J’étais un petit citadin d’Annemasse dans un club citadin. Puis dans le sillage de mon père, je suis allé dans un club de montagne à Morzine. J’ai cette flamme pour ce milieu et j’ai un vrai sentiment d’apaisement de tirer le bilan de ces années qui sont passées à une vitesse incroyable. C’est une carrière longue mais quand on commence un métier comme DTN, on imagine que tout peut s’arrêter vite. C’est un poste où il faut être patient et regarder loin avec les clubs et les comités tout en ayant pour la haute performance des équipes de France le souci de l’immédiateté et du détail. J’ai toujours écouté et répondu rapidement aux questions de mes chefs d’équipe pour les athlètes en essayant de leur trouver des solutions. » Quand vous regardez le bilan sportif (53 médailles olympiques, 126 globes…), que retenez-vous comme temps forts ?« Il faut toujours faire attention avec ce genre de question car cela dépend aussi du moment où l’on vit ces émotions et avec qui. Mais je retiens le titre olympique de Jason Lamy-Chappuis à Vancouver en 2010 (en combiné nordique) avec le scénario de la course à suspense, le premier titre en slalom de Jean-Baptiste Grange aux Mondiaux à Garmisch (en 2011) avec une intensité de dingue. Mais aussi le second titre olympique (de snowboardcross en 2018) de Pierre Vaultier après sa grave blessure, le triplé du skicross à Sotchi en 2014. Trois Français sur le podium… Et le gros globe de ski alpin d’Alexis Pinturault en 2021 pour lequel nous avons lutté pendant dix ans en l’accompagnant dans son projet personnel. Et je boucle la boucle avec les exploits de Quentin Fillon Maillet cette année qui font suite à la carrière exceptionnelle de Martin Fourcade, sans oublier ces Jeux de Pékin où Clément Noël et Johan Clarey ont donné des couleurs au ski alpin français. »
Fabien Saguez retient, entre autres, le gros globe d’Alexis Pinturault en 2021, « pour lequel nous avons lutté pendant dix ans en l’accompagnant dans son projet personnel. »
/Christophe PALLOT
« Ces athlètes sont des héros »
les accidents de Sandra Laoura, Florent Astier ou encore Valentin Giraud-Moine. Pour Sandra, j’étais jeune DTN et cette prise de conscience de la responsabilité s’est imposée à moi. Elle ne m’a plus lâché. Je l’ai dit souvent, ces athlètes sont des héros. On attend des victoires, on est déçu parfois mais quand je me retrouvais à Bormio ou Kitzbühel, je ne dormais pas bien la veille des courses. D’où l’importance d’avoir dans le dispositif de la stabilité, de faire confiance aux entraineurs qui accompagnent avec leur expérience. » On retrouve cette stabilité dans la DTN…« Je me suis toujours inscrit dans cette stabilité. On m’avait dit, quand j’ai pris le poste : il faut être un homme de projets. La réalité, c’est que pour définir un projet, il faut connaitre les gens, écouter… en respectant des équilibres et une harmonie. On peut vivre un échec et ne pas avoir besoin de tout changer. On retrouve également cette stabilité dans les autres pays majeurs comme l’Autriche, la Suisse ou l’Italie, mais avec des politiques de fonctionnement différentes. »
« Pour Sandra (Laoura, paralysée après une mauvaise chute en 2007, NDLR), j’étais jeune DTN et cette prise de conscience de la responsabilité s’est imposée à moi. Elle ne m’a plus lâché. »
Sandra Laoura, aux Étoiles du Sports en décembre 2007, moins d’un an après son accident./Thierry GUILLOT
« J’ai toujours nourri une ambition saine d’aller toujours plus haut »
à la recherche d’une stabilité avec un changement de DTN lié à une fin de cycle avec le départ de Gérard Rougier le ministère des Sports Nous avons par exemple sécurisé les déplacements en hémisphère Sud travailler avec les marques, renforcer les staffs… » En 2014, vous annoncez de manière informelle l’objectif de 100 podiums en Coupe du monde et Ski Chrono vous prend au mot en créant le “Saguezomètre”, devenu un baromètre. L’avez-vous vécu comme une pression ?« Je ne recherchais pas les feux de la rampe et j’ai même été un peu gêné au départ. Je n’ai rien demandé… En revanche, dans ma vie, j’ai toujours nourri une ambition saine d’aller toujours plus haut. Cela s’applique à soi et au système. Je voulais donner un cap même si cela m’a valu des critiques en interne car certains staffs ont ressenti une pression. Cela a bien fonctionné au final et j’en ai pris la pleine responsabilité. »
« Ce n’est pas qu’un manque de moyens »
Vous avez également connu des échecs durant ses 16 ans, notamment sur la politique sportive du ski féminin même si l’on voit un frémissement actuellement, ou le saut à ski. Comment l’analysez-vous ?« Comme entraîneur chez les filles, j’ai vécu une période où nous avons connu une équipe dense avec Régine Cavagnoud, Carole Montillet, Laétitia Dalloz, Mélanie Suchet… avec une dynamique et une provenance des athlètes plus élargie : cela venait du Mont-Blanc, de la Savoie, du Dauphiné, du Jura. Tout cela s’est resserré et nous avons perdu pas mal d’intérêt dans les clubs pour le ski féminin et également dans l’organisation du sport en France. Il y a plus de concurrence dans l’offre. Sur le ski féminin, j’ai essayé de travailler sur différents modèles. Nous avons travaillé avec des gens en place comme Jean-Philippe Vulliet qui a eu de très bons résultats. Puis on a changé de génération et nous n’avons pas trop bougé dans la réflexion. Nous avons pris du retard, notamment dans la variété des terrains d’entraînement, retard que l’on traine toujours, je le reconnais… » Cette situation dans le ski féminin est-elle liée au manque de moyens et d’engagement des stations ou à un problème d’approche ? « Nous avons fait du super travail avec certaines stations comme l’Alpe d’Huez, Tignes ou Val d’Isère… mais ce n’est pas suffisant. Hors période de pandémie, il est essentiel d’aller l’été en Argentine et en Scandinavie à l’automne. Ce n’est pas qu’un manque de moyens. Il y a eu un moment où on n’a pas fait assez de ski ou on n’a pas assez osé car on ne voulait pas se mettre en danger. Il y a également l’évolution sociétale qui ne favorise plus la pratique du ski pour les filles qui peuvent mettre la flèche en raison des blessures et des risques pour l’intégrité physique dans une société qui magnifie le physique… Nous devons aussi travailler sur la formation des entraîneurs. » Et sur le saut, nous avons l’impression que l’on ne pourra jamais y arriver…« Sur le saut, nous avons une population limitée de passionnés et des soucis de structures. Il y a eu des projets. Mais c’est une question de moyens, de culture qu’on a perdue et de fonctionnement des structures quand on les a rénovées. »
Joséphine Pagnier, 19 ans, a obtenu son premier podium en Coupe du monde cette saison, malgré des moyens et des structures en France (très) limités, comme le souligne Fabien Saguez.
« J’ai un sentiment d’apaisement »
» Avez-vous eu un regret durant votre long bail à la DTN »
Le bilan sportif de l’ère Fabien Saguez
– Jeux Olympiques (4 olympiades) : 53 médailles dont 15 or + 17 argent + 21 bronze.- Championnats du monde : 198 médailles dont 63 en or.- Championnats du monde (disciplines olympiques) : 156 médailles dont 53 en or.- Championnats du monde (disciplines non olympiques) : 22 médailles en télémark dont 3 en or + 20 médailles en ski de vitesse dont 7 en or.- Coupe du monde : plus de 1900 podiums dont un quart de victoires.- Coupe du Monde (disciplines olympiques) : 1457 podiums.- Coupe du monde (disciplines non olympiques) : 256 podiums en télémark dont 79 victoires + 117 podiums en ski de vitesse dont 12 victoires.