Les Trans Musicales de Rennes ont souri à Zaho de Sagazan. Au propre comme au figuré, tant l’accueil unanime du public massé dans la petite salle de l’Aire Libre cinq soirs durant sembla confirmer les attentes placées depuis quelques mois dans cette jeune promesse d’à peine vingt-deux ans. Révélée cette année par
une poignée de titres magnétiques, la chanteuse et pianiste de Saint-Nazaire a ainsi dévoilé sur scène une sensibilité saisissante dans le cadre de la création annuelle du festival breton.
de votre profil et de vos centres d’intérêt.
Gérer mes choix
J’autorise
Vous avez dévoilé ce mois-ci un tout nouveau live aux Trans Musicales… Que retirez-vous de cette expérience ?
est aussi le producteur de mon album. C’est aussi un live est un peu particulier car les synthés modulaires qu’ils utilisent apportent beaucoup d’impro donc on n’est jamais sûrs de rien. Il y a donc une vraie création en direct, et c’est pour ça que j’ai besoin de gens qui ont la même sensibilité que moi.
Vous expliquez avoir pu offrir un débouché à votre hyper sensibilité grâce à l’écriture, à la composition… Quand a eu lieu ce déclic ?
Ce fut en réalité une prise de conscience assez lente. Dès que je me suis mise au piano, je me suis rendu compte que j’avais une envie de crier, un vrai besoin. Il y a quelque chose dans le fait de chanter qui est très physique et qui est très agréable quand tu ne te sens pas bien dans ton corps et dans ta tête. Je me suis rendu compte très vite que ce serait très thérapeutique. Une fois que j’ai compris ce côté viscéral, il y a tout ce rapport aux mots et aux chansons, ce rapport au fait de raconter des histoires et raconter ce que j’ai dans la tête, et là ça m’a pris beaucoup plus de temps pour mettre des mots sur les choses. Il y a plein d’étapes, le fait de mettre les mots pour soi ce qui fait beaucoup de bien, et puis il y a ensuite le fait de dire ces mots devant des gens et de voir que ça leur fait du bien. J’ai vite compris que ça allait être important pour moi.
Vous faites découvrir votre musique durant vos concerts mais vous vous découvrez également vous-même, vous précédez vos chansons de vos histoires de vie, vous vous racontez en tant que personne…
Oui, et pour plein de raisons différentes. Déjà, cela me permet de casser un peu le mur qu’il y a entre le public et moi, car je ne l’aime pas du tout. Je n’ai pas du tout envie de me la jouer resta mystérieuse parce c’est pas du tout ce que je suis. Je suis quelqu’un qui a toujours aimé parler et quelquefois, en quelques phrases, on peut comprendre totalement la chanson donc c’est important. Et puis mon live est un peu dur à digérer car il est assez sombre, donc je trouve ça bien de ramener un peu de soleil et de vulnérabilité en parlant et en faisant des petites blagues. Ça m’évite d’avoir l’impression d’être une bête de foire et donc ça me plaît.
de votre profil et de vos centres d’intérêt.
Gérer mes choix
J’autorise
Qu’est-ce qu’une bonne chanson selon vous ?
Une bonne chanson pour moi, c’est une chanson qui te fait voyager en trois minutes. C’est un peu le pouvoir d’une chanson que de pouvoir donner des images, des sensations, et te faire oublier le monde autour. Il y a tellement de bonnes chansons différentes, mais je pense que c’est surtout le fait de mettre des mots sur des émotions et de mettre ces mots sur des choses complexes, mais avec très peu de mots. C’est ça qui m’a rendu le plus dingue quand j’ai découvert la chanson française, de voir comme Barbara pouvait mettre des mots sur une sensation que je connaissais et en quatre phrases, un refrain, elle expliquait tout ça, et ça c’est complètement fou.
Vous êtes loin de rester statique sur scène, votre corps sur certains titres exprime autant que votre voix…
Je crois que ce que je recherche le plus dans le corps, c’est le lâcher prise. J’ai très longtemps eu du mal à lâcher prise. J’ai toujours été derrière mon piano et j’ai découvert il y a peu de temps le plaisir d’être avec juste un micro et de pouvoir bouger ton corps comme tu veux. C’est ce que je fais à la fin du live en essayant de m’oublier et je trouve ça très important. Le corps, c’est autre chose que l’esprit et j’aime me lâcher, je trouve ça très agréable mais aussi très thérapeutique.
Vous dédiez d’ailleurs un titre à votre corps, que vous avez fini par remercier après l’avoir longtemps honni…
Oui, complètement. Mon rapport au corps est très compliqué depuis que je suis jeune. J’ai pris énormément de kilos pendant un an et demi lorsque j’ai arrêté la danse, et mon corps s’est transformé dans un sens qui ne m’a pas plus du tout. Je n’ai vraiment pas été tendre avec lui et pourtant, j’ai réalisé plus tard que mon corps était quelque chose qui marche très bien pour ma part, et ça m’a rendu hyper triste quand je me suis rendu compte que j’étais quelqu’un de méchante avec ce corps. J’avais tendance à le haïr, à fumer des joints et à boire pour l’oublier, alors que j’aime maintenant faire du bien à ce corps qui le mérite vraiment. Il n’y a rien de plus beau qu’un corps et lorsqu’il ne marche pas, il se bat pour marcher. Sur le plan philosophique, je trouve ça très beau.
Zaho de Sagazan le 09 décembre 2022 aux Trans Musicales de Rennes.
Ghislain Chantepie
Votre écriture et votre voix sont le cœur de votre composition, mais la musique électronique l’accompagne aussi régulièrement… Comment avez-vous rencontré ce répertoire ?
D’abord par les oreilles, en découvrant à l’âge de 15 ans
Koudlam qui est un artiste que j’aime énormément. Et là, un monde s’est ouvert à moi. J’ai pris beaucoup de temps à rentrer dedans parce qu’il y a plein de facettes et qu’à ce moment-là, j’écoutais de la musique électronique mais je n’en faisais pas. Je faisais des chansons derrière mon piano et c’était très bien comme ça, je voulais être Barbara, je voulais faire du piano-voix et puis c’est tout (rires). J’ai découvert ensuite, via Tom et Alexis, toutes les machines qu’il y avait en studio, les Moog, les Korg MS-20… On a mis beaucoup de temps en passant par mille sortes d’arrangements mais petit à petit, j’ai découvert ce rapport au son, aux textures, et ça a été un kif absolu. J’aime l’idée de mélanger tous ces genres. On a beaucoup de thérémine par exemple, qui est plutôt un instrument de chanson, mais en même temps je trouve qu’il se marie très bien aux textures et aux basses. Mélanger plein de choses, trouver un juste milieu entre chanson et électronique, c’était très intéressant.
Vous dédiez l’une de vos chansons à la tristesse, à qui vous dites bonjour naturellement…
L’histoire de cette chanson est très drôle, je l’ai écrite en une journée et je l’adore. Je commence comme quelqu’un qui est très confiant, qui contrôle tout, et qui regarde la tristesse de haut et qui l’emmerde. Petit à petit pourtant, Tristesse prend de la place et j’avoue à tout le monde que Tristesse est peut-être plus forte que je ne le pensais. Et à la fin, c’est Tristesse qui prend totalement le dessus et c’est elle qui gagne. J’ai écrit cette chanson avec cette idée que je contrôle bien mes sentiments, et je me suis rendu compte au fil de l’écriture que ce n’était du tout le cas. J’ai résolu une sorte d’équation en écrivant cette chanson, j’ai compris quelque chose sur moi-même auquel je ne m’attendais pas. La chanson prend parfois le dessus et c’est vraiment très intéressant.
Il est aussi beaucoup question d’amour dans votre composition, qu’il soit désiré, fantasmé, ou perdu… Pourquoi ce thème est-il aussi central ?
Je ne sais pas. Je me revois il y a cinq ans lorsque j’imaginais mon premier album et je ne me serais jamais imaginée qu’il soit autant question d’amour. Parce qu’à l’inverse, dans la vraie vie, il n’est pas du tout là, je ne vis aucune histoire d’amour depuis mes 22 ans, ça commence d’ailleurs à m’emmerder un peu (rires). Forcément, je ressens beaucoup d’amour mais il n’est pas romantique aujourd’hui, et je pense que c’est parce que je ne le vis pas qu’il est aussi présent paradoxalement. J’aime parler des choses que je ne connais pas, c’est en écrivant des chansons que je comprends un peu mieux les choses, et l’amour étant omniprésent dans notre société, j’aime essayer de comprendre les gens autour de moi qui vivent cela. Je pense que c’est dans l’amour que les humains sont les plus étonnants, je trouve ça très drôle, je le fantasme beaucoup aussi donc je vais parler autant d’amour fantasmé que de l’amour déraison.
de votre profil et de vos centres d’intérêt.
Gérer mes choix
J’autorise
L’amour peut aussi être un prétexte, une espérance derrière laquelle se cache le pire comme dans votre dernier titre Les Dormantes…
L’histoire de cette chanson n’est pas très drôle. C’est l’histoire de ma meilleure amie qui, à quinze ans, a découvert l’amour ou plutôt ce qu’on croyait en être. La première année était super avec un mec qu’elle pensait fantastique, puis sa relation est devenue violente aussi bien sur le plan psychologique que physique. On était très jeunes à l’époque, et j’étais le premier témoin de ce qui se passait. Elle s’en est sortie heureusement, et on en est sorties bouleversées toutes les deux. Quelque chose de très violent et d’invraisemblable s’est passé, c’était avant #metoo et c’est la première forme de violence que j’ai connue.
On en a parlé ensemble bien sûr, mais comme d’habitude, j’ai écrit une chanson sur cette histoire pour mieux la comprendre. C’est une chanson que j’ai pris beaucoup de temps à écrire, et j’ai eu la chance de pouvoir l’écrire avec mon amie. Ça a été un moment merveilleux parce que c’est la première fois qu’on a pu mettre des mots sur cette histoire sans trop de gravité car l’écriture a un côté ludique également. Je sais qu’elle est très heureuse que cette chanson soit sortie, qu’elle la touche beaucoup, et je suis contente qu’elle parle à d’autres même si c’est triste aussi en un sens. Je pense que c’est la chanson qui m’a apprise le plus de choses, qui m’a appris à réaliser le plus de choses de toutes les chansons que j’ai écrites jusqu’à présent.
En concert : le 22 janvier 2023 à l’Hyper Weekend Festival de Radio France (Paris)
Spéciales FIP
Écouter plus tard
écouter
1h 58