Elles se sont fait dérober les économies de toute une vie : la galère de deux Cantaliennes après une arnaque sur Int...


La liste court sur deux pages, entre les mains d’Alain Maestri-Pieri, de l’UFC-Que Choisir, à Aurillac. Quelques cases alignées, un nom, un prénom et un préjudice de plusieurs milliers d’euros, presque à tous les coups. La dernière colonne, « suite », représentant les remboursements, est presque désespérément vide, sauf dans un cas.

000 € dérobés, en partie récupérés

Retour en février 2021 : une dame met en vente des meubles sur Leboncoin. « Une personne l’a contactée et lui disait qu’il les prenait, sans négocier, mais qu’il souhaitait payer avec PayPal. Elle n’avait pas de compte, et la personne l’a guidée vers un faux site, où elle a rentré ses identifiants. »

Elles se sont fait dérober les économies de toute une vie : la galère de deux Cantaliennes après une arnaque sur Int...

Fausses annonces, arnaques à l’amour, piratage de données : comment se protéger face aux cyberescroqueries dans le Cantal ?

Le lendemain, c’est un massacre : ses comptes sont vidés, comme ceux de ses enfants pour qui elle avait procuration. Sa chance : la plainte est immédiate et la banque parvient à faire un recall, littéralement rappel, d’une partie des fonds, environ 32.000 €. La procédure n’est pas évidente à mener jusqu’au bout : il faut que la banque où l’argent est arrivé accepte, et il faut qu’il soit encore sur le compte. En clair : il faut agir vite, et que l’établissement soit coopératif, ce qui n’est pas automatique.

100 € volés

Cela ne se passe pas toujours aussi bien. À Aurillac, Martine a mis ses skis en vente, le 4 novembre, sur le même site d’annonces en ligne :

« J’ai reçu un mail me demandant si mes skis étaient toujours disponibles, explique-t-elle. On me dit que pour payer, il faut passer par le système de paiement sécurisé du site, j’y vais de bonne foi et je remplis ce qu’il y a à remplir. »

Parmi les informations demandées, il y a les codes pour accéder à ses comptes en ligne : la sanction est immédiate. « Je n’ai pas été sur mon portable de la journée, et, le soir, la banque m’appelle en me disant d’aller tout de suite à la gendarmerie. Ils m’ont dit : “c’est comme si vous aviez donné votre porte-monnaie…” » Ses comptes ont, là aussi, été vidés, comme ceux de sa maman pour qui elle a procuration, pour un total de 9.100 €. l’argent n’est pas récupéré.

« Il s’agit d’une forte négligence et d’un manque de vigilance de votre part »

celle-ci refuse :

« À la lecture des faits, je relève que vous avez consenti à l’ensemble des requêtes émanant de votre interlocuteur qui était en réalité un habile malfaisant. Or, en lui donnant des informations confidentielles , vous avez en quelque sorte, armé le bras de cet escroc. Il s’agit d’une forte négligence et d’un manque de vigilance de votre part. »

Pas de remboursement

Normalement, la banque doit rembourser comme le décrit l’article L133-18 du code monétaire et financier. Sauf que l’article L133-16 de ce même code explique que le client doit prendre « toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses données de sécurité personnalisées. » C’est sur ce levier que les banques agissent, et la jurisprudence a évolué dans ce sens : si la banque parvient à démontrer une « négligence grave », « à un niveau de vigilance normal » de l’utilisateur, elles peuvent ne pas avoir à rembourser.

C’est ce qui motive le refus des banques dans plusieurs dossiers, dont celui de Martine. La Banque Populaire Auvergne-Rhône-Alpes indique ainsi, au sujet de ce cas bien précis : « Les textes ne s’appliquent pas car il ne s’agit pas d’une fraude mais bien d’une escroquerie. Nous considérons que la cliente a fait preuve de négligence et d’un manque de vigilance, qui a amené à cette situation, dont la banque ne peut être tenue responsable et qui ne met nullement en cause nos outils de paiement. Nous comprenons son insatisfaction mais, pour autant au regard des faits, nous n’avons pas pu accéder à sa demande de remboursement. »

300 € proposés

La banque insiste par ailleurs sur la prévention qu’elle fait, et renvoie vers une page dédiée, sur son site Internet. Dans le courrier de refus adressé à sa cliente, la banque indiquait également que des messages d’alertes étaient affichés, « sur notre site web, et notre application mobile ».

Le médiateur des banques a été saisi, mais « il nous a proposés 300 € pour régler le litige, explique Thierry Coste, président de la CLCV à Aurillac. Où est la cohérence ? »

« Je n’ai plus une thune »

Le duo regarde pour aller en justice, fait un dossier d’aide juridictionnelle, pour porter l’affaire devant les tribunaux. Même combat du côté de l’UFC-Que Choisir, pour tenter de récupérer les 12.000 € restants. Pas simple : « C’est le pot de fer contre le pot de terre, regrette Jean-Claude Maronne, à l’UFC. Ce sont des démarches qui prennent du temps, il faut un avocat… C’est extrêmement compliqué. ». Dans les deux cas, les sites Leboncoin et PayPal ont répondu qu’ils étaient étrangers à l’arnaque, le premier faisant de la prévention face aux arnaques.

La conséquence, « c’est que je n’ai plus une thune », soupire Martine, qui vit sur sa retraite. La leçon, c’est que « je n’étais pas préparée à toutes ces questions. Aujourd’hui, on vit dans un monde où il faut se méfier de tout. » Pourtant, elle n’est pas étrangère à Internet, y va sur son téléphone portable, sait s’en servir.

« Aujourd’hui, ce type d’escroquerie est devenue courante, et pas uniquement dans le Cantal, soupire Thierry Coste, membre des instances nationales de la CLCV. Derrière, les banques ne remboursent pas, c’est la croix et la bannière. » « Les victimes sont des gens comme vous et moi, continue Alain Maestri-Pieri. Ils pensent que c’est sécurisé, mais ensuite, c’est une catastrophe… »

La prévention avant tout

et il n’y a aujourd’hui qu’un seul moyen efficace de lutter face à ces arnaques : la prévention. Si le Cantal reste éloigné d’une partie de la délinquance des grandes villes, les Cantaliens sont, sur Internet, concernés comme tous les autres par les risques d’arnaques. Avec des conséquences parfois terribles.

« Il est très compliqué de remonter jusqu’à l’auteur. Typiquement, quand nous faisons des réquisitions bancaires ou téléphoniques, nous arrivons très vite soit à l’étranger, soit vers des usurpations d’identité », explique Paolo Giambiasi, procureur de la République à Aurillac.

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Résultat, « cela nous prend du temps, parce qu’à chaque fois on va entendre la personne dont l’identité a été usurpée, on va mobiliser parfois plusieurs services d’enquête. Mais cela ne va pas nécessairement aboutir. »

De fait, les taux d’élucidation sont faméliques, autour de 4 %. Néanmoins, il reste utile de porter plainte estime le parquet : « Cela a une utilité, déjà parce que, parfois, nous arrivons à remonter jusqu’à l’auteur. Cela va aussi permettre à un certain nombre d’offices centralisés, en France, de faire des recoupements, de chercher des modes opératoires et de faire déboucher l’affaire. »

À Aurillac, les trois magistrats du parquet gèrent des arnaques que les hasards d’Internet ont fait tomber dans le Cantal, quand les voisins corréziens font de même… alors qu’il peut s’agir des mêmes auteurs. « Il y a plusieurs niveaux d’intervention, nuance Paolo Giambiasi. Il y a le parquet d’Aurillac, mais on peut remonter à la Jirs (juridictions interrégionales spécialisées), à Lyon, qui a une compétence éco-financière, ou la Junalco (juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée, créée en 2019, auprès du parquet de Paris), qui peut rapprocher des services d’enquête. Il y a une progression dans la réponse. »

Pierre Chambaud