Dépister la démence en analysant la démarche


Des chercheurs tentent de mettre au point un test de dépistage de démence basé sur la démarche. Car quand nos capacités cognitives s’amenuisent, on marche moins vite.

Publié à 0h46

Mis à jour à 7h00

Reconduire son patient

Quand Rebecca MacAulay voit un patient soupçonné de pertes cognitives à l’Université du Maine, où elle est chercheuse clinicienne, elle prend souvent la peine d’aller le reconduire à la salle d’attente après l’avoir soumis à quelques tests.

« Parfois, les tests ne sont pas concluants, soit parce que le patient collabore de mauvaise grâce, soit parce qu’une grande éducation lui permet de compenser les pertes cognitives, indique la neuropsychologue. Mais en discutant en marchant, des fois, on découvre des choses. »

Je me souviens d’un patient qui s’est arrêté net pour réfléchir. Sa femme m’a dit : “C’est exactement comme ça : il fige.”

Rebecca MacAulay, chercheuse clinique à l’Université du Maine

Ces trucs du métier ont poussé la chercheuse d’Orono à explorer la possibilité de tests combinant démarche et démence.

Ces tests pourraient être plus simples que les tests cognitifs comme celui pour la démence ou pour le « déficit cognitif léger », un facteur de risque de démence. « On mesure la vitesse de marche [pendant qu’on pose des questions], indique Mme MacAulay. On n’aurait pas nécessairement besoin d’un médecin pour faire passer le test. Ça faciliterait le dépistage, le suivi des patients. [Parce qu’]il y a une grande pénurie de personnel en santé. »

Au Neuro de l’Université McGill, Philippe Huot, neurologue spécialiste des troubles du mouvement, a immédiatement pensé à la maxime « marcher et mâcher une gomme en même temps » quand nous l’avons sondé sur l’approche de Mme MacAulay.

PHOTO FOURNIE PAR LE NEURO

Le Dr Philippe Huot

Beaucoup de patients [ayant des troubles du mouvement] ont aussi des problèmes cognitifs. Quand je vois dans la rue une personne avec une démarche particulière, des fois, je me dis : “Elle a le parkinson. Elle a eu un AVC.”

Le Dr Philippe Huot, neurologue spécialiste des troubles du mouvement

« Des études montrent que les médicaments qui améliorent la cognition dans le parkinson améliorent la démarche, explique le Dr Huot. Et puisque la démarche, ça touche en partie aux fonctions exécutives [la partie du cerveau qui prend des décisions], c’est plausible de penser qu’il pourrait y avoir des tests de dépistage [de démence] qui impliquent la démarche. »

Étalonnage

Avant que ces recherches mènent aux applications cliniques, il faut mieux comprendre comment la moyenne des gens répond à un test impliquant des questions pendant qu’on marche. « On sait qu’une personne incapable de marcher plus vite qu’un mètre par seconde risque de tomber et de perdre son indépendance », rappelle Mme MacAulay, qui recommande, d’abord et avant tout, un étalonnage du test.

L’étalonnage du test consiste à identifier les questions qui permettent de prédire des problèmes cognitifs, ainsi qu’à savoir comment elles affectent la démarche des gens en moyenne, lorsqu’on les leur pose pendant qu’ils marchent.

Cette opération a actuellement lieu en collaboration avec plusieurs centres hospitaliers américains. « Nous sommes en train de standardiser la collecte de données, à partir de deux études que j’ai publiées, souligne Mme MacAulay. Je viens d’être invitée à réviser une méta-analyse sur des tests cognitifs qui impliquent la démarche, par une revue de l’Association Alzheimer. »

Ce point a été le premier qu’a soulevé le Dr Huot du Neuro durant notre entrevue. « Je ne suis pas convaincu qu’on est proche de l’application clinique. Il y a beaucoup de variabilité dans les tests utilisés, quel type de mouvement, quel type d’atteintes. Même chose pour les tests cognitifs. Il faut une validation clinimétrique de ces tests. »

Il est également possible qu’un test de démarche pour détecter la démence chez les gens soit irréalisable, contrairement aux tests de déficit cognitif léger ou aux tests de démence. « Il se peut qu’il y ait trop de variabilité dans la population », dit Mme MacAulay.

Si les résultats obtenus auprès des gens varient trop, un tel test pourrait être utile pour faire le suivi d’un patient durant sa vie.

Si la démarche diminue trop vite, particulièrement quand on pose des questions, ça pourrait indiquer un problème cognitif

Rebecca MacAulay, chercheuse clinique à l’Université du Maine

La facilité de faire passer le test devient alors d’autant plus importante : il pourrait être administré par une infirmière en même temps que la prise de pression et du poids, avant l’entrevue avec le médecin.

Comorbidités

Autre facteur qui complique l’utilisation clinique des tests de démarche pour détecter la démence : l’influence des comorbidités sur notre démarche. « Quelqu’un qui a eu un AVC marche moins vite à cause de ça. Il faut corriger les résultats de départ de cette personne pour tenir compte de l’AVC, ou alors par rapport aux données populationnelles. »

Les tests pour détecter le déficit cognitif léger ou encore la démence peuvent aussi être affectés par des comorbidités, comme la dépression, souligne Mme MacAulay.

Téléphone

Une avenue prometteuse est l’utilisation des téléphones intelligents pour effectuer ce type de tests, avec des applications qui poseraient des questions auxquelles les gens répondraient avec leur oreillette.

« C’est intéressant, on se dirige vers ça », souligne le Dr Huot.

On utilise de plus en plus en recherche des appareils connectés avec les téléphones intelligents. Cela court-circuite le besoin de récolter les données.

En savoir plus

  • 2,6 %
    Prévalence de la démence chez les femmes de 65 à 79 ans au Canada, 2013-2014

    Source : Institut canadien d’information sur la santé

    2,4 %
    Prévalence de la démence chez les hommes de 65 à 79 ans au Canada, 2013-2014

    Source : Institut canadien d’information sur la santé

  • 20,8 %
    Prévalence de la démence chez les femmes de 80 ans et plus au Canada, 2013-2014

    Source : Institut canadien d’information sur la santé

    15,6 %
    Prévalence de la démence chez les hommes de 80 ans et plus au Canada, 2013-2014

    Source : Institut canadien d’information sur la santé