« Heureusement que Doctolib existe ! » Clélia a 30 ans, la parole facile et le rire généreux. De l’humour, il en faut une bonne dose à cette jeune maman. Et du courage aussi. Son quotidien a basculé à l’instant où le diabète est entré dans sa vie, après une grossesse heureuse. Depuis, pour cette habitante de Doyet, dans l’Allier, le parcours de soins s’est transformé, jour après jour, en parcours du combattant.
Un endocrino à une heure de voiture
Pour trouver un endocrinologue, essentiel à son suivi, il lui a fallu aller jusqu’à La Châtre, dans l’Indre, à une heure de voiture de chez elle. Quand il s’est agi d’obtenir un rendez-vous avec un angiologue, c’est à Guéret, en Creuse, que cette assistante de vie a atterri : « A Montluçon, je ne pouvais pas espérer un rendez-vous avant six mois. » Et pour décrocher une place chez un dentiste, elle a dû passer en revue le bottin trois jours durant, « l’équivalent de quatre pages recto verso, des dizaines de numéros ».
Dans son agenda médical, il y a aussi la diététicienne, une fois pas mois, à une quinzaine de kilomètres, et les consultations une à deux fois par an chez le podologue, le cardiologue…
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Pénurie de généralistes. Spécialistes débordés. Bienvenue dans la France des déserts médicaux. Le pays a perdu 8.897 des 94.261 médecins de famille qu’elle comptait en 2010, soit 9,4 % des effectifs. L’Yonne (-18 % en cinq ans) et l’Allier (-15 %) figurent parmi les départements les plus sinistrés. Une hémorragie qui va se poursuivre d’ici 2025 avec 3.346 praticiens en moins, selon la projection de l’Atlas de la démographie médicale.
Pour Clélia, 30 ans, le parcours de soins s’est transformé en parcours du combattant. Photo FLORIAN SALESSE
« Un malade dans ma situation doit tout faire, et finit par se substituer au généraliste car quand on en trouve un par miracle, il n’a pas le temps. Je me suis auto-soignée, pas eu le choix »
Cinq ans de vie en plus dans les Hauts-de-Seine
À ses côtés, Patrick Aufrère hoche la tête. « Le Covid a encore accentué les fractures dans le parcours de soins et retardé le diagnostic de maladies où la vie du patient est en jeu », constate cet homme de 62 ans, diabétique depuis quarante ans, pour qui « chaque jour est un combat ».
Un rapport paru fin septembre, à la demande de l’Association des maires ruraux, confirme l’inégalité grandissante dans l’accès aux soins. Il émane d’Emmanuel Vigneron, chercheur en géographie et aménagement sanitaire à l’université de Montpellier. En 2019, établit-il, les habitants des Hauts-de-Seine vivaient en moyenne « cinq ans de plus » que ceux du Pas-de-Calais, de la Somme, de l’Aisne, de la Creuse, de l’Yonne, de la Nièvre et de la Haute-Marne. En 1990, un tel écart n’était observé qu’avec le Pas-de-Calais.
La France a-t-elle « perdu 5.000 médecins généralistes depuis 5 ans » ?
Si les déserts médicaux grignotent inexorablement du terrain – 150 cantons sont dépourvus de tout médecin a établi Emmanuel Vigneron –, Patrick Aufrère ne peut se résoudre à cette fatalité. Il a rejoint le combat de l’Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM) et vient de lancer une antenne, dans l’Allier, depuis Vaux où il habite, à un quart d’heure de Montluçon.
« Faut-il se retrouver dans un état dégradé pour être entendu ? Payer les pots cassés ? Pour moi, c’est non », plaide-t-il.
Patrick Aufrère vient de lancer une antenne, dans l’Allier, de l’Association de citoyens contre les déserts médicaux. Photo FlORIAN SALESSE
Maxime Lebigot enfonce le clou : « On n’a plus le temps de prendre notre mal en patience. » Pour le président national de l’ACCDM – près de 1.000 adhérents, onze antennes – l’ordonnance est claire : « Pas question d’interdire la liberté d’installation mais la contraindre, ça oui, c’est du ressort de l’État. Par exemple, en ne conventionnant plus les médecins qui décident de s’implanter dans une zone suffisamment dotée. Comme c’est le cas pour les pharmaciens, les notaires, les huissiers, nous demandons un maillage territorial des médecins. »
L’association milite auprès des politiques, élus locaux comme parlementaires, pour faire entendre la voix des usagers. Elle a applaudi des deux mains la récente proposition de loi d’une cinquantaine de députés visant à obliger les jeunes médecins à travailler pendant trois ans, à la sortie de leurs études, dans les régions les plus pauvres en soins.
Le « numerus clausus », supprimé par la loi « Ma Santé 2022 », a connu un taux très bas dans les années 1990 (3.500 en 1993) pour remonter à 9.314 en 2019. L’objectif du gouvernement est de former 51.505 nouveaux carabins dans les cinq ans à venir. Autrement dit, l’impact ne se fera pas sentir avant dix ans.
« Depuis des années, malgré des coûts prohibitifs, aucune mesure incitative n’a réglé le problème de la pénurie médicale dans un territoire sous-doté. Ce qui est logique car on ne peut pas demander à un médecin de s’installer là où il ne veut pas passer sa vie », appuie Maxime Lebigot.
« C’est la double peine »
Pour Camille, membre active de l’association, le calcul est vite fait : « Quel est le prix des études de médecine en France ? Il se résume aux frais d’inscription. C’est la solidarité nationale qui joue, qui paye ces neuf à douze ans de formation et des spécialités coûteuses. Est-ce trop demander aux jeunes médecins de donner trois ans de leur temps en retour ? » Si elle s’investit, c’est pour défendre « la France de la campagne, des petites villes, les laissés-pour-compte qui ne font pas de bruit. Plus les gens sont éloignés des moyens de communication, moins ils ont accès aux soins. C’est la double peine. Je ne l’accepte pas. »
Salariat des médecins, prospection des étudiants… Les Départements à la manoeuvre contre les déserts médicaux
Après des études à Clermont-Ferrand, Nantes et Saint-Étienne, Sandrine Aufaure, ostéopathe, a choisi délibérément de travailler près de là où elle a grandi. Dans son cabinet de Vaux, où elle officie depuis quatre ans, un tiers de ses patients « n’a plus de médecin traitant ». « M’installer en milieu rural est un engagement. Je me considère comme un aiguilleur : je conseille les gens, je les dirige vers d’autres soignants. Mais je ne remplacerai jamais ce médecin de famille, si précieux, qui n’existe plus ou si peu. »
« L’herbe n’est pas plus verte ailleurs »Sandrine Aufaure, ostéopathe, a choisi de travailler près de là où elle a grandi. Photo FLORIAN SALESSE
La jeune femme s’interroge : « Qu’est-ce qu’un territoire attractif ? L’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Ici, on peut tout faire avec des enfants. Je ne comprends pas ce qui manque. » Elle se souvient d’un reportage à la télé qui l’avait consternée : « Pour venir à la campagne, les médecins interrogés exigeaient un logement, une patientèle et un salaire assurés, un travail pour leur femme… Ils sont en position de force, on est dans la surenchère. »
Un constat que partage le Dr Laure Artru. Cette rhumatologue, installée dans la Sarthe, n’est pas tendre avec ses jeunes confrères récalcitrants : « Les syndicats nous disent que si on touche à leur liberté de s’installer, ils iront dans la rue ? Les neuf millions de Français sans médecin peuvent aussi descendre dans la rue. Et là, qui gagnera ? Ce n’est pas la vie des étudiants en médecine qui est menacée, mais celle de ces personnes. »
Et puis, ajoute-t-elle, trois ans dans une vie de médecin, ce n’est quand même pas la mer à boire : « On ne veut pas les pénaliser. Ils pourront habiter dans des villes ; les maisons de santé multidisciplinaires sont faites pour ça. Ils prendront leur autobus pour aller soigner à 30 km ou 40 km de là. Et le soir, ils seront chez eux », imagine déjà la spécialiste.
« L’État doit des soins à des gens qui cotisent »
Pour bien marquer la ligne de démarcation générationnelle, Laure Artru cite l’exemple de La Ferté-Bernard, près de chez elle. Au Pôle Santé de la petite cité, des médecins ayant largement dépassé l’âge de la retraite, 77 ans en moyenne, « se dévouent pour sauver la vie de 7.000 patients ».
Mais qu’est-ce qui cloche, au fond?? « Un métier de service pratiqué par une médecine libérale, répond-elle sans hésitation. Peut-on s’offrir le luxe en France de travailler deux jours par semaine alors qu’il y a des gens qui meurent faute de soins?? Chaque semaine, je vois trois ou quatre patients en perte d’espérance de vie. Il n’y a pas trente-six solutions. Il faut augmenter le temps médical dans les départements sinistrés. L’État doit des soins à des gens qui cotisent et ne sont plus assurés. »
La communauté, une solution ?
Autour de Vierzon, dans le Cher, où la densité médicale est parmi les plus faibles de France, les blouses blanches ne sont pas restées les bras croisés. La communauté professionnelle territoriale de santé rassemble une centaine des 220 soignants du secteur, médecins, kinés, pharmaciens, infirmières, sages-femmes… Elle s’étend jusqu’au sud du Loir-et-Cher et englobe une partie de la Sologne. Au plus près des gens, l’organisation a porté ses fruits face au Covid en vaccinant 50.000 des 63.000 habitants du territoire. Cette dynamique pluridisciplinaire n’est pas étrangère non plus aux quatre installations récentes dans la région, dont trois médecins.
Le 17 mars 2022, à Laval (Mayenne), l’Association de citoyens contre les déserts médicaux conviera à un débat les candidats à la présidentielle. Elle a reçu un premier accord de principe, celui de l’écologiste Yannick Jadot. Plus d’informations : desertsmedicaux.org, le site de l’Association de citoyens contre les déserts médicaux. Patrick Aufrère, président de l’antenne Allier : 06.68.65.50.85 ; [email protected]
Nathalie Van Praagh