ENTRETIEN. De la prison pour les parents de jeunes délinquants  ? « Il ne faut pas attendre de miracle d’une répression plus sévère »


l’essentiel
L’exécutif souhaite durcir les sanctions envers les parents de mineurs délinquants. Mais pour Alice Grunenwald, juge des enfants à Saint-Étienne et présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, une répression plus sévère ne réglera pas les problèmes de fond.

Est-ce que sanctionner les parents de mineurs délinquants est la bonne solution pour lutter contre la délinquance des mineurs ? Sur les dossiers impliquant des délits ou des infractions commis par des mineurs, constatez-vous une « irresponsabilité parentale » ?

On est presque sur deux sujets différents. Les sanctions pour les parents qui ne respectent pas leurs obligations parentales sont déjà prévues par la loi (article 227-17, ndlr). Dans les tribunaux pour les dossiers de mineurs délinquants, nous avons essentiellement des parents qui demandent de l’aide. Ce sont des parents démunis et extrêmement dépassés, plutôt que des parents défaillants. Quand votre gamin est pris dans un trafic de stupéfiants, même avec les deux parents présents, c’est extrêmement difficile de lutter contre ça. D’ailleurs, ils nous remercient quand on met en place des mesures d’accompagnement. Ils ont besoin d’être soutenus. Ce n’est pas en ajoutant une amende ou une responsabilité pénale supplémentaire à des parents qui sont déjà en grandes difficultés qu’on va leur donner les moyens de les résoudre.

Par ailleurs, dans les affaires graves, la répression pénale est là. On a un certain nombre de mineurs incarcérés en France. Les délais de jugement sont beaucoup plus réduits donc les sanctions arrivent plus vite. Il ne faut pas attendre de miracle d’une répression plus sévère qui ne réglera pas les problèmes de fond.

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Est-ce que la loi déjà en place va assez loin ? N’a-t-elle pas besoin d’un durcissement ?

J’ai du mal à voir en quoi passer de 2 à 3 ans de prison pour les parents défaillants va avoir un effet sur la problématique de la délinquance des mineurs.

Il y a cette idée, à chaque fois qu’on a des faits divers graves, qu’il faut des dispositifs légaux supplémentaires. Pourtant ça ne veut pas forcément dire que la loi est insuffisante. Il y a des difficultés, de la violence, on le sait, ce n’est pas nouveau. Peut-être que les réseaux sociaux viennent amplifier le phénomène. Mais il faut aller chercher les solutions ailleurs. Plutôt que de penser systématiquement à la répression, il faut réfléchir à quels sont les besoins des familles, des parents.

La loi permet de nombreuses possibilités, que ce soit du côté de l’accompagnement des parents, comme de la prise en charge des jeunes, mais il y a un important manque de moyens pour la mettre en œuvre. Les dispositifs d’accompagnement à la parentalité existent, mais ils sont insuffisants, débordés et les délais de prise en charge sont longs. Aujourd’hui, on court derrière les places dans les établissements de placement par exemple. On peut tout à fait faire une demande de placement pour éloigner un jeune de son quartier, mais une fois sur deux, il n’y a pas de place le jour du déferrement du mineur par le parquet. La protection de l’enfance est également en difficulté dans les départements. Il y a aussi de gros besoins en accompagnement psychologique. Le sujet de la santé mentale est aujourd’hui très préoccupant tant du côté des adolescents que des parents.

Quelles solutions permettraient selon vous de répondre à cette problématique de la violence des mineurs ? Faut-il plutôt agir du côté des enfants ou davantage responsabiliser les parents ?

Agir de tous les côtés a du sens, mais pas forcément en aggravant la répression. Il faut traiter les problèmes et pour cela il faut les comprendre, essayer d’analyser les leviers d’amélioration. La prévention et l’éducation sont des leviers sûrement plus puissants que la répression. On le voit avec tout ce qui est mis en place dans les établissements pour le harcèlement. La question de la scolarité est également importante. Quand on est face à un adolescent en décrochage scolaire complet, ça ne facilite pas les choses.

On a un nouveau code en application depuis 2021 avec plein de nouvelles possibilités. On peut placer les jeunes en internat par exemple, mais là aussi, on a un problème de mise en œuvre. Des choses se font à la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse), on a un module d’insertion en place depuis peu qui est un puissant vecteur de sortie de la délinquance. Pleins de choses se construisent, mais ça ne peut pas se faire en un jour. Il faut poursuivre cette construction, mettre les moyens pour avancer aux côtés des besoins des parents et des enfants.