la Chine proche de craquer le chiffrement RSA ?


Des chercheurs chinois ont présenté un nouvel algorithme très puissant sur le papier, mais le contingent américain se montre sceptique.

l’informatique quantique est régulièrement citée parmi les technologies susceptibles de transformer complètement le visage de l’humanité.

la Chine proche de craquer le chiffrement RSA ?

on parle de qubits. Très vulgairement, leur particularité, c’est qu’ils peuvent exister dans plusieurs états distincts simultanément, contrairement aux bits classiques qui prennent soit la valeur 1 ou 0. Sans rentrer dans le détail, ce qu’il est important de retenir, c’est que cette architecture permet de traiter certains problèmes immensément plus vite qu’avec un PC lambda.

Les algorithmes de chiffrement actuels sont en sursis

Lorsqu’ils arriveront à maturité, les ordinateurs quantiques ouvriront la voie à des progrès spectaculaires. Et cela concerne à peu près toutes les disciplines possibles et imaginables. Mais il y a aussi un revers de la médaille. Avec une machine de ce genre, il serait théoriquement possible de pulvériser tous les algorithmes de chiffrement modernes. Y compris les plus solides.

Une perspective assez terrifiante. Car aujourd’hui, ces algorithmes permettent de protéger des tas d’infrastructures et de services excessivement importants et sensibles. Un exemple simple et très évocateur  : avec un ordinateur quantique mature à disposition, le concept de mot de passe tel qu’on le connaît aujourd’hui risque fort de voler en éclats. Les algorithmes actuels devraient donc être remplacés très rapidement par d’autres systèmes de chiffrement capables de résister aux assauts des ordinateurs quantiques. Il existe déjà quelques systèmes qui pourraient prendre le relais. Mais effectuer une transition aussi radicale d’une infrastructure mondiale dans la précipitation serait assurément un saut de l’ange excessivement périlleux. La bonne nouvelle, c’est que nous sommes encore assez loin de cette échéance. Les spécialistes considèrent traditionnellement qu’il faudrait une machine à plusieurs millions de qubits pour démanteler les algorithmes de chiffrement les plus avancés. Et pour l’instant, les ordinateurs quantiques les plus performants doivent encore se contenter de quelques centaines de qubits. Même Osprey, le processeur quantique record dévoilé à l’automne 2022 par IBM, n’en propose que 433 (voir notre article). Ou du moins, c’est ce que tout le monde pensait. Car une sacrée surprise attendait la communauté scientifique le week-end dernier. Les spécialistes ont été pris au dépourvu par les derniers travaux de l’université de Tsinghua, en Chine.

Un algorithme assez révolutionnaire… sur le papier

lorsqu’une équipe présente des affirmations aussi spectaculaires, mieux vaut que le papier repose sur des bases théoriques exceptionnellement solides. Et c’est là que le problème commence à devenir à la fois très sinueux, mais aussi très intéressant. En effet, la partie démonstration n’était pas vraiment à la hauteur des affirmations initiales.

En guise de preuve de concept, les chercheurs ont cassé une clé de chiffrement de 48 bits avec un minuscule ordinateur quantique de 10 qubits à peine. Un résultat certes impressionnant, mais encore très loin de menacer RSA-2048. Surtout que les chercheurs n’ont proposé aucune piste qui permettrait de faire le lien entre leurs résultats et cet objectif. Et ce point en particulier a fait froncer quelques sourcils. Le premier élément perturbant, c’est qu’il ne s’agit pas de travaux classés secret-défense. Or, traditionnellement, les grandes puissances comme la Chine ont tendance à poser une chape de plomb sur toutes les technologies qui pourraient leur apporter un avantage stratégique déterminant. Cette incohérence apparente a mis la puce à l’oreille de la communauté scientifique. Certains chercheurs émettent de sérieux doutes quant à la fiabilité des résultats.

Des travaux très critiqués

On peut notamment citer Scott Aaronson, un grand spécialiste américain de l’algorithmique et du chiffrement. Il tient un blog fascinant où il livre souvent des analyses très bien vulgarisées sur des problèmes de ce genre. Il y a quelques années, il avait notamment accouché d’un texte où il expliquait comment la résolution d’un des Problèmes du Millénaire permettrait de faire main basse sur tous les Bitcoins existants.

Résoudre ce problème mathématique permettrait de s’accaparer tous les bitcoins existants

Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il se montre particulièrement sceptique par rapport aux affirmations de l’équipe chinoise. « Il me semble qu’il faudrait un miracle pour que cette approche apporte le moindre bénéfice », estime-t-il dans un billet de blog. « J’ai rarement vu un papier aussi activement trompeur dans la recherche en informatique quantique en 25 ans… et j’en ai vu beaucoup. » Et il n’est pas le seul à être de cet avis. Peter Shor, l’auteur de l’algorithme original qui a servi de base à SQIF, a aussi émis quelques réserves repérées par SCMP. « Il y a apparemment plusieurs problèmes possibles avec ce papier », a-t-il répondu à un de ses collègues qui accusait l’équipe chinoise d’avoir « omis des détails techniques cruciaux ». La formulation peut paraître très sobre, mais dans le monde académique, il s’agit d’une attaque assez frontale. En parcourant ces avis divers, on remarque toutefois une tendance frappante. Il se trouve que la plupart des critiques exprimées ouvertement proviennent du même endroit, à savoir les États-Unis. Or, dès qu’une question implique à la fois la Chine et l’Oncle Sam, tout devient immédiatement plus compliqué. En effet, les deux superpuissances sont en ce moment empêtrées dans une sorte de pseudo-guerre froide. Elles cherchent activement à se mettre des bâtons dans les roues. C’est particulièrement évident du côté américain ; l’administration Biden a par exemple lancé un énorme plan de subvention à plusieurs centaines de milliards dont l’objectif assumé et revendiqué est de « contrer la Chine » (voir notre article).

Car quand les États-Unis parlent de la Chine et vice-versa Surtout que les deux géants mettent un point d’honneur à brouiller les pistes.

Un flou artistique nauséabond

Ces annonces seraient-elles un vaste écran de fumée politique destiné à faire paniquer l’administration américaine ? Cela semble improbable, car Long est un chercheur plutôt réputé. Un autre spécialiste reconnu du chiffrement chinois, interviewé sous couvert d’anonymat par le SCMP, a en tout cas tenu à le défendre. « Professeur Long conduit des recherches solides et s’est toujours montré discret », explique l’intéressé. « Il ne va pas mettre en jeu sa réputation académique pour des motifs politiques. » Est-ce donc une avancée scientifique spectaculaire que les Américains refuseraient de reconnaître par orgueil ? Cela semble également tiré par les cheveux, car même s’ils sont surtout américains, les critiques proviennent tout de même de spécialistes référencés. S’agit-il donc simplement d’une publication scientifique un peu bancale comme il en existe déjà des millions, mais qui aurait suscité de vives réactions seulement à cause du sujet de l’étude ? Cela semble être l’explication la plus satisfaisante à cet imbroglio scientifico-politique. Mais pour l’instant, il est encore impossible d’en avoir le cœur net.