La construction bois s’impose dans le paysage


Chiffres-clés

  • 6,3 % de logements neufs sont construits en bois, selon l’enquête nationale de la construction bois de 2019. Les plus ambitieux des signataires des pactes «bois biosourcés » s’engagent à porter ce taux à 40 %.
     

Courbevoie. Quartier des affaires. La nouvelle tour Saint-Gobain trône à 165 mètres et célèbre le triomphe de l’acier, du béton et du verre. A ses pieds, le pavillon de l’Iris accueille deux modestes restaurants. Une structure 100 % bois avec des poteaux en épicéa, des parois et des planchers faits de ­caissons en CLT, des brise-soleil en mélèze.
Ce mariage de la carpe et du lapin envoie des messages contradictoires : la bonne tenue des méthodes de construction du vingtième siècle, l’ambition affichée des biosourcés… et une complicité qui n’était pas forcément recherchée, mais qui commence à prendre ses marques.

Techniquement, tout a été testé ou presque

Sur le papier, on peut tout faire en bois, y compris des immeubles de grande taille. Dans les faits, les questions de coûts, de savoir-faire ou de sécurité incendie poussent aujourd’hui les maîtres d’ouvrage et les constructeurs à miser sur la mixité bois-béton.
Retour à ­Courbevoie. En 2016, l’établissement public Paris La Défense (42 000 hab., Hauts-de-Seine) lance un concours pour construire ces restaurants ­au-dessus de plusieurs étages de parkings. « C’était un défi technique puisqu’il ne fallait pas ajouter de charge supplémentaire », décrit ­Nicholas ­Gilliland, associé de l’atelier d’architecture ­Tolila + ­Gilliland qui a emporté la mise. A ce petit jeu, le 100 % bois s’est imposé grâce à sa légèreté, comme souvent dans les chantiers de surélévation. En zone urbaine dense et déjà occupée, le matériau a d’autres atouts.
Chaque chantier est sec, sans eau ni béton et mise sur la préfabrication, ce qui permet de limiter les nuisances sonores en réduisant les allers-retours de camions toupies et la quantité de découpes. La vitesse d’exécution est enfin imbattable.
Si à Paris La Défense, ­David et ­Goliath n’ont pas choisi de combattre en restant chacun à leur place, le monde du bois a bien l’intention de s’imposer plus systématiquement. De sortir de la problématique de niche et de la logique de témoignage.
« On a franchi un seuil, veut croire ­Céline ­Laurens, déléguée générale de Fibois, association qui fédère les acteurs de l’interprofession. Avec un saut qui est à la fois quantitatif et qualitatif. » Techniquement, tout a été testé ou presque. Economiquement, « on reste plus cher que le béton, même si je ne me risquerais pas à donner de pourcentages, d’autant plus qu’en ce moment les prix évoluent beaucoup », explique ­Nicholas ­Gilliland. Une chose est sûre. En deux ans, le prix de l’acier a doublé selon les chiffres de ­l’Insee… sans même parler des problématiques d’approvisionnement qui touchent les matériaux les plus classiques. De quoi peut-être donner un avantage à ceux qui optent pour le local et le biosourcé.

Peu de gaz à effet de serre

En exigeant un bilan carbone des nouvelles constructions, la RE2020 va changer la donne. Elle fournira un avantage au bois dont la production émet peu de gaz à effet de serre et qui stocke le carbone capté par les arbres. En complément d’autres matériaux bio­sourcés ou géosourcés, comme la paille qui est un bon isolant ou la terre crue qui apporte de l’inertie aux bâtiments et donc un meilleur confort d’été. Mais il faudra attendre 2027 pour que des baisses de seuils d’émissions significatives soient exigées.
L’industrie du béton est persuadée que, d’ici là, elle pourra améliorer son bilan carbone et rester prédominante. Elle demande donc du temps pour innover… à moins qu’elle ne joue tout simplement la montre ? « Notre crainte est que ces échéances soient retardées », confie ­Céline ­Laurens. Pour avancer, sans doute faudra-t-il clarifier les règles de construction. « Les normes qui s’appliquent aujourd’hui ne sont pas faites pour le bois. Et la réglementation incendie est parfois décourageante », illustre ­Camille ­Gautier, ­spécialiste de l’innovation de la société de conseil Elan.
Une remarque récurrente chez les observateurs qui regrettent qu’elle soit interprétée différemment selon les localités ou les projets. Parfois surinterprétée… Même si, comme le souligne ­Nicholas ­Gilliland, « on a conscience que, plus on monte en hauteur, plus le bois se doit d’être invisible [être masqué par des matières qui ne sont pas inflammables] pour répondre aux problématiques d’incendie ».
La plupart des acteurs semblent prêts à bouger. Y compris des entreprises qui ont longtemps été les emblèmes du tout béton et qui savent qu’elles ont intérêt à s’y convertir. Avec les pactes « bois biosourcés », les collectivités ont un moyen de pousser celles qui ont plus de difficultés. Née en Ile-de-France, la démarche a gagné le Grand Est, très récemment Auvergne - Rhône-Alpes, ­prochainement les Hauts-de-France et Centre - Val de Loire… sachant que d’autres régions ont des outils plus ou moins équivalents, comme « forêt, bois et ­territoires » en ­Bretagne.
Signés à l’échelle régionale, ces pactes engagent les professionnels, les aménageurs et les maîtres d’ouvrage qui ont chacun une force d’entraînement. En affichant des objectifs chiffrés à dix et à vingt ans, ceux-ci apportent de la visibilité, en parti­culier, aux industriels qui peuvent anticiper et adapter leur offre. Car, attention, la France regorge de forêts, mais il ne suffit pas de claquer des doigts pour créer une industrie de construction bois. ­
Céline ­Laurens conseille aux collectivités de ne pas être plus royalistes que le roi. « Quand on fait du béton, on ne demande pas d’où vient le sable. Il n’y a pas de raison que l’on impose une origine France à l’ensemble de la ressource en bois. » Le matériau devrait bien, à terme, permettre une relocalisation et, d’ailleurs, chaque pacte fixe des objectifs de construction en bois français. Pour autant, brûler les étapes est inutile, voire contre-­productif. Par exemple, les pionniers du CLT en France se sont d’abord appuyés sur des produits allemands ou autrichiens, jusqu’à ce que le marché soit suffisant pour que des fabricants locaux apparaissent.

Diagnostic du gisement

Il est indéniable que le recours à des produits biosourcés pousse à s’intéresser aux ressources locales disponibles, sachant que le bois se trouve en forêt… et dans les bâtiments sur le point d’être déconstruits. A l’eurométropole de ­Strasbourg (33 communes, 500 500 hab.), un diagnostic du gisement disponible a été réalisé « en évaluant les projets de rénovation urbaine et en extrapolant les données de quinze bâtiments types pour comprendre quels seraient les flux de matières disponibles dans les prochaines années », décrit ­Thalie Marx, chargée de mission de la collectivité.
Afin de créer une plate­forme de réemploi capable de les valoriser, « nous avons aussi lancé, cet été, un AMI afin d’identifier les porteurs de projets et de comprendre ce dont ils ont besoin pour se lancer : du foncier, de l’ingénierie ou de la mise en relation », ajoute ­Thalie ­Marx. Une démarche plus ou moins identique a été initiée à la métropole de Lyon (59 communes, 1,4 million d’hab.) souhaitant créer de la circularité entre ce qui sera construit sur le ­territoire et ce qui sera déconstruit.
Les collectivités sont aussi concernées en tant que maîtres d’ouvrage. Impossible d’imposer le matériau, mais on peut pousser les candidats aux appels d’offres à le proposer, par exemple, en favorisant ceux qui respectent d’ores et déjà des seuils que la RE2020 ­exigera à la fin de la décennie. S’appuyer sur les bilans carbone des projets est un bon moyen d’encourager des solutions hybrides mais ambitieuses.
Un aménageur public a, lui, davantage de latitude pour prescrire un matériau ou un pourcentage de bois français. Ce qui ne veut pas dire qu’il doit en abuser. Imposer un gisement précis lui ferait porter une responsabilité juridique démesurée vis-à-vis des assurances. Ne laisser aucune porte ouverte pourrait surtout paralyser les entreprises locales, y compris celles qui travaillent le bois mais connaissent mieux que la collectivité les ressources disponibles. Récente lauréate de l’AMI « démonstrateurs de la ville durable », pour un quartier de 600 logements (­Citadelle) qui fera la part belle au bois, l’euro­métropole pense avoir trouvé un équilibre en travaillant très en amont : identifier les systèmes constructifs les plus adaptés et formuler des prescriptions qui optimisent l’utilisation des produits biosourcés locaux, les coûts et le bas carbone.
Enfin, la politique d’urbanisme est un bon moyen de doper la construction bois. Ou du moins de ne pas en freiner l’essor. « On arrive vite sur des choses assez techniques, mais qui ont un fort impact, souligne ­Céline ­Laurens. La question des hauteurs de bâtiment est par exemple essentielle. Pour un même nombre d’étages, on est plus haut avec le bois car les planchers sont plus épais. Parler en nombre d’étages plutôt qu’en mètres semble dès lors plus pertinent. »

Vitrine olympique : Grand Palais éphémère intégrant 1 500 mètres cubes de bois lamellé collé, centre aquatique olympique et village des athlètes misant très largement sur le matériau… Paris 2024 entend montrer un savoir-faire français aux maîtres d’ouvrage et former des professionnels à de nouvelles techniques de construction.

« La question que l’on doit se poser est “que puis-je garder dans un bâtiment“ ? »

Isaure Fraissinet, consultante en économie circulaire au sein du cabinet Elan
« Le gisement de bois est aussi dans l’existant. Quand on déconstruit ou que l’on réhabilite un bâtiment, il existe désormais une obligation de réaliser un diagnostic “PEMD“. L’objectif est d’identifier les produits avant qu’ils ne deviennent des déchets pour les valoriser au mieux. On trouve du bois dans les parquets, le mobilier, les revêtements muraux, les charpentes… La première question que l’on doit se poser est celle de la conservation : que puis-je garder dans le bâtiment ?
Vient ensuite le ­réemploi qui consiste à déposer le bois et à le ­réutiliser pour un usage identique ou différent : des poutres qui deviennent des pergolas, des portes découpées pour en faire des tables… On est plutôt sur un travail artisanal. Pour autant, on peut aller sur des grandes surfaces quand les maîtres d’ouvrage intègrent cette contrainte dans leurs cahiers des charges. »