La lecture rapide mise à l'index par des scientifiques


« Je suis champion du monde de lecture rapide 2021 et j’ai lu l’an passé plus de 250 livres ». Voilà comment Kamel Kajout se présente à 20 Minutes le temps d’une vidéo. Ce trentenaire, originaire d’Île de France, y propose ses astuces et une démonstration de lecture rapide. Tout en dessinant un S avec son doigt, il balaye rapidement les pages d’un journal de 20 Minutes, puis répond plus ou moins bien à une série de questions sur ce qu’il a lu, et explique le secret de sa rapidité  : la « lecture périphérique ».Néanmoins depuis quelques jours une vidéo du youtubeur G Milgram, inspiré d’un article du média Futura, fait réagir les réseaux et pointe la non-efficacité des méthodes oculaires prônées par les défenseurs de la lecture rapide. D’après plusieurs études scientifiques, il est impossible d’augmenter sa vitesse de lecture sans compromettre la compréhension d’un texte.

Que dit la science face à la lecture rapide ?

Qu’est-ce que la « lecture périphérique ou parafovéale » dont parle Kamel Kajout ? Pour bien comprendre les mécanismes de cette théorie, il est important de faire un point sur la composition de la rétine. Formée en partie de cônes et de bâtonnets, elle est indispensable à la vision. Les cônes se trouvent au centre de la rétine. Une zone nommée la fovea centralis, située dans l’axe visuel de l’œil et où la perception des détails est la plus précise. Les bâtonnets, eux, se positionnent en périphérie de la rétine. « Ils nous renvoient des informations floues » et « ne détectent pas les couleurs mais uniquement le noir, le blanc et les nuances de gris », explique le chercheur au CNRS Angelo Arleo. Donc lorsqu’on regarde la page d’un livre, on distingue clairement certains mots grâce aux cônes et le reste de la page nous apparaît flou à cause des bâtonnets. Ainsi pour tout lire nous avançons notre regard au fil des lignes et de manière saccadée.

La lecture rapide mise à l'index par des scientifiques

Mais pour les adeptes de la lecture rapide nous perdons notre temps à procéder ainsi car il serait possible de se débarrasser de ces saccades et fixations oculaires. En effet, nous n’utilisons pas assez nos bâtonnets alors que ces derniers permettraient de scanner tout une page en quelques coups d’œil et de lire plus rapidement. Néanmoins pour Saveria Colonna, professeure en sciences du langage à l’Université de Paris-8, « les études de K. Rayner et ses collaborateurs (entre autres) montrent que la vision périphérique permet en effet de percevoir des informations. Mais plus on s’éloigne du point de fixation et moins on voit clairement. Voir une page et une ligne entière, c’est impossible en une seule fixation » Ainsi, cette chercheuse considère qu’ « on peut aller vite si on cherche une information précise, mais c’est plus de l’écrémage que de la lecture ». Dès lors, il est impossible d’augmenter sa vitesse de lecture sans compromettre sa compréhension du texte.

Une réponse « au matraquage médiatique quasi unanime »

A l’origine des derniers doutes sur la lecture rapide on retrouve le vidéaste G Milgram. Le jeune homme à l’identité secrète présente son enquête non pas comme « une discussion, ni un travail 100 % journalistique donnant la parole à tout le monde » mais comme « une enquête qui répond au matraquage médiatique quasi unanime sur ce sujet. » Finalement ce qui l’interpelle, ce sont autant les « prétentions extraordinaires » que l’absence, dans les médias, d’un questionnement autour des méthodes des sprinteurs de la lecture. Et pour ce point il y va de sa petite explication  : « Quand on apprend que nous, en France, on a une pléthore de champions du monde de lecture rapide (…) capables de lire 300 pages en 17 minutes, je peux comprendre qu’on ait alors envie de couvrir le sujet. »Kamel Kajout, champion du monde lecture rapide – S.Nevenkic / 20 MinutesDe leurs côtés Nadia et Kamel Kajout se défendent et considèrent que certains scientifiques n’englobent pas tout le processus de la lecture rapide. « Aujourd’hui on pense que la lecture rapide se résume à des techniques oculaires, alors que le cerveau et l’environnement ont des rôles très importants. » En effet selon leurs dires, « la lecture rapide est un processus où l’on met en place des tas de techniques de concentration et de prises de notes, qui permettent une lecture plus efficace. » Finalement, et même si la jeune femme pense que « la lecture rapide n’a plus rien à prouver », il serait intéressant que ces derniers confrontent l’ensemble de leurs méthodes à des tests scientifiques. « Une idée que nous avons en tête », confient-ils.