À Strasbourg, le Syndicat de la librairie française et plusieurs professionnels ont haussé le ton, pointant une dégradation rapide de leur situation. Le cabinet Xerfi a dessiné des perspectives peu réjouissantes en 2024 et 2025 pour la librairie indépendante, et en particulier pour les plus petits commerces.
Dès 2023, les librairies « sont passées en territoire négatif, à marge commerciale constante et hors coupe massive dans les dépenses », détaillait ainsi Jérémy Robiolle, directeur du développement de Xerfi, avec un chiffre d’affaires en recul de 1 %. Les établissements moyens (0,4 %) et grands (1,6 %) restent toutefois dans le vert.
Le taux de résultat net serait négatif pour les petites dès 2023 (- 0,5 %), mais les librairies moyennes les rejoindraient dès 2024 (- 0,4 %) avant les grandes, l’année suivante (-0,3 %). Bien entendu, ces taux se creuseraient d’une année à l’autre : en 2025, les petites librairies afficheraient ainsi une perte nette de -3,3 %.
Hachette et Média-Participations à la traine
Des prévisions et projections, certes, que les libraires eux-mêmes relativisent parfois, mais des inquiétudes bien réelles néanmoins. Le SLF a ainsi appelé les éditeurs à se montrer solidaires, en améliorant le taux de remise accordé aux librairies : il devrait démarrer à 36 % pour toutes les librairies indépendantes, assure l’organisation professionnelle, et dépasser les 40 % pour les plus grands points de vente.
« La Loi Lang a donné une responsabilité très importante aux éditeurs [qui fixent le prix de vente du livre, NdR], qu’ils ont tendance à oublier », rappelait ainsi Anne Martelle, la présidente du SLF. Le syndicat pointe en particulier les groupes Hachette et Média-Participations, deux importants groupes qui n’ont pas mis à niveau leur taux de remise, contrairement à « Editis et Madrigall ». « Pour l’instant, ils font la sourde oreille », nous confiait Anne Martelle, quelques jours après l’appel du SLF.
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Contactés, les deux groupes n’ont pas répondu à nos questions. Renaud Lefebvre, directeur général du Syndicat national de l’édition, s’est toutefois exprimé sur le sujet, interrogé par ActuaLitté : « Tout le monde est conscient des enjeux de solidarité au sein de la filière et de l’interdépendance de ses acteurs. Je ne peux pas vous répondre sur le taux de remise, car il s’agit de questions concurrentielles, et il ne peut pas y avoir, dans un syndicat professionnel, une délibération sur une mesure en matière de conditions commerciales. »
Une question d’autant plus délicate que le président du Syndicat national de l’édition, Vincent Montagne, est aussi celui de Média-Participations, l’un des deux groupes mis en cause par le Syndicat de la librairie française…
Un modèle interrogé
Les Rencontres nationales de la librairie ont été traversées par le même courant qui électrise depuis quelques années le secteur de l’édition : la réflexion écologique, qui remet en cause un modèle productiviste installé depuis plusieurs décennies.
Cette prise de conscience, doublée d’une envie de faire bouger les pratiques, débouche sur des initiatives concrètes, comme la recherche action de la trêve des nouveautés. Conçue afin de ralentir le rythme des nouveautés pour des libraires débordés et « questionner notre dépendance à la nouveauté, questionner à qui profite cette dernière », elle a été mise en œuvre par une vingtaine de librairies à ce jour.
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Selon les témoignages recueillis par ActuaLitté, l’expérimentation serait plutôt positive, riche en enseignement. Elle « a au moins le mérite de mettre le doigt sur l’emballement du métier en termes de parutions, sur la nécessité que l’on a de se mettre autour d’une table pour réfléchir à nos pratiques », remarque pour sa part Dominique Maisons, directeur des ventes pour Interforum, la filiale de diffusion-distribution d’Editis.
Toutefois, « la trêve telle qu’elle était menée dans l’association, à mon avis, était quand même un peu aléatoire, car arrêtée sur une suspension totale, sans se poser la question de la validité des titres qui correspondent à l’offre de la librairie sur la période, ce qui me parait dangereux », estime-t-il. Il rappelle par ailleurs que « le libraire a le choix, tout le temps, sur les programmes qu’on lui présente, pas besoin de faire une trêve ».
« On ne reprochera jamais à un libraire d’avoir une vision sur ce qu’est son offre, sa clientèle, et de faire ses choix en fonction », poursuit-il, en précisant qu’Interforum n’applique pas de conditions à l’office : « Nous ne sommes pas très partisans d’aller dans ce sens-là, même si l’on pourrait considérer que cela constituerait une amélioration des conditions commerciales de la librairie : cela mettrait une pression sur ce flux de nouveautés, en incitant éventuellement à en prendre plus pour obtenir sa remise. »
Dominique Wettstein, directeur général de la distribution chez Gallimard et président de Dilicom, partage l’avis de son collègue : « Pour moi, en tant que distributeur, cette trêve change simplement le moment où je vais préparer les commandes, de l’office vers le réassort », explique-t-il à ActuaLitté. « Cela peut être pertinent sur certains titres de fonds, mais sur des titres attendus par les clients, le libraire risque de perdre une vente si l’ouvrage n’est pas disponible. »
Travailler les flux d’ouvrages
Le souci écologique rejoint les préoccupations économiques dans l’amélioration des flux de retour, pour limiter les volumes d’ouvrages en transit et préserver les trésoreries des établissements. Dominique Wettstein y voit un sujet « assez fédérateur : comment est-ce qu’on peut arriver, collectivement, avec de meilleures prévisions de vente, à une meilleure prise en compte de l’impact écologique et économique des retours ? Autrement dit, comment quitter ce taux de retour autour de 20 % pour aller vers une diminution ? »
L’outil Filéas, pour « Fils d’information libraires-éditeurs-auteurs », anciennement nommé Booktracking et développé par le Syndicat national de l’édition, entend apporter une pierre à l’édifice en mettant à disposition des acteurs des données transparentes sur la vente des livres. Promis de longue date, il devrait être testé, en version pilote, à l’automne prochain.
Aux yeux de Dominique Maisons, l’« assainissement » et la « réduction » des flux inutiles, à l’aller comme au retour, « reste le principal levier d’amélioration » de la situation de la librairie, couplé à une augmentation des prix des livres neufs qui fait débat. « Le bon livre, au bon endroit, au bon prix », résume-t-il, « la librairie peut gagner un point de marge avec cette formule ».
La diffusion-distribution, elle aussi sous pression ?
Maillon assez peu connu de la chaine du livre, non dénué d’une certaine opacité quant à ses résultats, car parfois intégré à de grands groupes éditoriaux (Hachette, Editis et Gallimard disposent de leurs propres structures, dont les services sont proposés à d’autres éditeurs), la diffusion-distribution éveille quelques soupçons de la part des autres acteurs de la chaine.
Au sein d’une économie du flux, qui s’appuie sur le nombre de références mises en vente et leur transport, le diffuseur-distributeur semble le gagnant d’un système où la surproduction est de mise. « Cessons de préjuger que des trésors de guerre existent », affirmait toutefois Renaud Lefebvre dans une table ronde sur la partage de la valeur, au moment d’aborder la marge de la diffusion-distribution.
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Interrogé sur ce partage de la valeur, Dominique Wettstein passe son tour, mais indique néanmoins que l’évolution à la hausse des différents postes de charge « est réelle pour les libraires comme elle l’est pour les autres activités de la chaine du livre ». Dominique Maisons abonde également : « Nous avons les mêmes problèmes de rentabilité que ceux évoqués par la librairie. Il ne pourra pas y avoir de baguette magique sur les conditions commerciales, nous n’en avons pas les moyens », assure-t-il.
Photographie : illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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