« On a appris que le prolongement de la ligne bleue sera terminé en 2031 ou peut-être plus tard. Comment se fait-il qu’en 1966 on inaugurait 26 nouvelles stations après quatre ans de travaux et qu’aujourd’hui on prenne au minimum sept ans pour construire 5 stations ? Aidez-moi à comprendre. » – Richard Champagne, LaSalle
Publié à 1h34
Mis à jour à 6h00
Vous connaissez la devise des Jeux olympiques ? Plus vite, plus haut, plus fort.
Si on devait s’en inspirer et inventer une devise pour le projet de prolongement de la ligne bleue, ça ressemblerait probablement à : plus long, plus cher, plus tard.
À la mi-juillet, les journalistes Henri Ouellette-Vézina et Philippe Teisceira-Lessard ont rapporté que le projet tant attendu sera « encore plus cher et encore plus en retard 1 ».
On parle d’une livraison au plus tôt en 2031, alors que 2026 avait été évoqué il y a quelques années.
Quant au coût, il est maintenant estimé à 7,6 milliards de dollars.
Que se passe-t-il ? La réponse de la Société de transport de Montréal rappelle ce que chantait Bob Dylan dans les années 1960 : les temps changent.
Le contexte a beaucoup évolué. Même si aujourd’hui on voulait aller à la vitesse d’il y a 60 ans, les normes et les lois qui nous encadrent viennent créer certaines limites qui ne nous permettent pas d’aller aussi vite.
Maha Clour, directrice du bureau de projet
Pendant de longues minutes, Maha Clour et David Chartier, directeur de construction pour le prolongement de la ligne bleue, m’ont expliqué dans le détail ce qui vient aujourd’hui complexifier – et ralentir – la livraison d’un tel projet.
Le premier enjeu est tout particulièrement évident depuis la pandémie de COVID-19 : les conditions du marché ne sont plus les mêmes. Tant pour ce qui est de la pénurie de main-d’œuvre que de la surchauffe dans l’industrie de la construction.
Sans compter le fait qu’on n’octroie plus les contrats de la même façon qu’au début des années 1960.
« On avait plus de flexibilité pour confier certains travaux de gré à gré à certains fournisseurs ou entrepreneurs, dit Maha Clour. Aujourd’hui, on est dans un contexte plus contrôlé. Ce sont tous des éléments qui ont évolué avec le temps pour des raisons très légitimes. »
Tant les techniques utilisées (un exemple : on prend le temps nécessaire pour la cure du béton afin de le rendre plus résistant) que les technologies à implanter bouleversent aussi le cours des choses.
Ainsi, l’implantation d’un nouveau système de contrôle des trains nécessitera, comme dans le cas du REM, toute une série d’essais avant d’accueillir des passagers.
Je dis souvent qu’on n’a jamais eu autant de conduits et de câblage que depuis qu’on est WiFi. C’est-à-dire que toute cette technologie apporte des délais.
David Chartier, directeur de construction pour le prolongement de la ligne bleue
Les normes de sécurité et les normes environnementales n’ont par ailleurs plus rien à voir, on s’en doute, avec ce qui prévalait il y a près de 60 ans.
La perspective, ici aussi, est utile. La Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) a été adoptée en 1979, année où le ministère de l’Environnement a été créé à Québec.
L’impact des changements sur la planification et la mise en œuvre d’un chantier comme le prolongement de la ligne bleue est majeur.
François Pépin, qui a travaillé pendant 34 ans à la STM, avant de présider l’organisme Trajectoire Québec jusqu’en 2022, le confirme.
« J’ai moi-même travaillé dans le tunnel en 1978 comme étudiant pour faire de l’arpentage. Vous aviez une bétonnière et la route au roc… Vous passiez entre le camion et la voûte et il y avait à peu près deux pieds de large. J’avais 23 ans, on était inconscients, mais tout le monde faisait ça à l’époque. Et dans les années 1960, c’était probablement encore pire », dit-il.
PHOTO JEAN-YVES LÉTOURNEAU, ARCHIVES LA PRESSE
Le site de la construction du métro de Montréal, en 1962
L’impact des changements, tant sur les délais que sur les coûts, est évident.
N’oublions pas, par ailleurs, au sujet des coûts, que la méthode de calcul a grandement évolué.
Un changement important s’est produit en 2020, rappelle Florence Junca-Adenot, professeure associée au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM.
« Le Conseil du trésor a exigé, en janvier 2020, que chaque fois que les projets font appel à des fonds publics, ils doivent inclure TOUS les coûts. Y compris le financement, les expropriations, les morceaux du projet qui sont à la charge d’autres – par exemple de la Ville, qui doit réaménager autour de la station –, des réserves pour des imprévus, etc. », explique-t-elle.
Avant, on mettait ABCD dans les coûts du projet. Après janvier 2020, on met ABCDEF. C’est clair qu’on ne peut pas comparer ABCDEF à ABCD.
Florence Junca-Adenot, professeure associée au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM
Parallèlement, bien sûr, il y a les tergiversations des politiciens.
Elles prennent la forme, au Québec, dès qu’il est question du transport collectif, d’une maladie grave à laquelle on n’a jamais trouvé de remède.
Je vous rappelle que le prolongement de la ligne bleue dont on parle actuellement a été évoqué pour la première fois… en 1988 !
« Tout le processus de prise de décision au niveau politique est extrêmement long. On le sait et on le voit », souligne François Pépin.
Il cite à ce sujet un autre exemple récent. « En 2019, la ministre Chantal Rouleau avait parlé du prolongement de la ligne orange vers [la gare ferroviaire] Bois-Franc. On est cinq ans plus tard et il n’y a encore rien qui se passe. »
L’expert n’est pas surpris par les délais constatés pour tous ces projets (il cite aussi l’interminable saga du SRB Pie-IX), étant donné le contexte. Mais il est déçu.
« Pendant ce temps-là, des villes comme Toronto et Vancouver avancent à un bon rythme », fait-il remarquer.
En somme, plus on se compare, plus on se désole.
1. Lisez l’article « Encore plus cher et encore plus en retard »
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