Face aux sorties publiques de la classe politique de droite et d’extrême droite française réclamant plus de fermeté à l’égard d’Alger, ainsi qu’aux coups portés en Algérie par les ennemis de la relation bilatérale, combien de temps Emmanuel Macron pourra-t-il encore défendre sa politique, celle de défendre quoi qu’il en coûte l’Algérie ?
La question se pose alors que lundi 21 août, la radio publique algérienne a annoncé que les autorités du pays avaient donné « une suite négative à la demande française de survol du territoire national pour attaquer le Niger ». Dès le lendemain, l’état-major des armées françaises a démenti auprès de l’agence Reuters avoir formulé une quelconque demande à Alger.
« La France, qui avait menacé les militaires nigériens de mener une opération militaire s’ils ne libéraient pas le président Bazoum [renversé par un coup d’État fin juillet], va mettre ses menaces à exécution », a pourtant insisté la radio algérienne, en affirmant, « selon des sources informées », que l’intervention militaire était « imminente » et que « tout le dispositif militaire était en place ».
Selon la presse américaine, l’Algérie vient de refuser à la France, le survol de son espace aérien, en vue d’une intervention militaire au Niger avec la CEDEAO. En réponse, la France a rétabli les 200 000 visas annuels pour les algériens… ! Macron, quelle autorité !
— Jean-Michel CADENAS (@RassNational53) August 23, 2023
Cette information intervient alors que les récents développements au Niger montrent que, pour l’instant, les parties sont encore loin de parvenir à une solution politique : lundi, les pays ouest-africains opposés au coup d’État du 26 juillet ont qualifié de « plaisanterie » l’idée d’une transition de trois ans maximum proposée par les militaires putschistes.
Mardi, Abdoulaye Seydou, le dirigeant d’une coalition de la société civile opposée à la présence militaire française au Niger, a assuré que son mouvement n’accorderait pas « une seconde » à la France pour retirer ses troupes après l’expiration du délai fixé par le régime de Niamey, à savoir début septembre.
L’Union africaine (UA) a également décidé ce mardi « de suspendre immédiatement la participation [du Niger] de toutes les activités de l’UA et de ses organes et institutions jusqu’au rétablissement effectif de l’ordre constitutionnel dans le pays ».
« Avant que l’irréparable ne soit commis »
L’Algérie, qui rejette depuis le coup d’État tout intervention étrangère, appelle au rétablissement du président Bazoum en tant que président légitime du Niger et à privilégier le dialogue politique. Elle s’est encore exprimée samedi 19 juillet, déclarant qu’elle « regrett[ait] profondément que le recours à la violence ait pris le pas sur la voie d’une solution politique négociée ».
« Avant que l’irréparable ne soit commis, et avant que la région ne soit prise dans l’engrenage de la violence dont nul ne peut prédire les conséquences incalculables, l’Algérie appelle toutes les parties à la retenue », précise le communiqué des Affaires étrangères.
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Dans les faits, l’Algérie a déjà interdit le survol de son territoire aux avions militaires français en octobre 2021, à la suite du rappel de l’ambassadeur algérien en France consécutif aux propos jugés « irresponsables » d’Emmanuel Macron sur le pouvoir algérien – le président français avait notamment évoqué « un système politico-militaire fatigué » et « construit » sur la « rente mémorielle » – et après le début progressif du retrait des troupes de l’opération Barkhane au Mali.
Depuis le début de l’été, d’autres rumeurs ont déjà prétendu qu’Alger avait interdit le survol de son territoire aux avions français, mais jamais les médias officiels ne s’étaient joints à ces allégations principalement diffusées sur les réseaux sociaux.
Cette fois-ci, Alger a même affirmé que devant le refus de l’Algérie, Paris avait décidé de se tourner vers les Marocains pour des autorisations de survol de son territoire par ses avions militaires.
« Les plans de vols des avions militaires français ont été déposés au niveau des autorités marocaines compétentes, qui ont décidé de répondre favorablement à la demande française », a insisté la radio algérienne.
« Le Maroc prouve encore une fois qu’il reste un État colonisateur, qui viole en permanence le droit international, et soutient une intervention militaire dans un pays libre et indépendant. »
Le Maroc, avec lequel l’Algérie a rompu ses relations diplomatiques en octobre 2022, n’a pas encore officiellement commenté cette information.
Un équilibre difficile à tenir
Pour la relation bilatérale agonisante entre Paris et Alger, et sans doute plus encore pour celle entre les présidents Macron et Tebboune, ce nouvel incident, qui n’a pas été commenté non plus par l’Élysée, ne va pas contribuer à arranger les choses.
Depuis l’annonce du report de la visite d’État du président algérien en France, en avril, la coopération – à l’exception du domaine militaire qui, selon Paris et Alger, fonctionne jusqu’à maintenant plutôt bien –, relancée lors du séjour d’Emmanuel Macron en août 2022, n’a pas connu d’avancée majeure.
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Abdelmadjid Tebboune, qui s’est rendu depuis le printemps en Russie, en Chine, en Turquie ou encore au Qatar, et qui a milité pour une adhésion de l’Algérie aux BRICS, a déclaré début août que sa visite en France était « maintenue » mais qu’elle dépendait « du programme de l’Élysée » et qu’elle devait « déboucher sur des résultats ».
Dans les faits, les attaques régulières lancées par les médias – parfois officiels – algériens, à l’image de celle émise par la radio algérienne lundi, ou encore de celle qui a pris pour cible au début de l’été la chaîne France24, accusée d’être une « chaîne poubelle » et le « prolongement de la politique du Quai d’Orsay », donnent à la droite et à l’extrême droite françaises un redoutable carburant.
Les voix se sont récemment multipliées pour appeler à revoir de façon unilatérale l’accord de 1968, présumé plus favorable aux Algériens qu’aux Français, à se réconcilier au plus vite avec le Maroc, et à se montrer plus ferme avec Alger, notamment sur la question du retour des migrants clandestins.
Pour Emmanuel Macron, qui a multiplié les gestes d’apaisement et n’entend pas renoncer à la grande réconciliation dont il souhaite être l’architecte, l’équilibre devient toutefois de plus en plus difficile à tenir.