La parole des avocats victimes de harcèlement et discrimination se libère, notamment grâce aux plateformes anonymes dédiées
« Mon patron, avocat associé, m’a dit : « Si moi ou mon collaborateur, on vous crache au visage, vous l’essuyez et passez votre route » ». Amélie* fait partie des jeunes avocats et juristes harcelés qui libèrent désormais leur parole en France, soutenus par de nouvelles instances. Elle s’exprime par téléphone, au moment où des témoignages – anonymes – sont publiés sur le compte Instagram Balance ton cabinet d’avocats. Le but est de dénoncer « les abus : sexisme, conditions de travail, homophobie, racisme ». Elle est restée quinze ans comme « juriste » dans un cabinet d’avocats parisien, jusqu’à son licenciement en 2018.En 2015, elle a pour projet d’avoir un enfant : « Les relations se sont détériorées » avec mes supérieurs, souffle-t-elle. Remarques déplacées, congés refusés. « On me disait que j’étais devenue incompétente ». « J’ai fait 1 000 heures supplémentaires de 2016 à 2018. Je n’étais plus capable de rien. Je pleurais souvent, travaillais la boule au ventre », renchérit cette femme aujourd’hui âgée de 44 ans, assurant avoir alors subi « trois fausses couches à cause du stress ».
« La maternité est un véritable frein pour la carrière d’une avocate », explique de son côté Me Valérie Duez-Ruff, avocate spécialisée en droit du travail, qui a créé dès 2010 Moms à la barre, site d’entraide destiné aux avocates enceintes, accumulant les témoignages. Me Duez-Ruff est partie de son vécu : « A mon retour de congé maternité, mon patron m’a dit : ‘ça va vite me saouler si vous partez tous les jours à 19 heures’. Je devais être promue avocate associée, mais on m’a dit que mes priorités avaient changé ».Depuis, le Conseil de l’ordre s’est doté en 2015 d’une commission dédiée à la lutte contre le harcèlement et les discriminations, la Comhadis. Élue au Conseil de l’ordre, Me Duez-Ruff, sa fondatrice, a souhaité « que ce ne soit pas qu’un lieu d’écoute, mais un lieu d’action ». Une première étape confidentielle « permet de libérer la parole : un membre vient voir le ou la plaignante » au cabinet. Puis un débat « contradictoire » peut être organisé entre plaignant et avocat mis en cause. Si les faits sont avérés, l’avocat peut écoper d’un rappel à l’ordre, ou, pour les faits plus graves, d’une sanction.
La pandémie a aggravé les discriminations
le Barreau de Paris n’a pas répondu dans l’immédiat.Romane*, avocate depuis sept ans, a choisi de s’installer à son compte en septembre, après avoir été victime de pressions en tant que collaboratrice. Tout juste diplômée, elle intègre un petit cabinet, où la situation est « invivable ». « J’ai signé un contrat à mi-temps pour lequel je ne gagnais que 900 euros par mois, pour 70 heures de travail effectif par semaine », s’étonne-t-elle.
« Maltraitée »
constate la psychologue du Collectif Défense, Karine De Leusse.*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressées.