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Les fonds labellisés « ESG » (Environnement, Social et Gouvernance) ont tendance à exclure des entreprises et des secteurs. Ce n’est pas la bonne stratégie. Il vaudrait mieux tout inclure et faire bouger les choses de l’intérieur.
Vue en plein écran
Matthieu Remy.
On a beaucoup parlé ces derniers temps de durabilité dans le monde financier et des dérives auxquelles ce sujet ô combien sensible pouvait mener. La COP26 est une autre occasion de se pencher sur les flux de capitaux et leur orientation vers des activités plus ou moins durables.
Ce qu’on observe d’abord, c’est que le discours sur la question a changé, et vite. En quelques années à peine, on est passé de «ça ne compte pas» à «il faut absolument que les choses changent» – ce qui a donné lieu à un projet de directive européenne en matière de reporting pour le secteur financier – pour dernièrement lire de plus en plus d’opinions du genre : «De toute façon, ça ne sert à rien».
Il est impossible de délimiter clairement et objectivement l’investissement durable.
Deux épisodes très médiatisés récemment contribuent à ce sentiment général de désillusion concernant la durabilité des fonds d’investissement, en particulier ceux labellisés «ESG» (pour Environnement, Social et Gouvernance).
L’affaire DWS d’abord, ce gestionnaire d’actifs allemand (€860 milliards d’actifs sous gestion) qui a été accusé de « greenwashing » ou d’allégations trompeuses en matière ESG. La sortie de Tariq Fancy ensuite, ex-BlackRock en charge des investissements durables, qui a affirmé dans la presse leur inutilité, voire même leur potentiel de nuisance.
Ce que ces événements disent surtout, c’est l’impossibilité de délimiter clairement et objectivement l’investissement durable. Faut-il exclure de son portefeuille les sociétés actives dans le nucléaire, sachant que la technologie, incertaine à long terme, peut contrecarrer le défi climatique à court terme? Exclure les pétrolières qui sont souvent parmi les plus gros investisseurs dans le renouvelable? Faut-il inclure ou exclure Tesla, qui promeut une mobilité «verte» mais dont les processus de production contribuent à l’appauvrissement des sols en métaux rares?
Faire bouger les choses de l’intérieur
En réalité, il y a autant de filtres que d’investisseurs. Les gestionnaires ne peuvent évidemment pas répondre aux attentes de chacun, malgré leur créativité débordante en matière de labels.
Entre «cela ne compte pas» et «cela ne sert à rien», il y a une autre voie possible, de plus en plus audible : et si c’était exclure, finalement, qui ne servait à rien?
Entre «cela ne compte pas» et «cela ne sert à rien», il y a une autre voie possible, de plus en plus audible : et si c’était exclure, finalement, qui ne servait à rien? Dans ce cas, incluons tout, mais faisons bouger les choses de l’intérieur. Car tant qu’elles auront des clients, exclure des entreprises de fonds d’investissement ne changera probablement pas leur destinée. En revanche, utiliser son droit de vote pour influencer les pratiques de ces entreprises peut faire bouger les lignes et avoir un vrai impact.
C’est là que les géants comme BlackRock, StateStreet et Vanguard peuvent faire la différence. Ensemble, ces gestionnaires possèdent des droits de vote cumulés de 20% dans les entreprises du S&P 500.
Vive le tri sélectif. Et cela vaut aussi pour les critiques envers l’investissement responsable
Leur pouvoir dans les conseils d’administration des entreprises est indéniable, et se manifeste plus que jamais sur le thème de la durabilité. À titre d’exemple, sur le premier semestre 2021, BlackRock a rejeté la nomination de 255 administrateurs dans les entreprises où il est présent au CA en raison de leur inaction sur la question climatique – il n’en avait rejeté que 55 sur la même période l’an dernier. Son vote contre l’élection de 4 des 12 administrateurs d’Exxon Mobil en juin dernier pour ces mêmes raisons a d’ailleurs été largement commenté dans les médias.
Au-delà de l’activisme que mènent certains fonds d’investissement, une intervention des États est nécessaire.
Certains s’inquiètent du poids trop important que prend cette poignée de gestionnaires dans l’économie, voire dans la démocratie. Mais du pouvoir et de l’influence, qu’ils viennent des gouvernements ou des conseils d’administration, il en faudra quoi qu’il arrive pour relever les défis sociaux et environnementaux auxquels nous faisons face. Car le marché seul n’y parviendra pas, ou en tout cas pas assez vite.
Au-delà de l’activisme que mènent certains fonds d’investissement, probablement plus utile que la stratégie d’exclusion proposée au travers de certains fonds labellisés ESG, une intervention des États est nécessaire. Pas tant pour rediriger les flux d’investissement que les flux de consommation, seuls maîtres en ce monde.
Une taxe sur les émissions de CO2 par exemple, qui se répercutera sur les prix à la consommation ? Peut-être. Reste à savoir comment mettre cela en œuvre au niveau mondial, pour que le marché mondial puisse s’adapter à cette nouvelle réalité.
Matthieu RemyCo-fondateur et CEO d’Easyvest