Contre le Covid, la révolution (manquée) de l'assainissement de l'air


CORONAVIRUS – Un virus hautement contagieux qui se transmet par l’air que l’on respire, des cadavres emmenés par bateau vers des lieux de sépulture creusés à la va-vite, un bilan de 16.000 morts en une seule journée au pic de l’épidémie. nous ne sommes pas à Paris durant la pandémie de Covid, mais à Constantinople, en 542. La peste de Justinien, l’une des premières documentées par des historiens, déstabilise alors en profondeur l’Empire byzantin.Yersinia Pestis n’est pas SARS-CoV-2, tout comme la compréhension des maladies n’a rien à voir aujourd’hui avec celle qui prévalait dans l’antiquité tardive. Mais outre qu’elles ont marqué leur temps, ces tragédies que 15 siècles séparent ont un point commun : leur principal vecteur de contamination est aérien. Un mode de transmission qui, aujourd’hui peut-être plus encore qu’hier, continue d’être sous-estimé, à l’heure où la cinquième vague de coronavirus se rétracte enfin.“Le coronavirus est transmis à 99% dans des lieux clos mal ventilés”, résume ainsi l’épidémiologiste Antoine Flahault au HuffPost. Cela signifie, ajoute-t-il, que “si l’on rendait l’air intérieur aussi sûr que la rue, on diminuerait à 99% les contaminations C’est à ça qu’il faudrait s’atteler”.

La transmission par aérosol, un fait (trop) bien établi

La transmission aérienne du virus fut l’occasion de cafouillages notoires: on se souvient de Sibeth N’Diaye minorant l’importance des masques, ou encore des hésitations de Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation. En novembre 2020, il jugeait dangereux les purificateurs d’air, avant de changer d’avis quelques mois plus tard.en se trompant, ils ont échoué à attaquer le problème des transmissions dès le début. Pourtant, des indices étaient déjà là.Dès le mois d’avril 2020, le Conseil scientifique soulignait dans un avis “le risque d’aérosolisation” du coronavirus, une intuition bienvenue alors que les études sur la transmission de la maladie étaient encore insuffisantes. Il faut “aérer son logement dix minutes, trois fois par jour”, conseillait Emmanuel Macron aux Français quelques mois plus tard, au début de l’automne. Presque deux ans plus tard pourtant, l’assainissement de l’air est sans conteste un parent pauvre de la politique de prévention contre le Covid. Certes, l’aération est un geste barrière. Certes, les circulaires continuent, à l’image du protocole sanitaire de janvier 2022 pour le milieu professionnel, d’inciter à aérer les pièces régulièrement. Mais aucune politique d’ampleur n’est en place. Pire, le réflexe le plus basique en la matière, celui de la mesure du taux de CO2 d’une pièce pour savoir s’il y a lieu d’aérer, n’a pas pris dans la population.

Contre le Covid, la révolution (manquée) de l'assainissement de l'air

 L’apathie en guise de politique

Le 12 novembre 2021, une enquête du journalLe Parisien faisait un constat ne souffrant guère de contestation, en allant mesurer le fameux taux dans divers endroits fermés recevant du public. Supermarché, gymnase, cinéma, train :  chaque fois, le compte n’est pas bon. Seules exceptions, le métro (où l’air extérieur s’engouffre largement), et les écoles testées, où les professeurs s’évertuaient à ouvrir scrupuleusement les fenêtres pour faire entrer l’air frais.L’école est un cas emblématique de l’apathie des pouvoirs publics sur la question. Depuis 2021, le gouvernement est favorable à l’installation de purificateurs d’air et de détecteurs de CO2 dans les classes. Mais pas d’obligation, et surtout pas de financement pour les établissements: les machines restent à la charge des communes, qui aujourd’hui encore n’ont pas fini de s’en équiper. Face à cette politique au compte-goutte, un collectif de médecins et d’enseignants avait tiré la sonnette d’alarme au mois de décembre 2021. “le gouvernement n’a toujours pas pris la complète mesure de la prévention dans les écoles d’une transmission virale par aérosol” accusaient les dix-huit signataires d’une tribune parue dans Le Monde. Un problème loin d’être cantonné à l’école, et loin d’être uniquement français.

La répétition générale du SRAS

signé par 363 professionnels, pour réaxer sa politique de prévention vers les contaminations par aérosols. La lettre ouverte n’exigeait rien de révolutionnaire, à l’image des revendications du monde de l’éducation en France : inspection des systèmes de ventilation, distribution de filtres à air HEPA dans les endroits mal aérés, pose systématique de détecteurs de CO2. mais là encore, la déception fut au rendez-vous.“Le déploiement de ces mesures traîne encore la patte”, estime ainsi le spécialiste. “Et ce qui est encore plus frustrant, c’est qu’on ait raté le coche au début de la pandémie, alors que d’autres maladies respiratoires sont causées en grande partie par la transmission aérosol”.

À commencer par le SRAS, responsable d’une épidémie déclenchée dans le Sud-est asiatique en 2003. “J’étais microbiologiste à Toronto”, se souvient Raymond Tellier. À l’époque, un pic de contaminations a lieu dans la capitale canadienne, qui se soldera par 44 morts au total. Les contaminations ont alors lieu à l’hôpital. ”Ça s’est arrêté quand ils ont instauré le port obligatoire de masques N95 et des mesures contre les contaminations par aérosol.” Un véritable laboratoire, à plus petite échelle, de ce qu’auraient voulu les spécialistes face au SARS-CoV-2.

Un problème politique à court terme.

Pourquoi cette apathie dans la lutte contre les transmissions aérosols, surtout comparés aux efforts de désinfection des surfaces, qui ont pourtant démontré leur inefficacité face au Covid? Pour répondre à cette question, il faut distinguer la lutte contre la pandémie en cours et la politique sanitaire à long terme.Il y a en effet un aspect de communication politique sur lequel les chercheurs s’accordent. “Les politiques ne veulent pas avoir l’air de virevolter au gré des études”, analyse ainsi Antoine Flahault, or “beaucoup de scientifiques ont été en faveur du nettoyage des surfaces”. Cela ressemblerait donc à un retour en arrière des pouvoirs publics. Et la communication n’est pas aussi simple que sur d’autres sujets. 

Purifier l’air intérieur, “ce n’est pas aussi sexy qu’un vaccin ARN” résume l’épidémiologiste. D’autant plus que si, sur le principe, l’importance du renouvellement d’air est bien compris, sa mise en place peut relever du casse-tête technique. La circulation de l’air, en particulier dans des immeubles anciens, n’a pas été pensée pour un renouvellement rapide. Parfois même, c’est l’inverse.

.et un problème sanitaire à long terme

Jusqu’au XIXe siècle, explique ainsi Raymond Tellier, “des immeubles étaient même spécifiquement construits pour empêcher l’air extérieur de rentrer”. À l’époque, la théorie sanitaire dominante est encore celle des miasmes:  on considère que l’air de la rue est porteur des maladies. Depuis, les choses ont changé, pour le meilleur. mais aussi, pour le pire.La réaction contre la théorie des miasmes, “au départ, elle est justifiée” surenchérit pourtant Raymond Tellier. Le XXe siècle établit que dans les maladies contagieuses, la source de l’infection, ce n’est pas l’air, c’est le patient qui est infecté. On passe alors à une nouvelle théorie : celle de l’hygiène des surfaces. 

Une théorie moderne justifiée par bien des épidémies: Ebola, par exemple, se transmet largement par le contact direct de cadavres contaminés. Mais le Covid-19 se transmet par aérosol. L’hygiène des surfaces ne suffit plus. “Le problème est qu’on nie totalement la possibilité d’infection transmise par voie aérienne qui émanerait du patient”, explique Raymond Tellier.Autrement dit, l’hygiène des surfaces aurait jeté le bébé avec l’eau du bain. Depuis une cinquantaine d’années pourtant, les aérosols font un retour forcé dans la compréhension des épidémies: en 1960-1962, les recherches sur la tuberculose démontrèrent que la maladie se propageait essentiellement par voie aérienne. Une porte néanmoins à peine entrouverte dans la doxa sanitaire.Depuis, toutes les études ont ainsi dû “livrer un combat contre le dogme dominant”, analyse Raymond Tellier, “qui était que la transmission par aérosol est quelque chose de très, très rare, et que la plupart des maladies sont transmises soit par contact direct, soit par un tiers ”. Rougeole, variole, grippe.jusqu’au SARS-CoV-2. Mais cette fois, nombre d’épidémiologistes réclament une petite révolution sanitaire.

“Changement de paradigme”

en Australie. Elle conseille également l’Organisation mondiale de la santé sur toutes les questions relatives à la qualité de l’air. La chercheuse est l’une des premières à avoir utilisé une expression qui revient dans la bouche de nombreux scientifiques: le coronavirus est l’occasion de “changer de paradigme”. L’expression figure en tête de l’étude publiée dans la revue Science en mai 2021, dont Lidia Morawska est l’un des auteurs principaux. Dans ce texte concis, les chercheurs recommandent une politique sanitaire qui reconnaît enfin l’importance de la contamination par aérosol. “La pandémie de COVID-19 a montré combien nous n’y étions pas préparés, malgré la connaissance acquise durant les pandémies précédentes”, conclut l’article. “Nous devons établir les bases pour que l’air de nos immeubles soit propre”.Et cela demande une véritable révolution, à l’image de la révolution sanitaire qui s’est opérée au XIXe siècle avec l’eau potable. “C’est le prochain cycle dans le contrôle des infections”, soutient Raymond Tellier. Lui aussi réclame un changement de paradigme, “de la même façon dont on s’est occupé de l’eau pour éviter la contamination microbienne”.

Filtrer les maladies.et la pollution?

 En repensant la ventilation des bâtiments pour s’assurer qu’ils ne sont pas porteurs de pathogènes en particulier les particules fines.Sans oublier le besoin d’attaquer à la source le problème écologique, assainir notre air intérieur pourrait là aussi être une nouvelle étape pour la santé publique.  “Au XIXe siècle”, rappelle Raymond Tellier, “ce n’était pas que les maladies, mais aussi les eaux usées que l’on déversait dans les rivières”.

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