Cyril Dion, l'écologiste qui a choisi l'espoir


de lapins élevés dans des cages format A4. Mais des abattoirs au trafic d’animaux sauvages, vous auriez pu choquer encore plus.      C.D. J’ai voulu un équilibre. Que l’on ressente la douleur des animaux, c’était nécessaire parce que l’être humain ne se bat pas pour une idée mais pour une émotion. Mais je voulais qu’on éprouve aussi de l’enthousiasme, de l’émerveillement, de l’espoir.ELLE. Désertification, plastique, surpêche, élevages industriels. Un tiers des espèces sont menacées. Vous, qu’est-ce qui vous touche le plus ? C.D. La disparition du chant des oiseaux. Ça dit tout. Le chant des oiseaux est notre dernier lien avec le monde sauvage. Mais nous ne pensons que voitures, téléphones, centres commerciaux… sans voir que les océans se vident, que les forêts deviennent muettes, que les oiseaux meurent. À quel degré de folie faut-il être arrivé pour ne pas voir cela ?ELLE. Vous liez féminisme, racisme et écologie.      C.D. Oui, car ce sont des combats contre la chosification des êtres vivants. Une femme qu’on viole, un migrant qu’on maltraite, un animal qu’on élève dans le noir, tous sont victimes d’une vision matérialiste, consumériste, productiviste du monde. Le patriarcat chosifie les femmes comme les écosystèmes.ELLE. Est-ce pour cela que le mouvement écologique est tant porté par les femmes ?     C.D. C’est un fait : au niveau mondial, c’est Greta Thunberg qui incarne l’écologie, en France, c’est Camille Étienne, en Allemagne, Luisa Neubauer… Lors des avant-premières d’« Animal », des hommes m’ont dit : « C’est ma femme qui m’a emmené, mais le film m’a beaucoup touché… » Le combat pour l’environnement demande de l’empathie, de la bienveillance, des qualités qui sont peut-être plus assumées par les femmes. Toutes n’ont heureusement pas vécu d’agression mais, quand on a vécu une situation où l’on a été chosifié, comme moi qui ai été agressé sexuellement enfant, on est sensibilisé à cette prise de pouvoir, cette domination des hommes sur la nature. La destruction du vivant trouve là une résonance immédiate.ELLE. Dans le film, Bella déclare : « C’est dur d’aimer les humains. » Vous êtes en colère ?              C.D. Ce matin, j’étais dans une forêt et j’entendais les coups de feu des chasseurs, qui, à la radio, expriment leur passion de tuer… Oui, je suis en colère, mais j’essaie d’y répondre de manière créative. Pour combattre des logiques de mort, il faut des logiques de vie : regarder le monde sauvage, donner du sens à son existence, donner la parole aux jeunes… Bella et Vipulan sont pleins d’énergie, ils ont l’élan pour bouleverser l’ordre établi.ELLE. Vous dites que c’est le combat d’une génération. Mais cette génération, c’est la nôtre, on ne peut pas tout attendre de nos enfants.        C.D. Évidemment ! Mais, de même que quand j’étais adolescent on nous appelait la génération sida, eux sont la génération climat. Le XXIe siècle va entièrement tourner autour de cette question. Mon but, à travers ce film, est de provoquer des discussions entre les générations.ELLE. Avez-vous culpabilisé de prendre l’avion pour tourner au Kenya, au Costa Rica, en Inde ?         C.D. Oui, bien sûr, et nous en avons parlé avec Bella et Vipulan. Mais nous avons pensé que le bénéfice du film pour l’écologie valait les quatre voyages que nous avons faits en avion. Pour les autres, nous avons pris le train.ELLE. À vos yeux, la réponse est surtout politique.            C.D. Chacun d’entre nous peut avoir un impact. En ne mangeant plus de viande, par exemple. Mais, comme le dit Bella dans le film, la société nous oblige à mal nous comporter vis-à-vis de la planète. Personne ne prend sa voiture en se disant « chouette, je vais polluer » ! Mais le prix de l’immobilier, le manque de transports publics nous y contraignent… Les citoyens qui réclament un changement de société ne sont pas écoutés, car nous ne vivons pas en démocratie mais en oligarchie. C’est flagrant dans le film : à Bruxelles, Bella et Vipulan tentent d’interpeller un parlementaire européen espagnol à propos de la surpêche et il refuse de leur répondre. Une étude de Martin Gilens, professeur à Princeton, a montré que 80 % des décisions publiques ne répondent pas à une aspiration de la société mais à des groupes d’influence privés. La preuve avec la COP26. Ces groupes ont de l’argent, font faire des études biaisées, influencent les politiques… avec un cynisme incroyable.ELLE. Quel regard portez-vous sur Emmanuel Macron et la convention citoyenne sur le climat dont vous êtes à l’origine ?           C.D. Emmanuel Macron est un homme de ce monde-là, il ne prendra jamais une décision qui pourrait heurter cette élite économique. Quand je lui ai proposé la Convention citoyenne pour le climat, je lui ai dit : « On ne va pas se raconter d’histoires, on sait que vous ne ferez rien contre le réchauffement climatique de vous-même. C’est pour ça qu’il vous faut les citoyens. » Il a répondu : « Pas mieux ! » Il nous a assuré qu’il reprendrait les propositions sans filtre, on s’est battus pour ça. Mais il ne l’a pas fait. Il ne pensait pas que les citoyens iraient aussi loin.ELLE. Dans le film, l’expert Éloi Laurent explique que la santé au sens large devrait être le nouvel indicateur de progrès plutôt que le PIB.           C.D. Il y a une métaphore d’Hubert Reeves que j’aime beaucoup. Nous sommes dans un train qui fonce à 300 kilomètres/heure vers un mur. La question n’est pas : « Comment aller moins vite ? », la question est : « Comment changer de train ? » ! À quoi notre « richesse » nous sert-elle, au fond ? Quel est le but ? La santé, la joie. Pendant le confinement, ce qui nous a manqué, ce ne sont pas les boutiques, c’était de voir nos amis, les savoir en bonne santé.ELLE. Selon vous, trois facteurs sont nécessaires pour un changement de société. C.D. Le changement dont nous avons besoin est aussi important que l’abolition de l’esclavage ou que la Révolution française. Pour cela, il nous faut d’abord de nouveaux récits, des films, des livres. Ensuite, il faut établir un nouveau rapport de force, qu’il soit non violent ou plus musclé…ELLE. Plus musclé ?              C.D. Oui, c’est parfois nécessaire. C’est ce que démontre le Suédois Andreas Malm, auteur de « Comment saboter un pipeline ». Cela peut sembler violent, mais n’est-ce pas d’une extrême violence de construire le plus grand pipeline du monde entre la Tanzanie et l’Ouganda, qui va assécher les rivières, tuer des milliers d’animaux, provoquer des famines ? Le front de la bataille est là : personne ne veut la violence, mais que va-t-il se passer si on laisse le monopole de cette violence à ceux qui détruisent l’environnement ?ELLE. Et le troisième facteur ? C.D. Ce sont les circonstances historiques. L’indépendance de l’Inde a été rendue possible car il y avait eu la Seconde Guerre mondiale. Les conséquences du réchauffement climatique sont de cette ampleur.ELLE. Pour en revenir aux nouveaux récits, très peu imaginent un avenir radieux.     C.D. Avec des amis, nous sommes en train de monter un projet pour aider à la création de ces nouveaux récits. Le nombre de films dystopiques est effarant ! « Blade Runner », « Mad Max »…, on imagine toujours le futur sans vie sauvage, dans des endroits stériles. Comment avoir l’énergie de changer le monde si on ne peut même pas le rêver ? Nous avons besoin d’autres rêves.ELLE. À la fin du film, Bella confie qu’elle voudrait être un éléphant. et vous ?                 C.D. Je suis heureux d’être un humain, j’essaie de l’être le mieux possible, mais, pendant le tournage, j’ai été extrêmement ému par les girafes. Cela peut paraître un cliché mais elles ont l’air de venir d’un autre monde ! J’étais très troublé par leur regard. Comme par celui de tous les animaux, d’ailleurs. J’ai trois chats, et quand je plonge mes yeux dans les leurs je sens une telle profondeur, une telle présence… Ça fait s’arrêter la mécanique de nos cerveaux sur stimulés. Toujours le sauvage, et c’est peut-être ça le plus extraordinaire, vous ramène au présent, à la vie. 

Chiffres clés                 

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C’est le nombre d’espèces d’oiseaux qu’on peut chasser en France, soit quatre fois plus que dans les autres pays européens, alors qu’en trente ans les populations d’oiseaux ont diminué de 30 %. Parmi ces soixante-quatre espèces, vingt sont inscrites sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature.              

Cyril Dion, l'écologiste qui a choisi l'espoir

1OO OOO

C’est en euros le prix de 1 kilo de poudre de corne de rhinocéros en Chine, où on lui prête à tort des vertus virilisantes. Le trafic d’animaux sauvages est l’un des plus lucratifs au monde, avec les armes et la drogue.                

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C’est le nombre d’hectares détruits chaque jour en France, sous l’effet de la bétonisation des sols.

Vive le veganuary ! 

Depuis sa création en 2008, l’association L214 s’est fait connaître du grand public en révélant l’enfer des élevages intensifs et des abattoirs. 95 % des cochons en France sont élevés sur des caillebotis, sans pouvoir se mouvoir. Trois millions d’animaux sont tués chaque jour, et huit sur dix n’ont jamais vu la lumière du jour. Pour mettre fin à cette situation et lutter contre le réchauffement climatique et la déforestation – beaucoup de vaches sont nourries au soja brésilien –, L214 propose d’attaquer l’année 2022 en relevant ce challenge : avoir une alimentation 100 % végétale en janvier*. « Manger végétal, c’est le geste le plus fort que l’on puisse faire pour l’environnement, assure Brigitte Gothière, fondatrice de l’association. C’est mieux que de manger local. Selon une étude du cabinet Carbone 4, c’est 40 % de notre pouvoir écologique. » On peut aussi signer la pétition demandant un référendum pour les animaux**, lancée par Hugo Clément, Xavier Niel, Jennifer Bierna, Jacques-Antoine Granjon et Marc Simoncini.               * https://improved-food.com/challenge-veganuary-2022**.com« Animal », en salle le 1er décembre. À lire : « Vous êtes des animaux comme nous » (éd. Actes sud) et « Petit manuel de résistance contemporaine » (Poche), Cyril Dion.