Elon Musk, la grande enquête (2/3) : le pirate de la Tech


Chapitre 3 : Le pirate

Et tout à coup le ciel de Boca Chica Village, dans le comté de Cameron, non loin de la frontière mexicaine, s’est embrasé. Nous sommes en décembre 2020, et les représentants de l’administration texane n’ont qu’à lever la tête pour comprendre qu’Elon Musk, lassé de leurs atermoiements, a tout simplement décidé de se passer de leur autorisation pour tester le Starship sur un vol à 10 kilomètres d’altitude. « Ils l’ont tout de même rappelé à l’ordre en lui demandant, la prochaine fois, de les prévenir. avant ! », raconte Arnaud Saint-Martin.

Narguer, mordre la ligne jaune, défier les lois. « En les mettant devant le fait accompli, Musk pousse en permanence les autorités à accélérer pour qu’elles se calent sur son rythme à lui », poursuit le sociologue. Une stratégie borderline tout en contrôle que l’on retrouve à Grünheide, près de Berlin, où Tesla est en train de construire une gigafactory, une usine géante. Les travaux ont démarré bien avant que le Land ne délivre les autorisations nécessaires.

Elon Musk, la grande enquête (2/3) : le pirate de la Tech

 

« En les mettant devant le fait accompli, Musk pousse en permanence les autorités à accélérer pour qu’elles se calent sur son rythme à lui »Un jeu dangereux ? « Il y avait un risque, mais il fallait aller vite. Au cas où on nous aurait demandé de tout démolir, on avait tout de même provisionné plusieurs dizaines de millions d’euros », confie un cadre de la marque californienne. Grand prince, Musk ? Si vous posez la question à Greg Wyler, c’est plutôt l’adjectif « fourbe » qui lui viendra assurément à l’esprit.

Cet entrepreneur de la Silicon Valley avait exposé dans les années 2000 à Musk son projet de constellation satellitaire visant à apporter l’Internet dans les endroits les plus reculés de la planète. Les deux hommes ont le même âge et la même trajectoire. Ils sympathisent et décident de s’associer.

Mais, selon Wyler, Musk en aurait profité pour lui pomper l’idée et travailler en parallèle sur son propre projet de constellation, Starlink. Poussé vers la sortie, Wyler créera aussi la sienne, OneWeb, mais avec nettement moins de succès. 

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De nombreuses rumeurs de plagiats flottent autour de la statue du sulfureux milliardaire. Exemple avec l’hyperloop, ce mode de transport ultrarapide de capsules enfermées au sein de gigantesques tubes. « En 2012, Musk rencontre les dirigeants d’une start-up, ET3, qui a déjà déposé des brevets autour de cette technologie.

Ils s’imaginent alors que le milliardaire va les aider à industrialiser leur projet. Las, un an plus tard, quand Musk publie son premier document détaillant le projet, ils comprennent qu’il s’est largement inspiré du leur », raconte ainsi Sébastien Gendron, cofondateur de TransPod, une start-up travaillant sur la technologie de l’hyperloop. Quitte à faire croire au monde entier que c’est lui qui l’a imaginé.

Un mythe, forcément, ça s’entretient. 

Chapitre 4 : Le déconstructeur de génie

Si l’économiste Joseph Schumpeter était encore de ce monde, nul doute qu’il aurait fait d’Elon Musk son héros. Un terrain d’étude idoine pour le père de la destruction créatrice. Le patron de Tesla n’est pas un Einstein des temps modernes.

Rien à voir non plus avec un Benjamin Franklin ou un Thomas Edison, hissés tous les deux au panthéon des génies par Musk lui-même. Non, le tycoon américain de la Silicon Valley est un « déconstructeur » hors pair. Un ingénieur génial.

Sa méthode ? Partir du besoin auquel l’objet répond et de la fonction qu’il remplit pour le réinventer. « Sa voiture Tesla, c’est un ordinateur avec quatre roues », plaisante Philippe Baptiste, président du Cnes. Une révolution schumpétérienne qui balaie sur son passage toutes les certitudes, croyances et pratiques héritées du passé.

Pour mettre en musique sa méthode, Musk s’appuie sur trois ressorts : une intégration verticale poussée à l’extrême, une rapidité d’exécution et une acceptation de l’échec comme moteur de progrès. Le tout sur fond de minimisation des coûts. 

 

En France, un homme a testé l’ouragan Musk : c’est le patron de Michelin, Florent Menegaux. De ses discussions avec Musk, il se rappelle les moindres détails.

La première fois, c’était peu avant la sortie de la Model S, en 2012. Menegaux, alors au siège du groupe à Clermont-Ferrand, reçoit un appel direct du milliardaire : « Je voudrais bosser avec vous, mais je veux que vous construisiez une usine à côté de la mienne à Fremont, en Californie », lance le patron de Tesla sans s’embarrasser de la moindre formule de politesse. « C’est compliqué, et ce n’est pas notre façon de travailler », répond alors Florent Menegaux.

Piqué au vif par l’accueil prudent du Français, Musk lui raccroche au nez. Rebelote, un mois plus tard. « Pourquoi vous ne voulez pas me vendre des pneus ? » s’agace le patron de Tesla, promettant un chiffre faramineux de commandes.

Problème : Michelin n’a pas en stock les quantités souhaitées par l’Américain. Une nouvelle fois, Musk s’emballe : « Puisque c’est comme ça, je ne prends rien du tout. » Menegaux découvre alors que Tesla a acheté des lots de pneus Michelin directement sur Internet.

Sauf qu’il s’agit de pneus d’anciennes générations qu’on ne fabrique plus depuis quinze ans, non adaptés à la puissance de ses bolides électriques, et qui, donc, s’usent rapidement. « Finalement, on a réussi à trouver un deal, mais il a fallu s’adapter très vite », raconte aujourd’hui le patron de Bibendum. 

« Selon Musk, l’industrie spatiale prend trop de précaution. Il faut limiter les redondances dans le système »En attendant, la maîtrise de la chaîne de valeur et la pression incessante exercée sur les quelques sous-traitants incontournables lui permettent de réduire drastiquement ses coûts de production.

Chez SpaceX, où il a adopté la même méthode, ses lanceurs seraient 25 % moins chers à produire que ceux de la concurrence. The Boring Company, sa société de construction de tunnels, afficheraient des coûts de construction de 20 à 30 fois plus bas que ceux de la concurrence. « On est tout simplement incapables de s’aligner », souffle, inquiet, le grand patron d’un géant mondial français des travaux publics.

 

Moins cher et surtout plus rapide que les autres. La vitesse d’exécution, c’est aussi la marque de fabrique de Musk. Il a réussi à construire son premier lanceur en trois ans, là où il faut au minimum une décennie pour les dinosaures du secteur.

« Selon Musk, l’industrie spatiale prend trop de précaution. Il faut limiter les redondances dans le système », souligne le spationaute Jean-Jacques Favier. En début d’année, pour remporter l’appel d’offres de la construction d’un tunnel à Miami, The Boring Company a annoncé des délais qui ont fait blêmir toute l’industrie : six mois de travaux seulement pour un projet long de 4 kilomètres sous une rivière et un coût total de 30 millions de dollars, là où la mairie tablait sur une durée de travaux de quatre ans et une facture de 900 millions de dollars ! « Je ne sais même pas comment ils vont faire pour tenir de tels engagements », ajoute un autre grand ponte du secteur.

 

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Retrouvez mercredi le troisième épisode de notre enquête sur Elon Musk.

 

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