Culture : pourquoi sortir de l'hétérosexualité est une révolution féministe


JD : Je ne sais pas si j’emploierais le terme « utopique ». Car tout ce que je raconte est ancré dans réel. Aujourd’hui, dans notre société, tu observes déjà des personnes qui se passent des catégories « homme » et « femme » malgré les normes, notamment des personnes qui sont dans une phase de transition.

Ce sont des choses que je constate, d’autant plus dans un climat global où les voix s’élèvent face aux injustices qu’induisent les rapports de force de ce système. Les gens cherchent à agir concrètement pour ne plus faire pouvoir contre l’autre, mais avec l’autre. Je ne sais pas si c’est optimiste. Il s’agit de faire, et de dire. De ressentir l’urgence.

Culture : pourquoi sortir de l'hétérosexualité est une révolution féministe

Est ce dans la non-binarité qu’on peut entrevoir une forme d’émancipation ? Te définirais-tu comme non-binaire, est-ce que cela te parle ?

JD : Je choisirais plus volontiers un terme militant, celui de « transpédégouine », car il invoque toute une dimension politique. Je parle vraiment pour moi. Mais cette expression implique le collage de trois mots et c’est déjà très éloquent : elle suggère la porosité des cases et des luttes, l’idée d’une lutte commune. Ce sont des notions qui s’émancipent d’une référence aux normes binaires. « Non-binarité » me parle moins puisque c’est une notion qui renvoie à une échelle de référence, qui serait donc la binarité.

A la fin de ta réflexion, tu parles de personnes « sexcisées », énoncé pensé sur le même modèle que racisées. Qu’est-ce que c’est au juste ?

JD : C’est la réflexion derrière ce terme qui est importante pour moi.

Dans la société, on va avoir tendance à employer le mot « femmes » pour désigner l’ensemble des personnes qui subissent du sexisme. Le souci, c’est que ça tend à reconduire les deux catégories hommes/femmes, et cela invisibilise les personnes « transpédégouines » qui souffrent également du sexisme : elles sont discriminées en ne souhaitant pas habiter les identités normées, elles perturbent les attentes, refusent un système, et s’en prennent en retour des violences physiques, matérielles.

C’est du sexisme. Les personnes gouines, pédés, intersexes, subissent du sexisme, pas simplement les femmes – « femme » constitue une généralité – et leur mise au ban serait déplorable. Employer le terme « sexcisé », c’est justement inclure toutes ces personnes, au-delà de la catégorie « femmes ». La solution au sexisme, ce n’est pas se focaliser sur l’idée d’égalité hommes/femmes, c’est prendre conscience de ce qu’est le sexisme, de ce que sortir des catégories binaires fait subir également.

L’émancipation des catégories hommes/femmes, de l’hétérosexualité, fait partie des solutions face aux rapports de domination de notre société. Mais à mes yeux, les propositions seront toujours moins importantes que le cheminement qu’elles induisent.

Comme on le voit, le langage est important dans tes réflexions, et il est politique. Or, quand des femmes politiques – par exemple – se disent ouvertement lesbiennes en France (comme la conseillère de Paris Alice Coffin ou la sénatrice Mélanie Vogel), l’opinion répond que cela ne la regarde pas, que c’est une question de vie privée. L’importance du langage militant est-elle encore incomprise en France ?

JD : Que ce soit le renvoi à une vie privée (alors que l’intime est politique !) ou l’invisibilisation totale (dire que ce sont des femmes avant d’être des lesbiennes), le problème d’énoncé se pose effectivement en France.

Quand les médias nous parlent de Céline Sciamma, d’Adèle Haenel, de Virginie Despentes, ils vont davantage mettre en avant le mot « femmes » plutôt que celui de « lesbiennes ». Alors que ce dernier est au coeur des luttes de ces artistes. C’est un processus d’invisibilisation.