« Il faut parfois de la violence, y compris au cinéma, pour faire bouger les choses »


Christine Angot, à Paris, le 15 mars 2024. LÉA CRESPI/PASCO POUR « LE MONDE » Après trente ans d’une carrière littéraire en cours, hantée par la figure de l’inceste dont elle fut victime adolescente, Christine Angot s’en remet au cinéma, avec un documentaire intime qui passe sa famille au crible de ce crime et de sa douloureuse explicitation. Violent, injuste, torturé, in fine bouleversant, Une famille révèle Angot à la brûlure et à la grâce de l’incarnation.

Votre film est tellement explosif qu’on se pose fortement la question de sa concertation et donc de son écriture. Comment l’avez-vous pensé ?

La toute première chose, c’est le retour à Strasbourg – la ville où j’étais venue à 13 ans avec ma mère pour découvrir mon père –, à l’occasion de la promotion de mon livre Le Voyage dans l’Est [Flammarion, 2021]. J’avais refusé pendant quinze ans d’y retourner. Là, j’accepte, et je me dis immédiatement que je ne dois pas y aller seule. Qu’il faut emmener une caméra. C’est une évidence. D’ailleurs, il y a quelques années, j’avais déjà pensé que cette histoire-là, de l’inceste, n’était pas vue. Elle est traitée, commentée, racontée, scénarisée, mais elle n’est pas vue. Lire aussi | Article réservé à nos abonnés « Une famille », le « home movie » fracasseur de Christine Angot aux sources de son inceste Ajouter à vos sélections

« Il faut parfois de la violence, y compris au cinéma, pour faire bouger les choses »

L’idée était-elle d’emporter une caméra avec l’intention, déjà, d’y filmer la scène de la rencontre avec la femme de votre père ?

Non. Je n’y pense pas. C’est pour ne pas être seule à Strasbourg. Je voulais que quelqu’un d’autre voie en même temps que moi. J’ai donc demandé à la cheffe opératrice Caroline Champetier de m’y accompagner. A priori, pour y faire un documentaire un peu classique sur la tournée d’un écrivain, avec une voix off qui en dirait les enjeux. Je m’en serais sûrement lassée assez vite. Un matin, nous prévoyons de faire quelques plans de la ville et du Parlement européen, puis nous allons devant cette maison, près de laquelle habite toujours la femme de mon père, pour y faire quelques plans. Cette femme, je l’ai connue tardivement, à 28 ans, avec ses enfants, mes frère et sœur, parce que mon père n’a pas voulu, pendant très longtemps, que je connaisse sa famille. Je l’ai vue quelquefois, mais dès lors que j’ai commencé à être publiée, elle n’a plus voulu répondre à mes sollicitations. Donc, je vous le jure, le taxi avait pour consigne de nous attendre cinq minutes, j’étais sans illusions et, là, j’appuie malgré tout sur la sonnette, et la porte s’ouvre.

Elle s’oppose physiquement à cette intrusion et au fait d’être filmée, vous forcez l’entrée, et la confrontation a lieu. Ce que vous tentez de lui extorquer, en vérité, ce sont les raisons de son silence. Ne pensez-vous pas, toutefois, qu’on doive vivre, chacun de nous, avec l’idée qu’autrui puisse n’être pas concerné par notre malheur ?

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