Récit et retour en images de quatre années riches en rencontres et échanges culturels.
Nous ne pouvons rien faire seuls, mais « avec »
Après quatre années passées en tant que directeur délégué de l’Institut français de Turquie à Ankara, quel bilan pouvez-vous faire de votre mission ?La coopération est un sport de haut niveau qui nécessite un engagement de chaque instant, une écoute et une attention pour l’autre. Nous ne pouvons rien faire seuls, mais « avec », que ce soit avec des partenaires turcs, européens ou français. Le rôle d’une institution culturelle aussi brillante que l’Institut français est de rapprocher les publics autour de projets qui s’inscrivent dans le temps long, que ce soit une conférence, un concert, un spectacle de théâtre ou bien un accord avec une université pour développer des cours de français et des certifications. Le danger étant celui d’une programmation culturelle hors sol, commandée par les circonstances et qui se regarde le nombril.
dans l’amphithéâtre romain. A chaque fois, nous avons été reçus avec chaleur par un public curieux qui a soif de rencontres.
Quels sont les temps forts que vous retenez ?
un auteur populaire –, la création d’un Prix annuel de la Traduction dont la première remise aura lieu à Istanbul dans les jardins du Palais de France, la mise en place de la Micro-Folie en Turquie, d’abord à Izmir puis à Ankara (un musée numérique qui présente les plus prestigieux établissements de France), l’invitation de grands pianistes comme Simon Ghraichy, Abderrahmane El-Bacha ou encore Alexandre Tharaud et Frédéric Pommier, sans oublier Christophe Chassol avec son spectacle mêlant musique et vidéo dans la salle comble de l’Ankara Palas – un bâtiment historique lié à Atatürk. Je revois aussi la venue des philosophes Patrick Degeorge venu nous parler du réchauffement climatique et de notre rapport au sauvage, de Maxime Rovère évoquant la figure de Spinoza, comme du professeur au Collège de France, Edhem Eldem (titulaire de la chaire internationale d’Histoire turque et ottomane) faisant revivre dans le grand salon Farabi de l’Université d’Ankara la personnalité étonnante de son grand-oncle le peintre Osman Hamdi Bey, fondateur du musée archéologique d’Istanbul.
Avec Jean-Christophe Grangé, Salon du Livre, en 2020
Je ne peux citer tout le monde, mais je voudrais rappeler le passage de Kenize Mourad en 2019 venue nous présenter son roman sur le Pakistan et surtout sa vie de reporter intrépide, comme la conférence de Maria Devrim d’origine polonaise – l’épouse du peintre Nejat Devrim – venue depuis Paris pour conter, entre autres, l’insurrection de Varsovie en 1944. Une conférence qui était liée à une exposition des œuvres du peintre dans la galerie Nev, dirigée par Deniz Artun. Nous avons aussi monté un cycle d’archéologie en partenariat avec les universités de Bilkent et d’Ankara – la conférence d’Olivier Henry sur les fouilles et le mystère de Labranda a été particulièrement fascinante.
Kenize Mourad à l’Institut français de Turquie à Ankara venue présenter son livre « Au pays des purs » (Pakistan), en 2019
Lancement de Be Mobile Create Together !, Istanbul, en 2018
Elle repart dans quelques semaines vers Paris, à la Cité internationale des Arts, pour une résidence artistique de six mois. Un grand succès.
que ce soit Ali Borovali en 2018, Ahmet Sel en 2019, Lam Duc Hien en 2020 et Ferrante Ferranti en 2021 avec Saima Altunkaya sur le « Tur Abdin » – la région des syriaques orthodoxes près de Mardin – dans le centre culturel de la mairie de Çankaya.
Avec Ali Borovali à Eskisehir
Centre culturel de Çankaya, vernissage de l’exposition conjointe d’Ahmet Sel, Lam Duc Hien et Saima Altunkaya
Nous avons pu proposer nos services dans d’autres villes de Turquie, sortir ainsi de nos frontières traditionnelles
Le COVID est venu bouleverser de manière drastique les activités de l’IFT, quels enseignements tirez-vous de cette expérience inédite ?
La question était de savoir comment garder le contact avec nos publics dans un contexte où nos lieux « physiques » devenaient soudainement obsolètes, que ce soit pour les cours de français ou les rencontres culturelles.
Les Instituts français doivent s’adapter à ce défi pour maintenir un modèle économique où la recherche d’autofinancement est exigée.
Avec l’équipe de l’Institut français de Turquie à Ankara
Metin Arditi, Jean-Marie Laclavetine, Leila Slimani, Patrick Deville ou encore Muriel Barbery. Il y a eu aussi l’ambitieux projet de « Masterclass » commencé avec Yiğit Bener pour proposer un ensemble de cours de traduction via Zoom à des centaines d’étudiants et professeurs établis dans plus de dix villes (des publics que nous ne touchions pas avant la pandémie). Nous avons reçu Sibel Asna encore, la papesse de la communication en Turquie, l’idée étant de mettre en avant des personnalités turques capables de transmettre une expérience professionnelle qui se serait frottée à la France, dans l’esprit d’une influence croisée.
Avec Asena Günal, directrice d’Anadolu Kültür, au Cer Modern pour l’exposition Lieux Saints Partagés
La ville où la Turquie moderne a été pensée
Vous êtes un amoureux d’Istanbul, est-ce que j’ose vous poser la question : Istanbul ou Ankara ?
Mon regard sur Ankara a été transformé par cette expérience professionnelle. Au moment où je m’apprête à partir pour Chypre pour continuer ma mission de « passeur », je quitte la ville le cœur gros mais avec la satisfaction du devoir accompli. Ma successeur, Sophie Gauthier qui arrive de New Delhi saura relever avec talent l’ensemble de ces ambitions. Je suis fier de lui passer le relai, elle aime la Turquie et parle très bien la langue. Je reviendrai pour revoir mes nombreux amis, c’est certain.
A Ankara, on prend le temps de bien faire les choses, la relation humaine est essentielle. C’est aussi la ville où la Turquie moderne a été pensée, je songe à la formidable révolution kémaliste, il ne faut pas l’oublier.
Les métiers liés à la culture prennent de plus en plus d’importance dans le monde d’aujourd’hui. Ils permettent d’avancer sur des sujets importants mais qui ne sont pas bloquants. Je conseille aux jeunes de s’y intéresser même si nous sentons bien que la technologie nous promet une autre révolution. Je reste néanmoins persuadé de deux constantes : celle du besoin de lieux « physiques » pour se retrouver, comme celui indispensable d’artistes et d’intellectuels pour nous aider à comprendre.
quel serait-il ?
De prendre le temps de découvrir la ville, les quartiers anciens et modernistes, le musée des civilisations anatoliennes et celui d’Erimtan – où nous avons organisé des concerts et conférences. Rien de mieux qu’une déambulation sous les arbres de Kavaklidere dans les senteurs du printemps ! La position d’Ankara au centre de l’Anatolie permet d’aller en Cappadoce pour découvrir les églises byzantines, à Beypazari pour son marché et ses maisons typiques, ou encore vers la mer Noire.
Je regrette la réputation d’Ankara auprès des élites stambouliotes, mais en même temps cela la protège. J’ai parfois l’impression qu’Ankara vit à rebours de l’agitation régionale, c’est rassurant.
j’aime à dire que vous n’étiez pas seulement un passeur culturel ou un lien essentiel, mais un vrai “liant”, favorisant auprès de tous une vraie cohésion – vous allez nous manquer.
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producteur de l’émission Chrétiens d’Orient sur France Culture, est notamment l’auteur de Eloge du voyage, sur les traces d’Arthur Rimbaud et Un thé à Istanbul. Sébastien de Courtois est Lauréat du prix littéraire France-Turquie en 2017 pour Les Lettres du Bosphore.
Biographie : https://oeuvre-orient.fr/actualites/portrait-de-sebastien-de-courtois-ecrivain-et-chercheur/