Laurence Geai : « Odessa est à présent une ville morte »
Un homme dit au revoir à sa mère, sa femme et son bébé de 3 mois, à Odessa, le 3 mars 2022. LAURENCE GEAI/MYOP POUR « LE MONDE » Une semaine après le début de l’invasion russe en Ukraine, la ville d’Odessa se barricade. Des checkpoints ont été mis en place le long des routes et dans les artères du centre-ville, connu pour son architecture du XIXe siècle, son opéra, et ses escaliers de Potemkine.
Cette ville au bord de la mer Noire est stratégique. C’est l’un des objectifs de Vladimir Poutine pour écraser et conquérir l’Ukraine : mettre la main sur son port, d’où partent des millions de tonnes de céréales qui financent l’économie du pays. Odessa est à présent une ville morte.
Il y fait un froid glacial. Les restaurants et les devantures de magasins sont, pour la plupart, fermés. Je suis arrivée le 1er mars en passant, à pied, par la frontière moldave, croisant des milliers d’Ukrainiens fuyant dans l’autre sens.
Des voitures chargées d’enfants et de femmes. L’image d’une débâcle. A ce moment, personne n’imagine que l’armée ukrainienne puisse résister à la puissance de l’armée russe, laquelle avance rapidement vers Kiev.
Alors Odessa se vide. Chaque jour, des trains bleu et jaune sont chargés d’évacuer les civils qui souhaitent fuir, laissant place à des adieux remplis de larmes : au nom de la mobilisation générale, les hommes entre 18 et 60 ans sont obligés de rester sur le territoire pour faire face à l’envahisseur russe. Ce jour-là, je décide de passer une partie de la journée à la gare pour raconter ce déchirement.
Je rencontre une famille qui s’installe à bord du train. Avec leur accord, je reste à leur côté jusqu’au départ. Je suis silencieuse et discrète pour ne pas gâcher ce dernier moment entre eux.
Je suis très émue. Cet homme vient accompagner sa mère, sa femme et leur fils de 3 mois. Le train s’apprête à quitter le quai, les longues minutes durant lesquelles ils se font face, en silence, à travers la vitre, sont bouleversantes.
Des larmes. Des mots mimés sur les lèvres. Des mains sur les vitres pour faire comme s’ils pouvaient encore se toucher.
Nul ne sait quand ils se reverront. Ces scènes ont lieu dans toute l’Ukraine. Sur chaque quai de gare, devant chaque train, devant chaque bus au départ.
Des familles se séparent dans l’urgence et la peur, et fuient par millions le territoire. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime que plus de 7 millions de réfugiés venant du pays ont été enregistrés en Europe. Cette photo sera publiée en « une » du journal le lendemain.
Par la suite, j’ai reçu de nombreux messages sur les réseaux sociaux. Certains ont voulu retrouver la famille, en vain. Lisez les autres témoignages de nos photographes ici.