Alors que la règle internationale des vingt-cinq ans pour désorbiter un satellite, désormais inadaptée à l’encombrement exponentiel de l’orbite terrestre, est remise en question, des entreprises se lancent sur le marché de la capture de débris spatiaux. Face à la multiplication des projets de méga-constellations de satellites, comment éviter de courir droit à la catastrophe ? Des recommandations internationales existent déjà depuis les années 2000 pour inciter les constructeurs de satellites à prévoir leur fin de vie : tout engin lancé en orbite basse doit garder une petite réserve de carburant pour changer d’orbite une fois sa mission terminée, et finir par rentrer dans l’atmosphère terrestre (donc se désintégrer) dans les vingt-cinq ans suivant sa retraite.«Cette règle a le mérite d’exister, mais il faudrait qu’elle soit appliquée. Or il n’y a que 25% des satellites en orbite au-delà de 600 kilomètres qui respectent cette règle et font quelque chose pour venir se positionner sur une orbite plus basse en fin de vie, explique à Libération Laurent Francillout, responsable de la sécurité des vols spatiaux au Centre national des études spatiales (Cnes). La raison est simple : si cette règle des vingt-cinq ans est communément admise au niveau international, seule la France s’est dotée d’une loi et donc d’un pouvoir juridique pour la faire respecter. On peut mettre une amende à un acteur français qui ne la respecte pas. On peut même l’empêcher de décoller.»La situation est très différente aux Etats-Unis, où la recommandation des vingt-cinq ans est généralement appliquée par la Nasa mais «toujours évaluée en face du business : toute règle qui viendrait tuer un business doit être adaptée», ajoute notre interlocuteur. Quant aux autres puissances spatiales – Russie, Chine et nations montantes – elles n’ont pas de loi et font bien ce qu’elles veulent.
Nouvelle réglementation
Au rythme où vont les lancements, le délai de vingt-cinq ans paraît aujourd’hui bien trop long pour éviter un amoncellement exponentiel de cadavres… Mais les discussions avancent. Aux Etats-Unis, la Commission fédérale des communications (FCC) réfléchit à réduire le délai et forcer les satellites orbitant au-dessus de la station spatiale internationale (à 400 kilomètres d’altitude) à être manœuvrables depuis la Terre pour éviter de potentielles collisions.En France, «on est en train de mettre à jour la nouvelle réglementation technique pour le cas particulier des méga-constellations, témoigne Laurent Francillout. Alors est-ce qu’on descend à cinq ans, ou deux ans…. C’est une question qu’on examine». En attendant, les industriels définissent leurs propres règles plus drastiques pour se montrer vertueux. La Space Safety Coalition (SSC), qui regroupe des opérateurs majeurs de satellites comme Intelsat ou Iridium, s’est ainsi accordée sur un délai de cinq ans pour désorbiter les machines en fin de vie (mais la recommandation est non contraignante).SpaceX promet de son côté que les satellites de sa constellation Starlink, qui ont une durée de vie de cinq à sept ans, iront se positionner sur une orbite «poubelle» plus basse dès la fin de leur mission et retourneront dans l’atmosphère dans un délai d’un an.Ça ne suffira pas. «Les mesures de réduction des débris spatiaux, si elles sont correctement implémentées, peuvent entraver le taux de croissance de la population de débris», note l’Agence spatiale européenne (ESA), qui a organisé en avril sa huitième conférence internationale sur les débris spatiaux. Mais «le retrait actif des gros objets intacts se révèle nécessaire pour inverser cette croissance». Le retrait actif est une stratégie qui n’est pas encore appliquée parce qu’elle n’est pas encore prête… et qui consiste à aller récupérer les débris spatiaux «à la main».L’ESA a signé en décembre un chèque de 86 millions d’euros à l’entreprise suisse ClearSpace pour développer une mission-test d’enlèvement d’un débris spatial. La cible est Vespa, un morceau de fusée européenne qui erre entre 660 et 800 kilomètres d’altitude depuis son lancement en 2013. «Avec une masse de 100 kilos, le Vespa est proche en taille d’un petit satellite, tandis que sa forme simple et sa construction robuste en font un premier objectif approprié», estime l’ESA. Le premier «chasseur» de débris ClearSpace-1 est à l’origine conçu par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, qui a transformé son projet en start-up en 2018. Il ressemble pour l’instant à une araignée de métal, capable de replier ses quatre longues pattes sur les débris ciblés. Le lancement est prévu en 2025.Une autre initiative pour faire le ménage en orbite est déjà plus avancée. Elle est portée par l’entreprise japonaise Astroscale, fondée en 2013 à cet effet et qui a déjà lancé fin mars une sonde de démonstration. Baptisée Elsa, elle est composée de deux modules : un petit satellite de 180 kilos, le «chasseur», et une micro-plateforme de 16 kilos qui joue la «cible», simulant un débris à récupérer dans l’espace. Elsa va effectuer cet été une série de manœuvres à la complexité croissante, où le chasseur lâchera sa cible avant d’aller la recapturer par une attache magnétique. Puis les deux modules collés ensemble se désorbiteront et brûleront en rentrant dans l’atmosphère. A terme, Astroscale espère améliorer les capacités de son chasseur pour pouvoir récupérer et détruire plusieurs satellites hors d’usage en une seule mission : il pousserait chaque déchet vers l’atmosphère avant de repartir à la poursuite d’une nouvelle cible.
Soft power
selon son directeur opérationnel au Royaume-Uniles Russes, les Chinois et les Américains en particulier. Même entre experts, les tensions géopolitiques se ressentent.»La solution passera peut-être par l’exemplarité : construire en France des plateformes de satellites vertueuses qui gèrent leur fin de vie et les exporter à l’étranger ; continuer de voter des lois contraignantes dans l’Hexagone pour inspirer d’autres pays ; entraîner Starlink et ses concurrents dans leur guerre d’image à celui qui sera le plus écolo… Le soft power, sur Terre et au-delà de l’atmosphère.