait que si elle est divisée, c’est fini pour elle. »
  • « La grande question, c’est de savoir si Zemmour peut passer devant Marine Le Pen. »
  • « Le problème de Macron, c’est qu’il n’a pas de parti. En Marche n’existe pas réellement, car c’est un parti qui n’est pas implanté. »