« C’est illégal de payer au forfait dans notre profession » déclare le patron d’une société d’ambulance


Suite à l’accident qui a causé la mort de deux adolescents à Lyon mettant en cause une ambulance, nous avons rencontré le patron d’une société d’ambulance qui dénonce « les règles que certains chefs d’entreprises ont mises en place ». Selon lui, « Les conditions de travail se sont détériorées à cause de la recherche de profit, le travail à la course », « au détriment de la sécurité ».

Il y a eu un accident dramatique, lundi 22 aout, sur le quai Maréchal Joffre à Lyon. Deux jeunes en trottinette ont été mortellement renversés par une ambulance, qu’en pensez-vous ?

La mort de deux adolescents, deux enfants, c’est terrible. Je suis moi-même père de famille. Je pense aux familles. Le symbole est fort.

Il y a eu un autre fait divers en décembre l’année dernière. Un motard de 67 ans qui s’était fait renverser par une ambulance qui avait grillé un feu rouge, mais on n’en a pas entendu parler de la même façon.

L’accident en lui-même ne m’étonne pas vraiment. On est sollicité. Il faut toujours aller très vite, mais quand il y a un souci on nous dit : ‘il faut aller vite, mais pas aussi vite’.

Ce qui va se passer à Lyon, ça va être terrible, ça va être la chasse aux ambulanciers.

Les conditions de travail des ambulanciers se sont-elles dégradées ces dernières années ?

Oui, à cause de règles que certains chefs d’entreprises ont mises en place. Aujourd’hui, vous voulez embaucher un ambulancier, il va vous demander ‘mon taux horaire est à combien? ’Si vous lui répondez : ‘le taux horaire est à 11 euros 64 ’et que dans une autre entreprise on lui dit ‘moi je te paye au pourcentage, je vais te donner 17% ou 25% de ce que tu me rapportes’… Un, il n’a pas intérêt à venir chez moi, deux, il a intérêt à aller dans l’autre entreprise et trois, il a intérêt à envoyer sur la route, parce que s’il fait par exemple 1500 euros de transports dans la journée, il aura 25% de ces 1500 euros dans sa poche.

Quelles sont les irrégularités que vous constatez le plus souvent ?

Il y a quand même des choses qui sont terribles dans ce métier… On est tenu d’avoir un carnet de route qui équivaut au disque des routiers. Certaines sociétés l’ont, d’autres… Il y a des ambulanciers, qui sortent de l’école, qui ne savent même pas ce que c’est quand ils arrivent dans l’entreprise. Il y en a qui n’ont jamais vu de carnet d’heure alors qu’il est obligatoire depuis 2000. Il y a des salariés qui ne connaissent même pas la couleur de la médecine du travail.

Qu’en est-il de la règlementation au niveau des horaires ?

Le maximum qu’un ambulancier peut faire c’est 12 heures ou 14 heures à titre exceptionnelles pour qu’il puisse terminer sa mission. Il doit y avoir 11 heures de coupure entre chaque fin et prise. Sur de longues missions, pour aller à Lille par exemple, cela peut être compliqué.

Vous faites beaucoup de kilomètres et vous devez aller vite, cela entraine-t-il des risques en matière de sécurité ?

On fait beaucoup de km, après quand on voit le fait divers qu’il y a eu, c’est dramatique. Certaines entreprises ne respectent pas les règles, mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

Nous, par exemple, quand on part pour une mission, on va ya aller rapidement, mais mes ambulanciers ne vont pas rouler sur deux roues, avec les gyrophares et les pleins phares.

Sur une journée de 10 heures, mes employés vont faire 10 transports. Vous arrivez à trouver des sociétés qui arrivent à en faire deux fois plus, c’est au détriment de la sécurité.

Les ambulances ont-elles le droit de prendre la voie des bus ?

Vous avez deux sons de cloches. Nos instances nous ont dit : ‘si vous êtes en mission pour le 15 vous avez le droit de la prendre’, mais ça ne veut pas dire qu’on peut rouler à 180 dessus.

Les policiers peuvent verbaliser. Ça m’est déjà arrivé. Si vous allez au tribunal administratif, il y a de fortes chances que vous gagnez, mais ils peuvent le faire.

Après, j’imagine que cela dépend de comment vous conduisez à mon avis.

Les conditions de travail se sont détériorées à cause de la recherche de profit, le travail à la course, mais il y a aussi la question des contrôles.

Comment êtes-vous vous contrôlés ?

On a des contrôles, mais l’Agence régionale de santé, ce sont deux, voire trois fonctionnaires pour à peu près 580 ambulances dans le Rhône. Il y a la brigade des professions réglementées aussi. Le problème, c’est qu’ils s’occupent de nous, des taxis, des Uber et c’est pareil, ce n’est pas le 36 quai des Orfèvres, il n’y a pas une centaine de fonctionnaires, ils doivent être une dizaine au plus…

Il y a donc plusieurs facteurs qui expliquent la détérioration de vos conditions de travail…

Il y a le problème des contrôles, mais selon moi, le vrai problème, c’est la gestion de certains chefs d’entreprises.

Mes salariés partent le matin, s’ils font 10 courses, c’est bien, s’ils en font 100, c’est encore mieux, mais je ne leur donne pas d’objectif.

Le problème vient de ce système. C’est illégal de payer au forfait dans notre profession.

Est-ce que des ambulanciers roulent sans permis ?

En tant que chef d’entreprise, je peux avoir un salarié qui travaille chez moi sans permis, sans que je le sache. On ne peut pas demander à ses salariés tous les jours, s’ils ont leur permis. J’avais demandé à mon service juridique, ils m’avaient répondu que je pouvais demander deux ou trois fois par an, mais qu’après, cela pouvait s’apparenter à du harcèlement. Le problème, c’est que si l’employé fait une bringue, un week-end, il peut se le faire retirer en rétention immédiate et revenir travailler le lundi sans.

Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour éviter ce genre de drame ?

Il faut que les ambulanciers comprennent qu’on est une chaine du secours, qu’on peut utiliser nos gyrophares, nos trois tons, mais il ne faut pas oublier que la route n’est pas qu’à nous.

Nous on est familiarisé au ‘deux tons’, au ‘trois tons’, mais tout le monde n’a pas ce réflexe.

Le problème vient surtout de certaines entreprises qui ont installé un système de fonctionnement dans leur entreprise qui nous mène à cela.

L’ARS est au courant de certaines pratiques, mais ils répondent que ça n’est pas de leur domaine. Ne pas avoir de carnet d’heure, relève de l’inspection du travail par exemple et des services de police.

Le problème, c’est que ce sont les employés qui saisissent l’inspection du travail. Celui qui touche 4700 euros parce qu’il est payé au pourcentage, il ne va pas aller saisir l’inspection du travail.

Il faudrait clarifier la situation des couloirs de bus, aussi. Il y a des villes, comme à Sète, où il est indiqué ‘voie réservée aux bus, aux ambulances et aux taxis’.

Il faudrait faire plus de contrôles aussi pour éviter que les entreprises fassent n’importe quoi et en particulier faire travailler leurs salariés sans carnets d’heures, ne pas leur laisser le temps de repos réglementaire, les payer au pourcentage ce qui les incite à rouler à tomber ouvert.

Comment réagissez-vous à l’augmentation des modes de déplacements doux ?

Je crois que tout le monde peut circuler. Il y a beaucoup plus de trottinettes, ou de vélos, surtout depuis que la mairie est écologiste. C’est vrai que c’est un peu plus compliqué pour nous, mais il faut juste être plus vigilant qu’avant.