Un nouveau pas a donc été franchi dans l’irruption de la technologie au sein de structures humaines. L’écrivain Michel de Saint-Pierre disait, dans les années 1970, que l’on changeait de siècle tous les dix ans. On en est à six ou huit mois, désormais, non ? En quelques années, nous sommes passés du robot peintre en carrosserie à la PDG de milliers de salariés.
En ingurgitant des quantités faramineuses de données les sous-entendus ou certaines émotions.
comme son nom l’indique, est un artefact. Son installation à la tête d’êtres humains pose plusieurs questions vertigineuses.
D’abord, l’entreprise ne prouve-t-elle pas ainsi son caractère profondément inhumain ? Mme Tang Yu proposera des plans sociaux, virera des salariés improductifs ou reviendra à 3 heures du matin pour répondre à un client sans jamais se plaindre. Un être humain est imparfait, soumis à certains raisonnements aléatoires. Pas la PDG de NetDragon. En gros, pour réussir dans le monde capitaliste, il faut donc être, littéralement, une machine. Raison pour laquelle les traits de caractère génériques des psychopathes (absence d’affect, narcissisme, indifférence aux autres, absence de valeurs) sont si précieux pour faire son trou dans le monde politique, médiatique ou commercial. Ensuite, les imperfections humaines sont-elles réellement devenues des défauts ? Un monde lisse et rentable, administré par des machines qui gouvernent des esclaves humains, c’est le décor du film Matrix. C’est peut-être le monde que veulent les dirigeants humains, jusqu’au moment où leurs créatures les surclasseront. Le grand écrivain de science-fiction Asimov n’aurait jamais imaginé ça.
La dernière question semble encore plus importante. L’autorité, à moins de la considérer comme un ensemble de « recettes » managériales sous forme de « team building », laborieusement « implémentées » par des diplômés d’école de commerce, relève au contraire de la mise en jeu totale de soi, avec toutes ses qualités et tous ses défauts. Un bon chef, à la différence de Mme Tang Yu, n’est jamais irréprochable : ce qu’on lui demande, c’est d’être exemplaire. La différence a son importance : c’est l’imperfection qui donne son poids au « leadership », la capacité à vaincre parce que l’on pense différemment, parce que l’on n’applique pas brillamment les schémas.
Diriger, commander, gouverner, c’est faire se rencontrer une personnalité riche et sincère (celle du dirigeant, du chef) et un groupe social (une entreprise, une armée ou un peuple) qui adhère à cette mise en danger, à cette surexposition volontaire (qui ne doit pas s’immiscer dans le privé pour autant). La question est vite réglée, avec Mme Tang Yu : elle n’a pas de vie privée puisqu’elle n’a pas de vie, puisqu’elle n’est pas vivante.
dont l’écriture avait été interrompue par la mort du compositeur Cette belle réponse vaut pour la direction d’entreprise, qui a plus d’un point commun avec la création artistique. Mme Tang Yu n’aura jamais de « jour sans », jamais de problème de train, jamais de vacances de rêve à raconter, jamais d’enthousiasmes insensés, et ne fera jamais de pari fou. Elle n’aura jamais de discussions enflammées avec ses collaborateurs, ne partagera pas un café et une clope avec Gégé, de la compta, qui est en plein divorce. Ce sera un chef précis et efficace, qui aura – ironie du sort – tous les défauts que les femmes reprochent caricaturalement au management masculin.
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