De ce fait, il pouvait seulement ondoyer les enfants, un rite simplifié du baptême. Je ne sais pas pourquoi, mais il a malgré tout décidé de me baptiser et il l’a fait en disant : « Si ce petit garçon pouvait devenir prêtre ! » Lorsque mon parrain m’a raconté cette anecdote avant de mourir, trois ans après mon ordination, j’ai compris que mon désir d’être prêtre était né sur les fonts baptismaux.
L’expérience de la miséricorde
Il faut dire qu’il ne s’était jamais remis de la Seconde Guerre mondiale. Nous avons été placés, mon frère et moi, dans un orphelinat tenu par des religieuses, à Saint-Georges (Ille-et-Vilaine). Nous étions une quantité de gamins, à vivre les uns sur les autres, en autarcie. Cette proximité de vie m’a fait très vite aller à l’essentiel.
J’ai appris à aimer l’autre tel qu’il est, à ressentir ses joies et ses peines. Comme une éponge, j’absorbais les souffrances de mes copains, et elles étaient nombreuses… La nuit, je pleurais dans mon lit, en cachette. Oui, j’étais extrêmement sensible, et je le suis toujours. Aujourd’hui encore, je suis parfois ému au plus profond et jusqu’aux larmes en écoutant des personnes se confier à moi. C’est cela, la miséricorde, il me semble.
• VINCENT M. POUR LA VIE
« La certitude que j’existais pour Dieu »
Je crois qu’il m’a répondu par une forme de présence intérieure. C’était l’année de mes 11 ans, dans la chapelle de l’orphelinat. J’ai été saisi en écoutant une phrase d’Isaïe : « Une femme peut-elle oublier son petit enfant, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas. J’ai gravé ton nom sur la paume de mes mains » (Isaïe 49, 15).
J’ai eu la certitude très personnelle que j’existais pour Dieu, qu’il était là et qu’il m’aimait d’un amour exclusif. Quand je vois des anciens de l’orphelinat, certains me demandent : « Qu’est-ce que les sœurs ont mis dans le bouillon pour que tu croies encore à tout cela ? » Et je réponds : « C’est la digestion qui a été différente, mais j’ai bu le même bouillon ! »
Au petit séminaire, un climat de liberté
À 12 ans, parce que je voulais être prêtre, on m’a envoyé au petit séminaire. Années merveilleuses où je me suis fait de vrais amis. Leur bienveillance m’a beaucoup aidé, car lorsqu’on a souffert très jeune, on s’installe dans une forme de doute sur soi-même. Il y avait un professeur, Bernard Coudray, qui m’impressionnait. Ce prêtre était capitaine de réserve. Or, moi, j’avais la hantise de la guerre. Mais quand il est devenu directeur de foyer, il a impulsé quelque chose de nouveau, un climat de liberté.
Je me suis rapidement senti en confiance avec lui, et il s’est révélé être un guide précieux pour moi. Petit à petit, il m’a permis de faire ce déplacement intérieur entre la foi reçue à l’orphelinat, imposée, et une foi plus personnelle.
Il m’a fait évoluer aussi sur la question du mal, du péché. Quand je lui confiais ce que je sentais de non ajusté dans ma vie, il n’était jamais culpabilisant. Il me posait toujours cette question : « Pourquoi ? Qu’est-ce que tu as cherché en faisant tel acte ? Et ce que tu as cherché, n’y a-t-il pas d’autres chemins pour le trouver sans t’égarer ? »
Sa manière de faire a été décisive pour moi, et m’a servi plus tard dans l’accompagnement des jeunes, puis dans mon ministère de prêtre et d’exorciste pour le diocèse de Coutances (Manche). Dans l’Évangile, le Christ ne condamne jamais le pécheur, mais il regarde toujours ce qu’il y a de bien en lui. On ne sait pas ce que le larron a fait de mal, mais Jésus, lui, a vu le bon : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. »
• VINCENT M. POUR LA VIE
Comment est née l’idée de devenir éducateur
Après mon service militaire, je suis monté à Paris pour me frotter un peu au monde. Être au contact de l’incroyance a été un grand basculement. L’envie d’être prêtre m’a quitté, et j’ai commencé à travailler comme agent hospitalier.
Un jour, j’ai reçu une lettre d’un ancien de l’orphelinat qui était en prison. Il n’avait personne et me demandait si on pouvait s’écrire. On s’est donc mis à correspondre et je lui ai fait passer le certificat d’études. « Pourquoi ne viendrais-tu pas faire l’école à la prison ? », m’a-t-il écrit après.
Les sœurs nous disaient qu’il n’y avait que des bandits et des voyous derrière les barreaux. Mon copain n’était rien de tout cela. L’idée m’est alors venue d’être éducateur. Et c’est ainsi qu’en 1976, après des études d’infirmier que je finançais en enchaînant les petits boulots, je suis entré à Fleury-Mérogis où j’ai été éducateur pendant près de 35 ans.
Rencontre avec la Mission de France
Avec la prison, la question de Dieu est revenue, et le manque aussi. J’ai eu l’intuition que Dieu seul pouvait combler mon manque. Je me suis laissé déplacer par les rencontres des jeunes en prison ou des moines de la Pierre-qui-Vire où j’aimais aller prier. J’ai longtemps cherché en tâtonnant, en goûtant le silence dans les églises.
Puis sur les conseils de Bernard Coudray, je suis allé à un week-end organisé par des prêtres de la Mission de France. J’ai été pris de panique en écoutant le premier témoignage d’un prêtre au travail : il avait fait de grandes études, et il avait tout plaqué pour être ouvrier et habiter dans un bungalow. Ce n’est pas cela que j’étais venu chercher ! J’ai failli partir, mais je suis resté. « Pas comme lui, mais comme ça », me suis-je dit dans la nuit. Cet homme que je ne voulais pas imiter avait révélé en moi ce que je voulais être : un simple prêtre au milieu de tout le monde.
Travailler en prison, une vocation
Travailler en prison, cela n’allait pas de soi pour la Mission de France. Peu avant mon ordination diaconale, j’ai dit à mon évêque : « Ne me dis pas où sont les pauvres, je sais où ils sont car j’en suis un. Laisse-moi rester avec ceux que je connais. »
Nous sommes tous des pauvres, et Jésus a choisi de partager notre pauvreté. Pour moi, la plus grande fête n’est donc pas Pâques, mais Noël. À Noël, Jésus a pris notre chair, il s’est fait proche, et il continue de se faire proche chaque fois qu’une personne a besoin de quelqu’un pour être avec elle.
Dieu est dans la présence discrète, je l’ai découvert en prison. J’allais dans les cellules et j’écoutais les gars pendant des heures pour qu’ils puissent verbaliser leur mal, le mettre à distance, et ainsi avancer et s’en sortir.
J’ai ensuite ouvert un lieu d’accueil à Boulogne (Hauts-de-Seine), puis à Ivry (Val-de-Marne).
Vivre l’Évangile, c’est être présent aux gens
Je crois beaucoup aux petits gestes et aux attentions. Le bien ne fait pas de bruit. Quand j’étais à Fleury, j’ai ainsi bataillé pour monter deux choses qui existent toujours : le SEP 91 (Service écoute prison), une association qui apporte du linge à ceux qui n’ont personne, et l’opération des colis de Noël.
D’ailleurs, pendant 25 ans, chaque nuit de Noël, j’ai sillonné les rues de Paris pour distribuer des colis à ceux qui n’avaient rien. Je n’ai jamais oublié le partage d’une orange avec un clochard sur une bouche de métro. Dans toutes mes missions, j’ai essayé d’être présent aux gens, car c’est cela qui aide vraiment. « Vous rencontrer m’a fait du bien » : j’aimerais tellement que tous les chrétiens puissent entendre une telle parole !
Après avoir été remercié du mont Saint-Michel (Manche), en octobre 2021, je suis allé voir une petite dame qui avait écrit au sanctuaire ; beaucoup de personnes écrivent à saint Michel pour demander protection et réconfort, et je répondais à tous les courriers. Cette demoiselle de 98 ans avait besoin de raconter sa vie. Infirmière puis assistante sociale, elle s’était occupée des enfants en difficulté dans le district de Fougères.
J’ai été bouleversé lorsqu’elle m’a dit avoir bien connu sœur Geneviève de l’orphelinat de Saint-Georges. Mon orphelinat ! J’étais d’autant plus ému que cette sœur m’avait un jour pris à part dans le jardin pour me demander ce que je voulais faire plus tard. En regardant fixement le tas de pommes que nous venions de ramasser, je lui avais répondu : « Je veux être prêtre. » Mystérieux, n’est-ce pas ? Comme quoi, nos vies sont tissées de petites choses qui, un jour, se révèlent fondatrices de nos histoires.
Les étapes de sa vie1949 Naît à Argouges (Manche).1951 Entre à l’orphelinat, à Saint-Georges (Ille-et-Vilaine).1971 Passe le concours d’infirmier puis celui d’éducateur.1976 Devient éducateur à la prison de Fleury-Mérogis (Essonne).1985 Ordonné prêtre de la Mission de France.1994 Publie le Deuxième Père, un prêtre à l’écoute des jeunes (Anne Carrière).1998 Nommé curé de Saint-Michel-sur-Orge puis aumônier des étudiants à Évry.2012 À sa retraite, est nommé chapelain du Mont Saint-Michel (Manche).2014 Toute vie est belle, Henri Gesmier, prêtre des marginaux et des jeunes, d’Antoine Bellier (Salvator).2015 Est nommé exorciste pour le diocèse de Coutances.2021 Quitte le mont Saint-Michel et publie l’Exorcisme… au quotidien, entretiens avec Anne Lécu (Cerf).
Dieu est plus grand que nos péchés« Quelle est-elle cette pauvreté, grâce à laquelle Jésus nous délivre et nous rend riches ? C’est justement sa manière de nous aimer, de se faire proche de nous, tel le bon Samaritain qui s’approche de l’homme laissé à moitié mort sur le bord de la route. Ce qui nous donne la vraie liberté, le vrai salut, le vrai bonheur, c’est son amour de compassion, de tendresse et de partage. La pauvreté du Christ qui nous enrichit, c’est le fait qu’il ait pris chair, qu’il ait assumé nos faiblesses, nos péchés, en nous communiquant la miséricorde infinie de Dieu. La pauvreté du Christ est la plus grande richesse : Jésus est riche de sa confiance sans limite envers le Père, de pouvoir compter sur Lui à tout moment. »Pape François, message pour le carême 2014.