Il m’a répondu : « mon petit garçon
Et chef de presse des Bleus, alors ?
à la demande de Michel Hidalgo, créer et assumer la fonction de chef de presse de l’équipe de France. C’est une fonction qui existait déjà dans toutes les grandes fédérations, en Espagne, en Italie, mais comme dans beaucoup de domaines, on était à la traîne. Il a donc été convenu, avant la Coupe du monde 82 que j’ai encore suivie pour le compte de L’Equipe, que dès janvier 83, j’intégrerai la Fédération pour ces quatre missions.
Guy Jeffroy
Entre le sacre à l’Euro 84 et le second titre mondial en 2018, votre métier a-t-il changé ? Est-ce le jour et la nuit ?
On me dit souvent que j’ai connu plusieurs évolutions dans la fonction, mais ce ne sont pas des évolutions, ce sont des révolutions ! Rien qu’entre 2004, quand j’ai quitté l’équipe de France après l’Euro portugais parce que Domenech a changé tout son staff, et 2010 où j’ai repris à la demande de Laurent Blanc, après quatre ans de pseudo retraite, j’ai pris de plein fouet les réseaux sociaux et les chaînes d’info en continu. La conjugaison de ces deux irruptions dans la vie de l’équipe de France comme dans la vie tout court, avait créé des bouleversements, avait modifié tous les comportements. On a été obligé de s’adapter.
On est en effet très loin de ce que vous avez connu il y a dix ans, vingt ans, trente ans.
Les conférences de presse se passaient dans le grand salon de Clairefontaine elles duraient 45 minutes, voire une heure. Et il y avait sept ou huit joueurs qui venaient.
Gabriel Bouys
Quand tu vois la solennité de la conférence de presse aujourd’hui : le mec est tout seul sur la tribune Quinze caméras On a changé de monde deux ou trois fois.
je sais bien que l’entretien individuel, en tête à tête, est la seule manière de voir ce que le mec a dans le vente et d’obtenir un échange fouillé et sincère.
Quelle est la hantise du chef de presse des Bleus : une sale info qui sort, une polémique ?
s’il a une info Par exemple, cette affaire Hamraoui avec la fille qui est soupçonnée pour l’heure d’avoir commandité l’affaire. Les écoutes ont permis d’établir qu’elle avait une personnalité complexe et prenait parfois des voix d’hommes pour essayer d’avoir des relations coquines par téléphone. Qu’est ce que ça vient faire là dedans ? Je veux dire que si une fille du PSG a commandité l’attaque d’une autre fille du PSG et compagnie. OK, ça c’est de l’info. Mais après, on dérive.
Franck Fife
La hantise, c’est donc le grand déballage ?
Voilà, c’est le grand déballage. Et ce qui n’a pas de raison d’être à ce moment là.
Et qui pourrit potentiellement le groupe ?
Là encore, ça va dépendre de la capacité du coach, du sélectionneur. J’ai pris cette comparaison dans mon bouquin : il a devant lui un tableau de bord avec une centaine de clignotants. Tant que les voyants sont au vert, tout va bien. Quand un voyant commence à clignoter orange, il faut qu’il intervienne et qu’il trouve les bons mots, au bon moment, avec les bonnes personnes. Et là, il va étouffer l’affaire. S’il ne le détecte pas ou s’il laisse le clignotant orange passer au rouge, comme disait Aimé Jacquet « grand danger » (rires).
Si Didier n’a pas ce bon réflexe de prendre ça à la légère, peut-être qu’on n’est jamais champions du monde.
Arnaud Journois
Vous avez un exemple ?
Le coup de l’extincteur. La nuit, après France-Argentine (2018), ils ont eu quartier libre et ils sont rentrés à 3h du matin. Il y a eu « des bagarres » dans les couloirs, des polochons et tout. Puis Adil Rami a pris un extincteur, pour asperger la troupe. Ca déclenche l’alarme. Les camions de pompiers arrivent. Évacuation générale. On se retrouve tous en short et en claquettes à 4h du matin. J’ai ma chambre à côté de Didider Deschamps. Je suis descendu avec lui par l’escalier. Quand il est sorti, il a compris assez vite de quoi il s’agissait. Il était en colère, il l’a pas dit, mais je l’ai senti dans ses yeux. Et il a eu cette intelligence, parce qu’il a ce pragmatisme et ce sixième sens. En une fraction de seconde, il s’est dit : « J’ai été joueur aussi. Des conneries, j’en ai faites. Tout marche bien. On vient de battre l’Argentine. On est peut être sur une voie royale. Si je leur rentre dedans, je vais peut-être casser quelque chose ». Il a compris ça et c’est passé comme une lettre à la poste. Le lendemain, Adil Rami au petit déjeuner, a dit : « Bon, les mecs, c’est moi qui ai déconné. Excusez-moi ». C’était fini. Et si Didier n’a pas ce bon réflexe de prendre ça à la légère, peut-être qu’on n’est jamais champion du monde.
Quel a été le moment le plus embarrassant de votre carrière, en tant que chef de presse ?
C’est l’Euro 2000 à coup sûr, quand je suis pris dans un engrenage maléfique et perturbant. C’est à dire qu’à l’occasion d’un match à Ostende, il y avait deux joueurs qui étaient programmés pour aller à la presse : Deschamps, le capitaine, et Thuram. Et avant de partir en car, Didier vient me voir et me dit : « Je ne vais pas à la presse et je n’irai plus ». Il s’estimait abusivement victime d’une campagne de presse orchestrée par l’Equipe, qui disait : Deschamps, ça va, mais peut être qu’il serait temps de voir Vieira.
A ce moment là Une fois de plus, on se moque de nous. Certains ont fait 500 kilomètres pour venir écouter le capitaine de l’équipe de France. Il nous fait faux bond. Je vous propose de boycotter la conférence de presse de Roger Lemerre qui doit arriver ».
Il a fallu que j’aille voir Roger Lemerre, qui m’a dit : « Regarde moi bien. Dans ces conditions, moi non plus je n’irai pas ! Ce lien qu’ils revendiquent en étant entre le public et l’équipe de France, c’est eux qui l’ont rompu. Et pour moi, il est rompu définitivement. Plus jamais je n’irai à une conférence de presse ». Donc j’ai averti le président Simonet et le directeur général de la Fédé, à Paris. Et ça n’a pas manqué, dans l’après midi, Roger a été obligé de baisser pavillon. Mais de ce jour, de l’Euro 2000 à la Coupe du monde 2002, il n’a plus jamais donné une interview particulière. Il a eu le prix citron de France Football, trois ans de suite. C’est certainement le passage le plus délicat que j’ai eu à gérer. Ça avait pris une tournure politique et ça a dépassé le cadre de l’équipe de France. C’était devenu un boulet monumental.
Franck Fife
Est-ce un soulagement de ne pas avoir eu à gérer Knysna en 2010 ?
Ce serait incompréhensible et malhonnête de dire que j’aurais aimé y être. D’abord, travailler avec avec Raymond (Domenech) ne devait pas être de tout repos. Et puis, il y a eu toutes ces affaires qui ont découlé de cette déliquescence de l’autorité autour de l’équipe de France, qu’il s’agisse des hommes, du sélectionneur ou du président Escalettes, qui a eu l’honnêteté de reconnaître qu’il n’était pas taillé pour gérer ça, que toute sa vie de dirigeant bénévole ne l’avait pas préparé à cette violence (.) Ce que j’ai dit, et que je persiste à dire, c’est que je n’aurais pas laissé Domenech lire le communiqué. C’était aux joueurs de le lire, à Evra le capitaine de le faire. Et s’il y avait défaillance du leader du mouvement, en l’occurrence le capitaine de l’équipe de France, c’était au responsable des relations médias. Et en tout cas, ne pas laisser le sélectionneur, dont le crédit était déjà largement entamé, monter au front. Voilà, c’est tout ce que je peux dire parce qu’il faut être très, très modeste et très humble.
Qui ont été les bons clients avec les médias, ces dernières années ?
parce qu’il a eu une réponse quand même. C’est du grand art. Il y en a un qui n’avait pas beaucoup d’appétit pour les médias, mais qui était très bon aussi, dans un genre plus plus léger, plus déconneur. C’est Adil Rami. Il nous a fait des numéros. Et il y a un qui est resté, avec la bénédiction de Didier et je n’ai pas toujours compris pourquoi, pendant plus d’un an sans parler aux médias, c’est Pogba. Quand il a voulu, quand il a daigné revenir pendant la Coupe du monde 2018, avant le début de l’épreuve, il a été remarquable. A l’aise, pertinent, drôle et sérieux à la fois.
Philippe Renault
Certains étaient-ils ingérables, devant la presse ?
Adil Rami, par son grain de folie ou ses neurones qui s’entrechoquent (sourire). En Russie, il a fait une prestation unanimement appréciée des confrères. Je ne sais pas qui passait après lui, mais il s’est planqué dans les coulisses du lieu, de l’amphithéâtre, et il intervenait. Il avait trouvé un micro, je ne sais pas comment, mais deux ou trois fois il est intervenu. Pendant que l’autre parlait, quoi. Il a fait le clown. C’est un gars adorable, mais alors tu sais pas d’où ça peut venir et comment ça peut partir.
« Qu’est ce que vous faites là ? » Il dit : « Je me suis perdu et quand j’ai entendu que vous rentriez au vestiaire, je me suis mis là pour ne pas vous gêner. En attendant que vous partiez. Je serais parti après vous. »
Une lettre hallucinante qui n’a convaincu personne. Cela ne tenait pas la route. On a demandé au Parisien que pendant 48h, il ne mette pas les pieds en conférence de presse. Il a pu continuer à travailler quand même.
Franck Fife
- Propos recueillis par Bertrand Queneutte