Témoignant mardi devant le commissaire Paul Rouleau, l’inspecteur Marcel Beaudin avait été envoyé à Ottawa après le premier week-end de manifestation pour conseiller les dirigeants du service de police local sur la meilleure façon d’utiliser l’équipe de liaison avec les protestataires.
Les équipes de liaison sont censées coordonner avec les organisateurs, établir des relations et veiller au bon déroulement des manifestations.
Un thème récurrent qui ressort des conversations entre les membres de l’équipe de liaison, c’est que les camionneurs veulent être entendus écrivait M. Beaudin dans un courriel envoyé à un interlocuteur du Service de police d’Ottawa, le 6 février.
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Le gouvernement Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence le 14 février 2022 pour mettre fin à un rassemblement réunissant des camionneurs et d’autres manifestants opposés aux mesures sanitaires liées à la COVID-19, qui ont paralysé le centre-ville d’Ottawa du samedi 29 janvier au dimanche 20 février.
Cette loi – adoptée en 1988 pour succéder à la Loi sur les mesures de guerre – prévoit notamment qu’une enquête publique doit a fortiori se pencher sur les circonstances ayant mené les autorités à y recourir.
M. Beaudin a raconté devant la Commission qu’il avait été contacté, le 9 février, par le sous-ministre de la Sécurité publique, Rob Stewart. Ce dernier lui avait alors proposé une réunion entre lui-même, M. Beaudin et Jeffery Hutchinson, un conseiller principal au Bureau du Conseil privé.
Selon un résumé de la rencontre tenue le lendemain, MM. Stewart et Hutchinson en ont profité pour exprimer leur intérêt à ce que le conflit se dissipe et à inciter les manifestants à quitter Ottawa.
Les trois hommes se sont rencontrés à nouveau le 11 février. Le plan était alors de proposer une rencontre aux organisateurs du convoi, en échange duquel ces derniers demanderaient aux manifestants de sortir leurs camions du centre-ville d’Ottawa et de dénoncer tout comportement illégal.
Agrandir l’image (Nouvelle fenêtre)L’inspecteur Marcel Beaudin, de la Police provinciale de l’Ontario, croit que les pourparlers avec les organisateurs du convoi des camionneurs auraient pu finir par donner des résultats. La Presse canadienne / Adrian WyldSi le n’était alors pas encore tout à fait concret, M. Beaudin a témoigné qu’Il croyait que M. Stewart avait de de bonnes intentions et qu’il cherchait à trouver un dénouement à une situation très chaotique.
Le 13 février, Rob Stewart a toutefois informé Marcel Beaudin qu’il ne pouvait obtenir du gouvernement un engagement à rencontrer les manifestants.
Le jour même, le maire d’Ottawa, Jim Watson, annonçait avoir conclu un accord avec les organisateurs des manifestations prévoyant leur retrait des secteurs résidentiels de la Ville. C’est à ce moment, selon M. Beaudin, que le plan d’une rencontre entre le fédéral et les manifestants est tombé à l’eau.
Le lendemain, le gouvernement fédéral invoquait la Loi sur les mesures d’urgence.
Bris de confiance
Il a décrit comme une victoire le dialogue ayant mené les manifestants à évacuer le Parc de la Confédération, le 5 février, au profit du chemin Coventry.
L’équipe de liaison avait ensuite le mandat de négocier avec les organisateurs afin qu’ils retirent environ 3500 litres de carburant de ce site, utilisé comme point de ravitaillement pour les camionneurs au centre-ville.
Une étrange déconnexion
Le commissaire Rouleau a ensuite entendu le témoignage de Robert Bernier, inspecteur pour le Service police d’Ottawa. Ce dernier a supervisé le service de répartition et le centre de commandement du SPO lors des manifestations de janvier et février dernier.
M. Bernier a témoigné qu’il avait observé une étrange déconnexion entre les préparatifs du corps de police local et des renseignements recueillis par le service de renseignements de la PPO.
Ces renseignements indiquaient que certains manifestants étaient prêts à rester dans la capitale fédérale jusqu’à ce que leurs demandes soient prises en compte.
Le 28 janvier, soit le lendemain, il prenait connaissance d’un rapport interne du SPO qui prévoyait une manifestation de deux jours seulement.
Il a soulevé cette incohérence à son supérieur, le surintendant Robert Drummond, et demandé s’il pouvait être d’une aide quelconque. Ce dernier lui a toutefois indiqué que cela n’était pas nécessaire, avant de se raviser le 3 février. Entretemps, M. Bernier a pu prendre part à un voyage de ski déjà planifié, les 29 et 30 janvier.
Plus tard lors de son témoignage, Robert Bernier a également raconté qu’entre le 3 et le 10 février, il n’avait pris connaissance d’aucun plan opérationnel pour assurer un retour à la normale dans la capitale assiégée.
Contrer une inondation avec des sacs de sable
Mardi matin, l’inspecteur Russell Lucas du SPO a confirmé qu’il savait depuis le 26 janvier que certains manifestants avaient évoqué sur les réseaux sociaux leur intention de prendre d’assaut la colline du Parlement, en s’inspirant des événements du 6 janvier 2021 au Capitole de Washington, ce qui ne s’est finalement pas produit.
L’inspecteur a aussi confié au juge Rouleau mardi qu’en raison de la pandémie, le SPO craignait de ne pas avoir les ressources nécessaires pour encadrer une occupation prolongée du centre-ville.
Le samedi 29 janvier, près de 5000 véhicules ont fait irruption dans les rues de la capitale, a raconté mardi matin l’inspecteur Lucas à la Commission d’enquête sur l’état d’urgence.
Agrandir l’image (Nouvelle fenêtre)« Ce qui s’est matérialisé a dépassé toutes nos prévisions », a confié l’inspecteur Russell Lucas à la commission Rouleau. La Presse canadienne / Adrian WyldC’était comme combattre une inondation avec des sacs de sable, a illustré le haut gradé du Service de police d’Ottawa (SPO). On construisait un mur, mais on voyait l’eau monter encore plus vite, et on savait qu’on finirait par être submergés.
Résultat : la rue Wellington ET le centre-ville d’Ottawa ont été envahis par les camionneurs, qui ont fait retentir leurs klaxons jour et nuit jusqu’à ce que les résidents réussissent à obtenir une injonction de la cour.
Des constats commencent à émerger
dont l’ex-maire Jim Watson, qui a critiqué la lenteur à réagir des gouvernements fédéral et provincial lorsque le SPO a réclamé des renforts.
il a été possible d’apprendre que la police locale a choisi d’ignorer les avertissements fournis par les hôteliers et les services de renseignement de la PPO selon lesquels la manifestation pourrait dégénérer et se transformer en occupation prolongée.
et la résistance des camionneurs, qui s’étaient jusque-là montrés paisibles et respectueux de la loi, a surpris le corps de police, a admis lundi son chef par intérim, Steven Bell.
À terme, 66 personnes auront témoigné devant le juge Paul Rouleau, dont Justin Trudeau et sept ministres, des organisateurs du convoi ainsi que des responsables du SCRS.
Questionné sur le sujet mardi à son arrivée aux Communes, le premier ministre Trudeau a déclaré qu’il laisserait la Commission gérer ses témoins, tout en soulignant qu’il était évident que son homologue ontarien s’était tenu aux côtés des gens d’Ottawa, de l’Ontario et du Canada plutôt qu’aux côtés des protestataires.
M. Ford et Mme Jones, eux, ne se sont pas présentés à l’Assemblée législative, mardi matin, pour la période des questions.