Chaque année, les chiffres du recensement confirment la tendance : la Haute-Loire continue de gagner des habitants. Mais elle le doit à un afflux de populations extérieures au département plus qu’à son solde naturel, qui est resté légèrement négatif entre 2013 et 2019 (plus de décès que de naissances). Le département voit arriver chaque année de nouveaux habitants. Les zones les plus propices sont situées à l’est de la Haute-Loire dans l’Yssingelais notamment (le long de la RN 88 et un peu autour) en attirant de nombreux Stéphanois ou des habitants de la vallée de l’Ondaine venus « se mettre au vert ». Ce que l’Insee appelle encore « l’étalement urbain stéphanois ». La pointe du Brivadois séduit également de nombreux habitants du Puy-de-Dôme (les bassins d’Issoire et dans une moindre mesure Clermont-Ferrand).
215 habitants la Haute-Loire a enregistré de très bons chiffres à partir de 1806 », relève ainsi l’historien Raymond Vacheron, qui a étudié de près la vie et l’exode rural en Haute-Loire au XIXe siècle. « Entre 1820 et 1886, la Haute-Loire a gagné environ 50.000 habitants en plus. »
poussant les habitants à partir s’installer hors du département.
Une population record en 1886
La progression a été régulière avec, dès 1846, le seuil des 300.000 habitants franchi, et ce pendant plus de 40 ans. « Alors qu’elle a diminué dans 166 communes, la population totale de la Haute-Loire progresse malgré tout jusqu’en 1886, pour atteindre le chiffre record de 320.063 habitants », analyse Raymond Vacheron dans son article publié en 2020 dans Histoire Sociale Haute-Loire.Cette progression démographique place effectivement l’année 1886, en pleine première révolution industrielle, au sommet de la démographie altiligérienne. « Mais à partir de là, c’est la dégringolade », résume Raymond Vacheron. « Si entre 1801 et 1886, le département gagne 90.000 habitants, dans les 28 années suivantes, jusqu’en 1914, il en perd 28.000. »
Philippe Arbos estime qu’un phénomène d’émigration temporaire s’est installé sur le département, surtout pendant « les longs mois d’hiver » durant lesquels une partie des habitants, « surtout les prolétaires, vont chercher ailleurs du travail et des ressources que le sol et le climat leur refusent », estime-t-il dans l’Almanach de Brioude. Et pour Raymond Vacheron, « Au fil des ans, à cette émigration temporaire s’ajoute une définitive. Les hommes de la terre deviennent des ouvriers de la terre, mineurs, terrassiers, maçons, pour construire les routes, les voies ferrées, l’habitat urbain, les grands travaux. »
Seulement 205.000 habitants en 1975
Une baisse d’abord lente, puis marquée à partir des années 1910 et enfin brutale, fort logiquement, lors de la Première Guerre mondiale (lire ci-dessous). « Pendant 90 ans, la Haute-Loire va perdre des habitants. Environ 115.000 habitants de moins. Alors que dans le même temps, la France progresse et gagne des habitants », analyse encore l’historien du Gévaudan. Un paradoxe qui s’illustre parfaitement avec les deux courbes du graphique en page ci-contre. On voit bien comment la Haute-Loire est à contre-courant de la tendance nationale depuis le début du XXe siècle. Des années 1800 jusqu’en 1886, la Haute-Loire gagne des habitants comme tout le reste de l’hexagone. Puis dès la fin du XIXe, les courbes s’inversent. La Haute-Loire baisse lentement alors que la France continue de progresser.
La vie rude du monde agricole en Haute-Loire a poussé beaucoup d’habitants à quitter le département dès le XIXe siècle pour travailler en ville, dans les mines, les usines. La population du pays stagne jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale avant de repartir dans une hausse forte et constante jusqu’au début du XXIe siècle. En Haute-Loire, la baisse se poursuit, inexorablement et les courbes sont inversées pendant 40 ans. Puis, l’hémorragie s’arrête en 1975. « Nous étions tombés cette année-là à 205.000 habitants… »C’est un niveau historiquement bas. C’est le seuil depuis que des données démographiques sont disponibles pour le département, à partir de la Révolution Française.La suite, on la connaît un peu, car beaucoup d’Altiligériens l’ont plus ou moins vécu. L’aménagement des routes nationales (RN 88 surtout, RN 102 aussi…) va contribuer à l’essor démographique de la pointe est du département et du Brivadois. Dans l’Yssingelais, des communes comme Monistrol-sur-Loire vont connaître un essor incroyable pendant presque 30 ans. Beaucoup d’habitants de la vallée de l’Ondaine et de l’agglomération stéphanoise viennent s’installer dans les communes limitrophes bien desservies par les axes routiers et pas uniquement le long de la RN 88 où l’immobilier va rapidement connaître l’inflation. Comble de l’ironie dans l’Yssingelais, on voit désormais revenir depuis quelques décennies des Ligériens dont les ancêtres travaillaient aux mines et avaient eux-mêmes quitté la Haute-Loire. 100 ans plus tard, leurs descendants font le chemin inverse.
Lionel Ciochetto
La saignée de la Grande Guerre
« La terre de Haute-Loire a offert ses enfants à la terre des tranchées », résume Raymond Vacheron. « Au cours de ces cinq années, la perte de la population a été aussi importante que pendant les 28 années précédentes. » Une hécatombe qui conduit à une baisse massive et brutale de la population. « La Haute-Loire était toutefois déjà dans le déclin au début de la Première Guerre mondiale », observe Raymond Vacheron. « Nous avions perdu des habitants dès 1886. » Lors du dernier recensement avant la guerre, celui de 1911, le département avait en effet déjà perdu 16.000 habitants depuis 1886. Lors du recensement de 1921, le premier d’après guerre, le département tombe bien en dessous de la barre des 300.000 habitants avec 268.910 habitants. En dix ans, les effets cumulés de l’exode rural et surtout de la Grande Guerre, vont faire perdre au département près de 35.000 habitants. La Haute-Loire retrouve à ce moment-là sa population de 1806 avec 268.910 habitants.
« 80 % de la population de Haute-Loire était rurale »
beaucoup font le choix de partir, de quitter la Haute-Loire. Les chiffres sont éloquents. « Entre 1830 et 1914, ce sont 110.000 habitants qui ont quitté la Haute-Loire. Soit entre 1.000 à 1.500 habitants chaque année qui quittaient le département. »
Partis travailler à la mineLeurs destinations sont multiples. « De l’Yssingelais, du Mézenc et du bassin du Puy, on migre vers la Loire. Le Gévaudan, Pinols et la région de Pradelles fournissent de la main-d’œuvre aux mines d’Alès et de la Grande-Combe et des ouvriers agricoles aux vignes du Gard et de l’Hérault », poursuit Raymond Vacheron. En 1856 par exemple, 15,8 % des Stéphanois sont nés en Haute-Loire et sont partis travailler dans les mines et dans les usines stéphanoises. « 18,5 % des morts dans les accidents de la mine pendant un siècle sont originaires de Haute-Loire… » Dans ses recherches, l’historien s’est aussi intéressé aux procès survenus après l’épisode insurrectionnel de « La Commune » à Paris. « 20 % des émigrés de Haute-Loire sont partis à Paris. Ainsi en 1871, on dénombrait pas moins de 171 condamnations d’Altiligériens. »